L'Asie du Sud-Est, la meilleure solution de rechange à la Chine

Publié le 09/12/2023 à 08:00

L'Asie du Sud-Est, la meilleure solution de rechange à la Chine

Publié le 09/12/2023 à 08:00

Le premier ministre, Justin Trudeau, a fait une escale en Indonésie, début septembre, en se rendant au récent sommet du G20 en Inde. Sur notre photo, Jakarta, capitale de l'Indonésie. (Photo: 123RF)

ANALYSE. Ralentissement de la croissance, renforcement de l’État policier, nouvelle socialisation de l’économie… La Chine est devenue un partenaire commercial moins intéressant pour les entreprises canadiennes. Sans renoncer à ce pays, elles ont tout intérêt à diversifier leurs marchés en Asie. Par conséquent, les dix pays membres de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE ou ASEAN en anglais) sont sans doute la meilleure option. 

L’ANASE regroupe dix pays très différents sur les plans économique et politique (régimes communistes, autocraties, démocraties). Il s’agit de la Birmanie, du Brunéi, du Cambodge, de l’Indonésie, du Laos, de la Malaisie, des Philippines, de Singapour, de la Thaïlande et du Vietnam.

Le premier ministre, Justin Trudeau, a d’ailleurs fait une escale en Indonésie, début septembre, en se rendant au récent sommet du G20 en Inde. Il souhaite renforcer les échanges économiques et la coopération entre le Canada et ces dix pays asiatiques.

Si l’ANASE était un pays, elle serait la cinquième économie mondiale après les États-Unis, la Chine, le Japon et l’Allemagne, selon Affaires mondiales Canada. En 2021, son PIB combiné s’élevait à 3300 milliards de dollars américains (4479 G$ CA), pour une population de 680 millions d’habitants.

En 2022, le commerce de marchandises entre l’ANASE et le Canada a atteint 40,7 G$, selon Statistique Canada. Depuis dix ans, nos exportations y ont bondi de 76%. Sur la même période, nos expéditions en Chine n’ont progressé que de 40%.

Certes, nos exportations de marchandises en Chine sont trois fois plus importantes actuellement, à 28,7 G$, par rapport à 9,7 G$ avec l’ANASE. En revanche, si la tendance se maintient, cet écart se rétrécira dans les années et les décennies à venir.

 

Pourquoi la Chine est moins intéressante?

Plusieurs facteurs rendent la Chine moins attrayante. 

Sur le plan économique, ce pays n’affiche plus la croissance époustouflante de jadis, même si elle demeure élevée par rapport aux économies développées. L’an dernier, le PIB a progressé de 3%. En 2023 et 2024, il devrait croître plus vite, soit respectivement de 5,2 % et de 4,5%, selon le Fonds monétaire international (FMI).

Cela dit, le taux de chômage des jeunes (de 16 à 24 ans) est très élevé. En juin, il a atteint 21,3%, selon le Bureau national des statistiques. Un niveau préoccupant pour une dictature qui a besoin de stabilité sociale pour se maintenir au pouvoir.

À la mi-août, le gouvernement a d’ailleurs suspendu la publication mensuelle des chiffres détaillés du chômage chez les jeunes, évoquant la nécessité d’« ajuster » ces données, rapporte le quotidien français « Le Figaro ». 

Faire des affaires en Chine devient aussi de plus en plus compliqué pour les entreprises étrangères en raison de la nouvelle loi anti-espionnage qui ratisse très large. Elle couvre non seulement les infractions aux secrets d’État, mais aussi «toutes sortes de documents ou de matériaux ayant un lien avec la sécurité nationale et les intérêts de l’État», fait remarquer le magazine japonais « Nikkei Asia ».

Sans que ce soit directement lié à cette loi, Affaires mondiales Canada recommande aux Canadiens se rendant dans ce pays de « faire preuve d’une grande prudence en raison du risque d’application arbitraire des lois locales ».

Enfin, on assiste à une nouvelle socialisation de l’économie chinoise, consacrée par le 20e congrès du Parti communiste chinois, en octobre 2022. Le modèle économique axé sur les entreprises privées est en déclin au profit du renforcement du secteur public et de l’État policier.

 

Le potentiel et les forces de l’ANASE

Revenons à l’ANASE pour mieux comprendre pourquoi ce marché est une option intéressante.

L’ANASE sera « la principale bénéficiaire » de la reconfiguration du commerce international dans la foulée des tensions sino-américaines, de la pandémie de COVID-19 et de la guerre en Ukraine, selon une analyse de la firme Boston Consulting Group (Protectionism, Pandemic, War and the Future of Trade), publiée en janvier.

De plus, sa population croît rapidement. De 1980 à 2020, elle a doublé, passant de 355 à 662 millions d’habitants, montrent les données du Secrétariat de l’ANASE. Le Sud-Est asiatique représente donc un marché de consommateurs en forte croissance. 

L’an dernier, le PIB consolidé des 10 pays a progressé de 5,6%, selon l’Organisation de développement et de coopération économiques (OCDE). En 2023 et 2024, il devrait augmenter respectivement de 5,3% et de 5,4%.

L’ANASE a aussi un autre avantage : ses faibles coûts de production, sans parler de l’étendue et de la profondeur croissantes de ses capacités de fabrication. En janvier, le groupe Sony a d’ailleurs transféré plus de 92% de sa production de caméras en Chine vers la Thaïlande.

Dans des pays comme le Vietnam, la Malaisie, la Thaïlande et les Philippines, le salaire manufacturier moyen oscille entre 2 $ US et 3 $ US de l’heure (de 2,71 $ CA à 4,10 $ CA), selon la firme américaine Haver Analytics. En Chine, il s’établit à 8,27 $ US (11,20 $ CA).

Pour plusieurs entreprises manufacturières, cette différence de coûts peut être très attrayante. C’est d’ailleurs pourquoi le magazine britannique « The Economist » estime que l’ANASE pourrait même un jour détrôner la Chine pour devenir la nouvelle usine du monde.

Le Canada a donc tout intérêt à se rapprocher de ce marché de consommateurs et de cette plaque tournante manufacturière.

 

*Ce texte est paru à l'origine dans notre édition du 22 octobre 2023

 

 

 

 

Abonnez-vous gratuitement aux infolettres de Les Affaires et suivez l’actualité économique et financière au Québec et à l’international, directement livrée dans votre boîte courriel.

Avec nos trois infolettres quotidiennes, envoyées le matin, le midi et le soir, restez au fait des soubresauts de la Bourse, des nouvelles du jour et retrouvez les billets d’opinion de nos experts invités qui soulèvent les enjeux qui préoccupent la communauté des affaires.

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand