Bilan et défis après 30 ans de libre-échange nord-américain


Édition du 22 Novembre 2023

Bilan et défis après 30 ans de libre-échange nord-américain


Édition du 22 Novembre 2023

«Depuis 30 ans, l’ALENA — qui été remplacé l’ACEUM — a intégré comme jamais les économies canadienne, américaine et mexicaine. Pourtant, il reste encore beaucoup de potentiel pour les intégrer bien davantage.» (Photo: 123RF)

ANALYSE. Le 1er janvier, nous célébrerons 30 ans de libre-échange en Amérique du Nord. D’abord, de 1994 à 2020, avec l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), puis depuis juillet 2020, avec l’Accord Canada–États-Unis-Mexique (ACEUM), qui l’a remplacé. Les effets de ce libre-échange ont été importants, tout comme les défis à venir.

La libéralisation du commerce en Amérique du Nord a amorcé une petite révolution économique dans les années 1990. Non seulement il a facilité les échanges à l’échelle continentale de nos entreprises, mais il a aussi accéléré l’intégration de plusieurs chaînes logistiques, par exemple dans l’aérospatiale.

Il faut dire que l’accord bilatéral du Canada avec les États-Unis, entré en vigueur le 1er janvier 1989, avait déjà pavé un peu la voie.

À l’époque, pour exporter sur le marché américain, une entreprise canadienne devait payer des tarifs douaniers qui étaient en moyenne de 4 % à 5 %, selon l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

En revanche, ils pouvaient atteindre 20 % dans les secteurs dits « mous », comme la production de tapis, selon une analyse de « Les Affaires » publiée en janvier 2004, pour souligner les dix ans de l’ALENA et les 15 ans de l’Accord de libre-échange (ALE) avec les États-Unis.

Sur le plan commercial, l’ALE et l’ALENA ont été un franc succès, disent les économistes.

 

Nos exportations ont quintuplé aux États-Unis

Par exemple, uniquement avec les États-Unis, les exportations québécoises de marchandises ont été multipliées par trois de 1989 à 2002, passant de 17 à 57 milliards de dollars (G$), selon une analyse effectuée à l’époque par Manufacturiers et exportateurs du Québec (MEQ).

La valeur du dollar canadien par rapport à la devise américaine a sans doute pesé dans la balance, car le huard s’est presque toujours situé sous la barre des 0,70 $ US, de janvier 1988 à mai 2003.

En entrevue à « Les Affaires », Pierre Fortin, économiste à l’Université du Québec à Montréal, fait toutefois remarquer que le « gros boom » des exportations du Québec — qui a en fait débuté après la récession de 1990-1992 au Canada — a pris fin au début des années 2000.

« Ça s’est calmé par la suite, car la concurrence chinoise (qui s’est accélérée avec l’adhésion de la Chine communiste à l’OMC en 2001) sur le marché américain n’a pas été facile », précise-t-il.

Les données de l’Institut de la statistique du Québec des 15 dernières années confirment cette décélération de nos exportations aux États-Unis. De 2008 à 2022, elles y ont progressé uniquement de 61,8 %, pour atteindre 82,5 G$.

En revanche, nos exportations affichent toujours une progression assez dynamique au Mexique. Sur la même période, elles ont été multipliées par 2,4, passant de 941 millions de dollars à 2,24 G$.

 

Un second souffle au libre-échange

Trente ans après l’entrée en vigueur de l’ALENA, comment redonner un second souffle au libre-échange? Deux spécialistes en droit du commerce international expliquent à « Les Affaires » que l’ACEUM a le potentiel de renforcer les chaînes logistiques en Amérique du Nord.

Xavier Van Overmeire, associé et avocat au cabinet Dentons Canada, à Montréal, affirme que les entreprises d’ici peuvent se tourner davantage vers les technologies de l’information. Il souligne d’ailleurs que l’article 7.9 de l’ACEUM leur suggère fortement d’utiliser les TI.

Par exemple, des exportateurs peuvent se servir des procédés de reconnaissance optique de caractères (OCR ou « Optical Character Recognition ») afin de numériser les documents pour déclarer une marchandise.

Bernard Colas, associé et avocat au cabinet montréalais CMZK, plaide quant à lui pour une plus grande coopération entre Ottawa, Washington et Mexico afin de renforcer les chaînes logistiques nord-américaines.

À ses yeux, les trois pays peuvent faire plusieurs choses.

Ils pourraient harmoniser davantage leurs exigences en matière de documentation, leurs réglementations douanières, leurs procédures de dédouanement, puis leurs normes de qualité et de sécurité des produits.

Pour résoudre des problèmes plus rapidement, ils pourraient partager en temps réel des informations douanières à propos des entreprises et des risques auxquelles ces dernières sont confrontées.

Ils pourraient redoubler d’efforts afin d’éliminer des barrières non tarifaires, comme les règlements techniques, qui entravent souvent le commerce.

 

Du 19e siècle au 21e siècle

Contrairement à ce qu’on pourrait croire, l’adhésion du Canada à un libre-échange continental ne date pas d’hier.

De 1854 à 1868, le Canada et les États-Unis ont été liés par le Traité de réciprocité, qui avait notamment aboli des droits de douane sur les matières premières et les produits agricoles. Washington s’en est retiré, car le Canada, à l’époque une colonie britannique, avait pris parti pour le Sud durant la guerre de Sécession (1861-1865).

De 1935 à 1948, le Canada a eu un autre accord commercial avec les États-Unis, mais qui était moins ambitieux que le Traité de réciprocité. La mise en place, en 1948, de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) (l’ancêtre de l’OMC, qui comprenait à l’origine 23 pays, dont le Canada) a rendu cet accord bilatéral caduc.

Enfin, de 1965 à 2001, l’industrie automobile canado-américaine s’est intégrée grâce au Pacte de l’automobile. Cette entente a été abolie parce qu’elle était incompatible avec les règles du commerce international.

Le Canada a une longue tradition de libre-échange continentale qui remonte au milieu du 19e siècle. Depuis 30 ans, l’ALENA — qui été remplacé l’ACEUM — a intégré comme jamais les économies canadienne, américaine et mexicaine.

Pourtant, il reste encore beaucoup de potentiel pour les intégrer bien davantage.

Encore faut-il que les leaders politiques nord-américains aient la volonté et la vision de la faire comme dans le passé.

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand

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