Tarifs d'électricité: cessons de subventionner les particuliers

Publié le 03/04/2023 à 15:30

Tarifs d'électricité: cessons de subventionner les particuliers

Publié le 03/04/2023 à 15:30

Les augmentations à trois vitesses, pour les trois catégories de consommateurs, font oublier l’interfinancement structurel qui alourdit les tarifs commerciaux et industriels, et allège de 14% la facture résidentielle. (Photo: 123RF)

BLOGUE INVITÉ. Le 1er avril, les tarifs d’électricité ont augmenté. Depuis la loi 34 adoptée en 2019, ces tarifs sont indexés à l’inflation… sauf cette année où parce qu’elle est élevée la loi 2 limite la hausse des tarifs résidentiels à 3%. Les tarifs pour la clientèle affaires ont en revanche augmenté de 6,5%, mais ceux pour la grande industrie de 4,2%. Une inflation, trois taux d’augmentations tarifaires. Est-ce que cela a du sens?

En principe, au Québec, les tarifs d’électricité sont établis sur la base des coûts de service. Hydro-Québec évalue combien il lui en coûte pour répondre à la demande des clients résidentiels, commerciaux et industriels, et s’assure de recueillir assez de revenus à travers les ventes d’électricité au Québec pour couvrir ses coûts et faire un rendement de 8,2%.

Ce rendement assure le profit d’Hydro-Québec dans ses activités de distribution. Les profits des ventes à l’exportation n’entrent pas dans les calculs des coûts et n’affectent pas les gains en distribution.

Ainsi, le profit d’Hydro-Québec de 4,5 milliards de dollars en 2022 (plus 1 milliard par rapport à 2021, grâce à un prix très élevé à l’exportation) ne mène à aucun avantage direct pour les consommateurs d’électricité québécois.

Les augmentations à trois vitesses, pour les trois catégories de consommateurs, font oublier l’interfinancement structurel qui alourdit les tarifs commerciaux et industriels, et allège de 14% la facture résidentielle.

Cet interfinancement est suivi annuellement dans un document déposé à la Régie de l’énergie.

 

Les entreprises font plus que leur part

Il indique qu’en 2021 les consommateurs commerciaux ont payé 21% de plus que ce qu’il en coûtait à Hydro-Québec pour les servir, et 13% de plus pour les consommateurs industriels.

Avec l’augmentation de seulement 3 % accordée aux consommateurs résidentiels, cet écart va encore se creuser : ceux qui subventionnent les consommateurs résidentiels vont encore payer plus!

L’interfinancement est souvent justifié par la notion du « pacte social » que la nationalisation de 1962 aurait scellé entre Hydro-Québec et la population : en prenant le contrôle du secteur électrique, les Québécois se donneraient le droit immuable de bénéficier de bas tarifs.

Et les tarifs sont en effet très bas.

En 2022, le prix moyen résidentiel au Québec était de 7,59 cents le kilowattheure (¢/kWh), contre 12,94¢ à Ottawa, 13,94¢ à Moncton et 36¢ à New York.

Ce pacte social de 1962 est-il toujours « social » en 2023 ? Entre 1960 et 2000, le revenu réel des Québécois a été multiplié par quatre, et, entre 2000 et 2021, le PIB réel a crû de plus de 40 %.

S’il reste encore des ménages à faible revenu qui ont des difficultés, la consommation électrique de la majorité des Québécois va bien au-delà des besoins essentiels.

 

L’électricité pas chère est gaspillée

La taille des maisons ne cesse d’augmenter… pour loger de moins en moins d’habitants par résidence.

Les piscines chauffées et les spas se multiplient – mais le pacte social doit maintenir les subventions aux consommateurs résidentiels et limiter leur exposition à l’inflation !

Pendant ce temps-là, les entreprises qui créent la richesse du Québec doivent être exposées à des prix plus grands, qui augmentent plus rapidement. À l’ère de la transition énergétique, cette logique perverse est complètement contre-productive.

Les consommateurs résidentiels représentent la plus grande proportion des ventes d’énergie pour Hydro-Québec, et ce sont eux qui contribuent le plus aux pointes hivernales.

Au lieu d’accélérer l’adoption de tarifs qui reflètent mieux la réalité des coûts, on décide de les épargner du plus gros de la hausse imposée aux autres catégories de consommateurs.

Et de continuer d’enterrer la question de l’interfinancement.

Cette absence de débat sert les intérêts de qui ?

Ni les entreprises, ni la transition énergétique… ni même les clients résidentiels, qui ne font que renforcer leurs vieilles habitudes de consommations, et pour qui le choc ne sera que plus dur quand la réalité des coûts du réseau électrique du futur va frapper.

Ce ne sont que les politiciens qui gagnent à court terme, en repoussant ces enjeux à plus tard.

Il existerait pourtant des voies de sorties, qui protègent les ménages à faible revenu et qui misent sur l’efficacité énergétique – de telle sorte que les nécessaires ajustements tarifaires à réaliser ne viennent pas plomber la facture des Québécois.

De telles solutions seraient une source de croissance, tout en nous faisant réellement progresser vers la transition énergétique.

 

À propos de ce blogue

Pierre-Olivier Pineau est professeur à HEC Montréal, où il est responsable de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie. Il cherche à contribuer à la transformation du secteur de l’énergie pour le mettre sur une trajectoire durable, qui allie prospérité, équité et respect des écosystèmes. Il a publié de nombreux articles universitaires et co-rédige chaque année l’État de l’énergie au Québec depuis 2015. Il vient de publier son premier livre, «L'équilibre énergétique».

Pierre-Olivier Pineau
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