Faire des affaires en Chine devient de plus en plus risqué

Publié le 03/06/2023 à 09:00

Faire des affaires en Chine devient de plus en plus risqué

Publié le 03/06/2023 à 09:00

À propos de l'espionnage, la législation qui est en vigueur couvre seulement les infractions concernant les secrets d’État. Or, la version révisée par les autorités couvrira «toutes sortes de documents ou matériaux ayant un lien avec la sécurité nationale et les intérêts de l’État», souligne le magazine japonais Nikkei Asia. (Photo: 123RF)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE. Faire des affaires en Chine devient de plus en plus risqué pour les cadres d’entreprises étrangères, notamment en raison de la nouvelle loi anti-espionnage qui ratisse très large. On peut toujours s’y rendre dans certaines circonstances, mais il faut être très prudent, affirment deux spécialistes.

En fait, trois éléments rendent les voyages d’affaires en Chine plus complexes et dangereux, souligne un récent reportage du Wall Street journal (The New Rules for Business Travel in China), et ce, de l’utilisation des téléphones cellulaires aux douaniers chinois très curieux.

Il s’agit de la nouvelle loi anti-espionnage (qui entre en vigueur en juillet), des raids dans les firmes-conseils qui travaillent avec des entreprises étrangères, ainsi que du resserrement des flux d’information vers le monde extérieur à la Chine.

À propos de l’espionnage, la législation qui est en vigueur en Chine couvre seulement les infractions liées à des secrets d’État. Or, la version révisée par les autorités chinoises couvrira «toutes sortes de documents ou matériaux ayant un lien avec la sécurité nationale et les intérêts de l’État», souligne le magazine japonais Nikkei Asia.

Sans être directement lié à cette loi, le gouvernement du Canada recommande néanmoins actuellement aux Canadiens devant se rendre en Chine d’être très prudents. «Faites preuve d’une grande prudence», affirme l’avis consulaire d’Affaires mondiales Canada.

 

Le mauvais souvenir des deux Michael

Les gens d’affaires d’ici ne peuvent pas non plus faire fi de la mésaventure que deux Canadiens, l'ancien diplomate Michael Kovrig et l'homme d'affaires Michael Spavor, ont vécue en Chine durant trois longues années.

En 2018, les autorités chinoises ont arrêté les deux hommes en représailles à l’arrestation d’une dirigeante de Huawei, à Vancouver, à la demande des États-Unis. Les deux Michael ont été finalement libérés en 2021.

Malgré tout, les cadres d’entreprises canadiennes peuvent toujours se rendre en Chine, mais ils doivent prendre de plus en plus de précautions, selon deux spécialistes interviewés par Les Affaires: Michel Juneau-Katsuya, ex-agent du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) et PDG de The NorthGate Group, une firme spécialisée dans l’évaluation du risque pour les entreprises, et Guy Saint-Jacques, ex-ambassadeur canadien en Chine et aujourd’hui fellow à l’Institut d’études internationales de Montréal (IEIM-UQAM).

«Ceux qui seront possiblement à risque sont ceux qui ont antérieurement travaillé dans le domaine militaire, la sécurité nationale et même dans les hautes sphères gouvernementales. Il est certain qu’il faut respecter les limites du visa et ne pas transgresser les notes de voyage», insiste Michel Juneau-Katsuya.

Les cadres canadiens doivent aussi tenir pour acquis que leurs appareils électroniques (ordinateurs, tablettes, cellulaires) seront fouillés ou «contaminés» en Chine — par des logiciels espions, par exemple.

«N’apportez que le strict nécessaire, qui pourra être jeté ou détruit au retour. Tenez pour acquis que vous serez surveillé et que vos effets personnels ou de chambre seront fouillés», dit l’ex-agent du SCRS.

À ses yeux, le fait que les relations diplomatiques soient actuellement tendues entre le Canada et la Chine accroît aussi le niveau de risques pour les Canadiens qui se rendent ou qui vivent en Chine.

«Comme les politiques canadiennes seront de plus en plus difficiles pour la Chine, il pourrait y avoir des représailles plus personnalisées. En tout cas, notre passeport et notre drapeau ne nous protègent plus autant qu’avant», déplore-t-il.

 

Les effets pervers de la loi anti-espionnage

Pour sa part, Guy Saint-Jacques explique que la nouvelle loi anti-espionnage est particulièrement problématique — des Chambres de commerce étrangères en Chine l’ont d’ailleurs critiquée, car sa définition de la sécurité nationale est très large.

«Elle pourrait entraîner l’arrestation de représentants d’entreprises qui font des études de marché, surtout s’il s’agit d’un secteur que la Chine juge stratégique», souligne l’ex-ambassadeur canadien.

Selon divers rapports, ces secteurs stratégiques aux yeux de Beijing comprennent les voitures électriques, les nouvelles sources d’énergie, les technologies pour les infrastructures, les technologies de l’information et la robotique industrielle.

Aux yeux de Guy Saint-Jacques, la nouvelle loi anti-espionnage aura deux effets sur les multinationales actives en Chine.

D’une part, elle va restreindre le nombre de sociétés étrangères qui offrent des services-conseils sur le marché chinois, incluant les grandes firmes de comptabilité. D’autre part, elle va rendre plus difficile le processus de diligence appropriée lorsqu’une multinationale veut acquérir une entreprise chinoise.

Quant à la sécurité physique des gestionnaires canadiens en Chine, Guy Saint-Jacques estime que ce risque est relativement limité.

«La Chine n’arrête pas généralement des gens d’affaires, surtout s’ils créent de l’emploi en Chine. Elle arrête plutôt des gens travaillant pour des ONG (Michael Kovrig) ou dans des domaines que la Chine juge sensibles (Michael Spavor)», dit-il.

En revanche, tous les cadres qui vont en Chine sont surveillés, ajoute-t-il. Par conséquent, ils devraient respecter les lois et être très prudents avec leurs appareils de communication en raison des «risques de contamination».

 

Bien choisir ses partenaires en Chine

Enfin, dans ce climat d’affaires moins accueillant en Chine, les entreprises canadiennes doivent être aussi plus rigoureuses dans le choix de leurs partenaires d’affaires sur place, selon Guy Saint-Jacques.

Entre 1995 et 2019, 129 étrangers, incluant 29 Américains et 44 Canadiens, ne pouvaient pas quitter la Chine, selon l’organisme Safeguard Defenders, une organisation de défense des droits de la personne à but non lucratif qui surveille les disparitions en Chine.

«Généralement, c’était à cause d’une dispute avec leur partenaire chinois. C’est une autre raison de faire attention dans le choix d’un partenaire», recommande fortement l’ex-ambassadeur canadien.

Depuis son ouverture au commerce international au tournant des années 1980, la Chine communiste a toujours eu un environnement d’affaires comportant certains risques pour les multinationales étant donné la nature non-démocratique du régime.

Toutefois, depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping en 2013, les règles se sont de plus en plus resserrées à l’égard des entreprises étrangères. Les autorités surveillent aussi davantage les cadres de ces sociétés.

Certes, des PDG et des gestionnaires continueront de se rendre en Chine étant donné les nombreuses occasions d’affaires, toute en faisant preuve d’une grande vigilance.

En revanche, d’autres pourraient toutefois être tentés de diversifier leur marché ailleurs en Asie, notamment dans les 10 pays de l'ASEAN (l'Association des Nations de l'Asie du Sud-Est), la nouvelle usine du monde.

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand

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