Le budget de l'attente climatique

Publié le 22/03/2023 à 10:30

Le budget de l'attente climatique

Publié le 22/03/2023 à 10:30

Le problème, c’est que les sommes dépensées jusqu’à maintenant l’ont été sans avoir permis d’atteindre les cibles de réduction GES : les émissions en sol québécois n’ont diminué que de 13 % en 2020 par rapport à 1990, et ce grâce à la COVID-19 qui les a fait chuter de 10 % en un an seulement, de 2019 à 2020. (Photo: Getty Images)

BLOGUE INVITÉ. Le lendemain du dévoilement par le GIEC du rapport «Agir sans attendre pour le climat: la clé d'un avenir vivable» le gouvernement du Québec déposait son budget 2023-2024 le 21 mars. Le rapport du GIEC indiquait des pistes à suivre, Eric Girard a préféré suivre les pistes du passé.

Celles-ci ont été très efficaces pour alimenter la crise climatique. Voici donc une synthèse de quatre erreurs historiques que le budget répète.

 

1. Baisser les impôts pour alimenter… les GES

Les baisses d’impôts importantes que le budget va accorder aux Québécois nous feront consommer davantage, et surtout des biens matériels émetteurs de gaz à effet de serre (GES).

Voitures, voyages, produits importés, en l’absence d’une écofiscalité plus agressive, la consommation dans la province va reproduire les habitudes du passé, alors que justement nous devrions en développer de nouvelles.

Oui, les Québécois souffrent de l’inflation.

Mais la grande majorité de la population ne vit pas dans la misère et dans la privation de biens matériels.

Donner davantage d’argent à tous, à travers les baisses d’impôt, va inévitablement se traduire par une pression à la hausse sur les émissions.

Aider directement les Québécois à se soustraire de l’inflation aurait pu prendre diverses formes : mieux financer l’autopartage, le covoiturage, et transport en commun pour éviter d’avoir à acheter des véhicules individuels et des carburants.

C’est 1,7 milliard de dollars de baisses d’impôts par année, contre seulement 20 millions de dollars pour aider le transport ferroviaire, alors que celui-ci pourrait offrir des alternatives beaucoup plus écologiques et économiques aux Québécois.

 

2. Repousser le financement de la mobilité durable

Le budget le reconnait explicitement : le Fonds des réseaux de transport terrestre (FORT), qui finance les infrastructures routières et le transport en commun, va creuser son déficit dans les prochaines années.

C’est notamment à cause de la baisse des revenus de la taxe sur les carburants.

Alors que le gouvernement a en main depuis 2021 les recommandations du chantier sur le financement de la mobilité durable, rien n’est annoncé dans le budget pour amorcer un changement.

On choisit comme par le passé de repousser à plus tard les solutions, pendant que les problèmes s’accentuent : parc automobile en croissance, congestion, crise du transport en commun, records de ventes de diesel…

La «contribution» kilométrique – ou taxe kilométrique si l’on veut éviter les euphémismes gouvernementaux – est un des outils les plus documentés qui pourrait répondre aux exigences du futur.

 

3. Dépenser pour faire bouger

Alors que la population est de plus en plus assise dans ses véhicules routiers, les individus bougent moins.

Le gouvernement le reconnait et veut donc «faire bouger les Québécois».

Au lieu de mettre des incitatifs pour éviter de prendre sa voiture (pour plutôt marcher ou prendre un vélo), le gouvernement sort son portefeuille et va dépenser.

Oui, c’est bien d’investir dans plus d’activité physique.

Mais pourquoi ne pas changer le cadre physique qui nous amène à prendre la voiture plutôt que des transports actifs?

Des trottoirs, des pistes cyclables… Cela aurait l’effet de diminuer les dépenses en transport motorisé, de réduire les GES, tout en faisant bouger les Québécois.

Que des bénéfices!

 

4. Dépenser pour réduire les GES

Le gouvernement est très fier d’annoncer 1,4 milliard de dollars de plus sur 5 ans pour la lutte contre les changements climatiques.

Le problème, c’est que les sommes dépensées jusqu’à maintenant l’ont été sans avoir permis d’atteindre les cibles de réduction GES : les émissions en sol québécois n’ont diminué que de 13 % en 2020 par rapport à 1990, et ce grâce à la COVID-19 qui les a fait chuter de 10 % en un an seulement, de 2019 à 2020.

Les milliards de dollars dépensés dans les programmes n’atteignent pas leurs cibles.

Et si le gouvernement peut clamer avoir dépassé celles de 2020, avec 26 % de réduction, c’est parce que les émetteurs québécois ont dépensé plusieurs centaines de millions de dollars pour acheter des droits d’émissions en Californie.

Ce n’est pas plus d’argent pour des programmes inefficaces qu’il faut, mais cesser d’investir des milliards de dollars dans le problème : véhicules routiers neufs (près de 18 milliards en 2021), carburants (autour de 20 milliards en 2021) et tous les autres frais que notre dépendance aux véhicules individuels privés génèrent.

Alors que les experts du climat disent qu’il faut agir sans attendre, le gouvernement répète un budget qui nous enferme un peu plus encore dans la salle d’attente du changement.

Le climat, lui, n’attendra pas.

Nous allons payer le prix de notre inaction.

 

À propos de ce blogue

Pierre-Olivier Pineau est professeur à HEC Montréal, où il est responsable de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie. Il cherche à contribuer à la transformation du secteur de l’énergie pour le mettre sur une trajectoire durable, qui allie prospérité, équité et respect des écosystèmes. Il a publié de nombreux articles universitaires et co-rédige chaque année l’État de l’énergie au Québec depuis 2015. Il vient de publier son premier livre, «L'équilibre énergétique».

Pierre-Olivier Pineau
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