La nouvelle usine du monde qui pourrait détrôner la Chine

Publié le 14/04/2023 à 17:00

La nouvelle usine du monde qui pourrait détrôner la Chine

Publié le 14/04/2023 à 17:00

De 2013 à 2022, le salaire horaire moyen dans le secteur manufacturier en Chine a doublé pour atteindre 8,27 $ US de l’heure. Or, celui dans des pays comme les Philippines, la Thaïlande, la Malaisie et le Vietnam est grosso modo demeuré dans une fourchette oscillant de 2 à 3 $ US de l’heure. (Photo: 123RF)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE. Si la tendance se maintient, la Chine pourrait perdre un jour son statut de «l’usine du monde» au profit des 10 pays de l’ASEAN (l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est), dont l’étendue et la profondeur de leurs capacités de fabrication qui croissent sans cesse sont de plus en plus prisées par des multinationales.

Cet enjeu est important pour nos entreprises qui s’approvisionnement en Chine. D’une part, parce que la stratégie pour l’Indopacifique d’Ottawa leur recommande de ne pas mettre tous leurs œufs dans le panier de la Chine. D’autre part, parce que le Canada et l’ASEAN ont amorcé en 2021 des négociations en vue d’un accord de libre-échange.

L’ASEAN est formée de 10 pays très diversifiés sur les plans économique et politique (démocraties, autocraties, régimes communistes). Il s’agit de l’Indonésie, de la Malaisie, des Philippines, de Singapour, de la Thaïlande, de Brunéi, du Cambodge, de la Birmanie, du Laos et du Vietnam.

Si l’ASEAN ne formait qu’une seule économie, elle serait la cinquième économie en importance au monde après les États-Unis, la Chine, le Japon et l’Allemagne, selon une estimation d’Affaires mondiales Canada.

En 2021, son PIB combiné aurait été de 3 300 milliards de dollars américains (4 417 G$CA), et ce, avec une population de 680 millions d’habitants.

La croissance économique de l’ASEAN est tellement dynamique que la taille de son économie devrait surpasser celle du Japon en 2030, prévoit une récente analyse du magazine américain Foreign Affairs.

Malgré leurs différences socioéconomiques et culturelles, ce regroupement de 10 pays réussit à parler sensiblement d’une seule et même voix.

L’ASEAN réussit aussi le tour de force d’entretenir de bonnes relations à la fois avec la Chine et les États-Unis, dont la rivalité politique, économique, technologique et militaire s’accroît pourtant jour après jour.

Cette rivalité commence d’ailleurs à avoir des impacts négatifs sur les entreprises étrangères présentes en Chine.

En mai 2022, la Chambre de commerce de l’Union européenne en Chine a réalisé un sondage révélateur à ce sujet auprès de ses membres, qui s’inquiétaient de la détérioration du climat d’affaires et de la nouvelle socialisation de l’économie chinoise.

 

Des multinationales quittent la Chine

Ainsi, 60% des répondants ont dit avoir réduit leurs prévisions de revenus en Chine en 2022, tandis que 23% ont déclaré qu’ils envisagent de déplacer complètement leurs investissements hors de Chine.

Dans une récente analyse, le magazine The Economist souligne que des multinationales qui ont construit des usines en Chine à partir des années 1990 ont commencé à lui tourner le dos, et ce, en raison de l’accroissement des pressions commerciales et politiques de la part du régime communiste.

Par exemple, entre 2020 et 2022, le nombre d’entreprises japonaises qui ont des activités en Chine est passé d’environ 13 600 à 12 700, soit un recul de 6,5%, selon la firme de recherche nippone Teikoku Databank.

Et l’ASEAN représente une alternative très intéressante.

En janvier, le quotidien financier japonais Nikkei rapportait que le groupe Sony avait transféré plus de 92% de sa production de caméras en Chine vers la Thaïlande.

Les entreprises comme Sony choisissent l’ASEAN pour plusieurs raisons.

Le climat des affaires y est plus accueillant qu’en Chine, la base manufacturière est diversifiée et développée, sans parler du fait que les coûts de main-d’œuvre y sont beaucoup plus compétitifs qu’en Chine.

 

Le salaire manufacturier a doublé en Chine

De 2013 à 2022, le salaire horaire moyen dans le secteur manufacturier en Chine a doublé pour atteindre 8,27 $US de l’heure, selon la firme américaine Haver Analytics.

Or, le salaire manufacturier moyen dans des pays comme les Philippines, la Thaïlande, la Malaisie et le Vietnam est grosso modo demeuré dans une fourchette oscillant de 2 à 3 $US de l’heure.

La Chine aura toujours une économie et une base industrielle importante pour des multinationales nord-américaines, européennes ou asiatiques.

En Asie, aucun pays ne peut vraiment offrir une base manufacturière aussi vaste et diversifiée que celle de la Chine, pas même le Japon ou la Corée du Sud. C’est sans parler du fait que ce pays est un leader dans la plupart des secteurs de haute technologie.

En revanche, des regroupements de pays peuvent offrir une base équivalente ou qui s’en rapproche, en combinant les forces de plusieurs économies.

C’est la raison pour laquelle l’ASEAN devrait être – si ce n’est déjà pas le cas – sur l’écran radar des entreprises canadiennes actives en Asie.

 

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand