Le Chili veut nationaliser son lithium

Publié le 26/05/2023 à 15:00

Le Chili veut nationaliser son lithium

Publié le 26/05/2023 à 15:00

Le président chilien, Gabriel Boric. (Photo: Agencia Makro Getty Images)

ZOOM SUR LE MONDE. Le Chili a créé une onde de choc planétaire fin avril. Le président de gauche, Gabriel Boric, a annoncé qu’il veut nationaliser en partie l’industrie du lithium, la deuxième en importance au monde. Peut-il y arriver? Quel sera à terme l’effet sur les prix de ce minerai stratégique? Des cours plus élevés donneraient un coup de pouce à cette industrie naissante au Québec.

L’homme de 37 ans est le leader de la coalition Approbation dignité, qui regroupe des partis de gauche et d’extrême gauche — le Parti communiste chilien en fait partie. Son gouvernement est donc plus à gauche que les deux présidences de la socialiste de centre gauche Michelle Bachelet (de 2006 à 2010, puis de 2014 à 2018).

La réduction des inégalités et le meilleur partage des richesses sont plus que jamais au coeur du programme du président. Son projet de nationaliser en partie l’industrie du lithium s’inscrit dans cette volonté de mieux répartir les richesses.

Le Chili n’est pas le seul État du continent à vouloir capter davantage la valeur de ce minerai. En 2022, le gouvernement mexicain a nationalisé les ressources du lithium du pays et a créé la société d’État Litio para Mexico. Concrètement, le gouvernement chilien veut créer une société d’État qui exploiterait les ressources de lithium, mais de concert avec des minières privées avec lesquelles l’État conclurait des partenariats public-privé.

 

Le privé minoritaire

Bref, le Chili ne veut pas faire une nationalisation classique, c’est-à-dire exproprier les producteurs de lithium. Le secteur privé y aurait encore une place, mais c’est le secteur public qui dominerait.

Selon le journal chilien Diario Financiero, la future entreprise nationale de lithium serait détenue à 100% par l’État. Les minières privées pourraient avoir des participations dans des projets avec cette société d’État, mais ces participations ne pourraient pas dépasser 49,9 %. Actuellement, les deux entreprises privées qui produisent du lithium au Chili sont la chilienne SQM et l’américaine Albemarle. Le gouvernement chilien ne veut pas seulement partager la richesse; il souhaite aussi en créer bien davantage. Ainsi, il désire que le pays détrône l’Australie pour devenir le premier pays producteur de lithium au monde, un projet très ambitieux.

En 2022, le Chili a produit 39 000 tonnes (t) de lithium, loin derrière l’Australie, à 61 000 t, selon les estimations de la United States Geological Survey (USGS). La Chine arrive au troisième rang, avec 19 000 t. Les autres pays producteurs d’importance sur la planète sont — en ordre décroissant — l’Argentine (6200 t), le Brésil (2200 t), le Zimbabwe (800 t), le Portugal (600 t) et le Canada (500 t). En revanche, le Chili détient les plus importantes réserves de lithium au monde. En 2022, l’USGS les a estimées à 9 300 000 t. C’est beaucoup plus que l’Australie, avec ses 6 200 000 t. Pour sa part, le Canada abrite des réserves totalisant 930 000 t. Ce projet de nationalisation partielle est loin d’être fait, selon des analystes interrogées par l’agence Reuters. Le gouvernement chilien doit obtenir l’appui des partis politiques d’opposition, ce qui sera ardu.

Le gouvernement devra aussi négocier avec les producteurs de lithium. Ceux-ci sont-ils prêts à perdre le contrôle de la majeure partie de leurs ressources et à quel prix ? Les contrats d’exploitation de SQM et d’Albemarle viennent respectivement à échéance en 2030 et en 2040. Le gouvernement ne souhaite pas les résilier. En revanche, il veut que les futurs accords soient sous la férule de l’État.

Pour créer la nouvelle entreprise nationale de lithium, Gabriel Boric a indiqué qu’il a l’intention de s’inspirer de la société d’État chilienne Codelco, le plus important producteur de cuivre au monde.

Sous la dictature d’extrême droite d’Augusto Pinochet (1973 à 1990), les vagues de privatisation ont épargné Codelco, car elle était efficace et versait des milliards de dollars par année au gouvernement, souligne le magazine financier américain Barron’s.

 

Un outil politique

La nationalisation est un outil de politique publique. Utilisé dans un bon contexte, il peut dynamiser ou sauver une industrie. Au Québec, la nationalisation de l’électricité a été structurante pour l’économie. Durant la crise financière de 2007-2008, les nationalisations ont aussi permis de sauver des banques, comme la britannique Northern Rock.

Toutefois, utilisée à mauvais escient, la nationalisation peut miner un secteur ou étouffer un écosystème naissant, comme en Bolivie. Le pays a nationalisé son industrie du lithium il y a près de 20 ans. Or, à ce jour, l’industrie bolivienne ne produit pas encore de lithium à une échelle commerciale.

Gabriel Boric pourra-t-il mener à terme son projet? Les minières étrangères quitteront-elles le pays? Les investisseurs internationaux bouderont-ils l’industrie? Chose certaine, ce projet de nationalisation partielle sera à suivre dans les prochaines années. En effet, si le président gagne son pari, le Chili pourrait bien devenir l’Arabie saoudite du lithium.

Ce pays pourrait alors exercer une influence encore plus importante qu’aujourd’hui sur les marchés mondiaux.

D’autant plus que le Chili, l’Argentine, la Bolivie et le Brésil évaluent la possibilité de se regrouper sous le modèle du cartel de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) afin de mieux contrôler l’offre de lithium dans le monde. Et d’exercer une influence sur les prix de l’«or blanc»de la transition énergétique.

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand

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