Ne tournons pas le dos à la Chine

Publié le 15/12/2023 à 18:00

Ne tournons pas le dos à la Chine

Publié le 15/12/2023 à 18:00

Après les États-Unis, la Chine est le deuxième marché d’exportation de marchandises du Canada, avec des expéditions qui ont totalisé 27,7 milliards de dollars canadiens en 2022, selon Statistique Canada. (Photo: 123RF)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE. La Chine a changé depuis l’arrivée au pouvoir du président Xi Jinping en 2013. L’État intervient beaucoup plus dans l’économie, surveille davantage ses citoyens et les étrangers, sans parler d’une nouvelle loi sur l’espionnage qui rend plus risqué d’y faire des affaires. Malgré tout, nos entreprises ne devraient pas renoncer à ce marché, car les occasions y sont encore très nombreuses.

Voilà l’essentiel du message qu’a livré l’ex-représentant du Québec en Chine (2015 à 2021), Jean-François Lépine, dans une entrevue à Les Affaires afin de discuter de son nouvel essai Les angoisses de ma prof de chinois. Où s’en va la Chine? (Libre Expression).

Dans cet essai de 333 pages, l’ex-correspondant de Radio-Canada en Chine (1983 à 1986) raconte l’histoire de ce vaste pays encore méconnu au Québec et au Canada, et ce, de la culture millénaire de ses habitants à l’«obsession de sécurité» du pouvoir chinois en passant par ses marchés de consommation de plus en plus sophistiqués.

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Après les États-Unis, la Chine est le deuxième marché d’exportation de marchandises du Canada, avec des expéditions qui ont totalisé 27,7 milliards de dollars canadiens (G$) en 2022, selon Statistique Canada.

La Chine est aussi notre deuxième marché d’importation – toujours après les États-Unis – avec des achats de biens qui se sont élevés à 100,1 G$ l’an dernier.

Par ailleurs, en 2018 (la donnée cumulative la plus récente), les stocks cumulés des investissements directs du Canada en Chine ont totalisé 12,7 G$. Ceux de la Chine au Canada se sont établis quant à eux à 17 G$, selon les données du gouvernement canadien.

 

Relations tendues entre le Canada et la Chine

Depuis l’arrestation des deux Michael en Chine en 2018 (Michael Kovrig et Michael Spavor, en représailles à l’arrestation d’une dirigeante de Huawei à Vancouver à la demande des Américains), les relations diplomatiques et commerciales entre le Canada et la Chine sont tendues, même si Beijing a libéré les deux Canadiens en 2021.

Dans sa nouvelle stratégie pour l’Indo-Pacifique publiée à la fin de 2022, Ottawa recommande même aux entreprises canadiennes de ne pas mettre tous leurs œufs dans le panier de la Chine, «une puissance mondiale de plus en plus perturbatrice».

Or, comme le démontre une analyse de Les Affaires publiée il y a un an à partir de statistiques commerciales, nos entreprises n’ont pas attendu ce conseil du gouvernement fédéral pour diversifier leurs marchés et leurs risques dans cette région du monde.

Elles vendent par exemple de plus en plus de produits au Japon et en Corée du Sud, deux pays avec lesquels le Canada a un accord de libre-échange, sans parler de l’Indonésie – avec lequel nous n’avons pas d’entente.

Jean-François Lépine comprend très bien ce désir de diversification des entreprises canadiennes, notamment en ce qui a trait à la délocalisation de la production de nos entreprises en Chine.

«Peut-être avons-nous été trop dépendants de la Chine», confie celui qui est aujourd’hui président de Solix Globe, une firme de consultant qui aide les entreprises à développer leurs relations avec la Chine et l’Asie.

 

Des occasions d'affaires très nombreuses

En revanche, il affirme que les organisations qui sont actives en Chine ne doivent pas commettre l’erreur de tourner le dos à ce marché de 1,4 milliard d’habitants, qui est de plus en plus sophistiqué et à l’affût d’aliments, de produits et de services de qualité.

«Il y a par exemple des occasions d’affaires dans l’aérospatiale, l’optique photonique ou les technologies de l’information médicale, comme la robotique médicale», dit-il.

Dans les denrées de base, la Chine a toujours besoin de canola et soya en grande quantité. Dans les produits transformés, les consommateurs chinois sont très friands des produits du saumon fumé, sans parler des concombres de mer – un produit très prisé en Chine depuis des millénaires.

Selon Jean-François Lépine, nos ressources naturelles sont aussi très demandées en Chine, à commencer par le minerai de fer du Québec.

En 2022, les exportations québécoises de cet intrant stratégique en Chine se sont élevées à 1,7 G$, ce qui représente 49% de la valeur de toutes nos expéditions de marchandises en Chine, d’après l’analyse des données de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ).

L’ex-représentant du Québec en Chine voit aussi des occasions d’affaires dans le secteur des services, entre autres dans les assurances et les services financiers.

Si les occasions sont nombreuses en Chine, la concurrence des entreprises chinoises et étrangères y est aussi de plus en plus forte, souligne Jean-François Lépine.

Pour se démarquer, nos entreprises peuvent notamment miser sur une marque forte et nichée, car les produits grand public ont de moins en moins la cote. «Il faut miser davantage sur la qualité et en plus petite quantité», insiste-t-il.

Il rappelle aussi qu’il y a une grande différence entre les marchés plus développés des grandes villes côtières comme Beijing, Shanghai et Guangzhou comparativement aux grandes villes situées à l’intérieur du pays, comme Chongqing ou Chengdu.

 

De nouveaux risques d’affaires

Selon Jean-François Lépine, les entreprises actives en Chine doivent aussi être conscientes que le parti communiste chinois (PCC) est de plus en plus actif dans le secteur privé. Parfois, le PCC demande à siéger sur le conseil d’administration de certaines sociétés.

La nouvelle loi chinoise sur l’espionnage – entrée en vigueur en juillet – peut aussi rendre la conduite des affaires plus compliquée dans ce pays, voire risquée, fait remarquer l’ex-représentant du Québec en Chine.

Par exemple, la ligne peut parfois être mince entre les démarches d’une entreprise pour effectuer une étude de marché (ce qui nécessite de récolter des informations locales, par exemple à propos de la clientèle, des concurrents et des tendances émergentes) et les démarches d’une entreprise pouvant potentiellement être soupçonnée d’espionnage économique.

«Ça a complètement miné la confiance» de certaines sociétés étrangères à l’égard de la Chine, admet Jean-François Lépine.

À ses yeux, plusieurs chefs d’entreprise canadienne souffrent aussi de ce qu'il nomme le «syndrome des deux Michael».

S’il est vrai qu’il faut être plus prudent lorsqu’on fait des affaires sur le marché chinois, l’ex-représentant du Québec affirme en revanche que les gens d’affaires ne risquent pas de se faire enlever en tout temps dans ce pays.

Il rappelle que les entrepreneurs chinois demeurent généralement «des partenaires d’affaires intéressants».

Par la taille de sa population et de son économie, la Chine est et demeura dans un avenir prévisible un marché très intéressant pour les entreprises canadiennes actives en Asie, tout comme du reste dans d'autres marchés comme l'Inde, le Vietnam ou les Philippines.

Nos entreprises n'ont pas à choisir entre la Chine et le reste de l'Asie.

Comme dans plusieurs pays, les risques d’affaires sur le marché chinois peuvent aussi être importants, forçant les entreprises étrangères à être plus vigilantes.

Il faut juste en être conscient.

C’est la raison pour laquelle l’ex-délégué du Québec en Chine a raison sur le fond: il ne faut pas tourner le dos à ce pays, même si y faire des affaires est plus compliqué.

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand

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