Comment bâtir des rapports de force face à la Chine

Publié le 01/10/2021 à 15:26

Comment bâtir des rapports de force face à la Chine

Publié le 01/10/2021 à 15:26

Le président chinois Xi Jinping et le premier ministre Justin Trudeau, lors d'un sommet du G20 en juin 2019. (Photo: Getty Images)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE. La libération de Michael Kovrig et de Michael Spavor en échange du retour en Chine de la directrice financière de Huawei Meng Wanzhou annonce le début d’une relation difficile entre Ottawa et Pékin, et non d'une normalisation, comme l’ont laissé entendre certains observateurs.

La libération des deux otages canadiens —il n’y a plus vraiment doute sur les motifs de leur arrestation en 2018— est digne d’un scénario de la guerre froide, alors qu’Américains et Soviétiques s’échangeaient des prisonniers politiques, avec souvent un pays tiers pris en étau.

Le 24 septembre, Washington et Pékin ont conclu un accord, entériné par la justice américaine, au terme duquel la fille du fondateur du géant chinois des télécommunications Huaweï a pu rentrer en Chine, après avoir passé trois ans assignés à résidence à Vancouver.

Dans les heures suivantes, les autorités chinoises ont libéré les deux Michael, officiellement, en raison de la détérioration de leur état de santé… Ils croupissaient dans les geôles chinoises depuis trois ans, dans des conditions très difficiles, selon les services consulaires canadiens qui ont pu les visiter à quelques reprises.

En décembre 2018, à la demande de la justice américaine, les autorités canadiennes avaient arrêté Meng Wanzhou lors d’une correspondance à l’aéroport de Vancouver —le Canada a un traité d’extradition avec les États-Unis.

La justice américaine demandait son extradition afin qu’elle réponde à des accusations de fraude en lien avec des contrats que Huawei aurait conclus avec l’Iran, contrevenant ainsi aux sanctions américaines décrétées contre Téhéran.

La police chinoise a arrêté les deux Canadiens quelques jours plus tard, évoquant un enjeu lié à la sécurité nationale.

 

Le Canada était une cible parfaite

Ainsi, au lieu de s’en prendre directement aux États-Unis (à l'origine de son arrestation), dirigés alors par Donald Trump et sa politique commerciale très critique à l’égard de la Chine, Pékin a préféré s’attaquer au Canada, une puissance moyenne et le maillon faible dans ce triumvirat géopolitique.

Et, vous savez quoi, nous sommes plus que jamais à risque de faire à nouveau les frais —comme plusieurs autres pays, dont l’Australie— de la «diplomatie des otages» du parti communiste chinois.

Des dizaines de milliers de Canadiens vivent en Chine, sans parler des investisseurs et des gens d’affaires qui s’y rendent à l’occasion.

Ce sont des cibles potentielles pour les autorités chinoises si le gouvernement canadien prend des décisions qui vont à l’encontre des intérêts de la Chine.

Afin d’éviter de nouvelles représailles de Pékin, Ottawa pourrait par exemple à contrecœur accepter que Huawei déploie sa technologie 5G sur le territoire canadien, alors que les États-Unis l’ont interdite, craignant l’espionnage chinois.

Un pays ne peut pas vivre avec une telle épée de Damoclès au-dessus de sa tête, et il doit donc tenter de réduire ce risque géopolitique.

Or, contrairement à ce que pensent la plupart des observateurs des relations sino-canadiennes, le gouvernement fédéral peut se doter de rapports de force pour tenter réduire l’influence de Pékin sur la politique canadienne.

Mais encore faut-il que le Canada cesse de se comporter comme un herbivore dans un monde de carnivores, et qu'il commence à montrer les dents.

Car, malgré la présence d’institutions internationales, de traités et de conventions, le jeu des relations internationales s‘appuie essentiellement sur les rapports de force entre les pays et leurs alliés.

Voici cinq actions que le Canada peut prendre afin de se doter de rapports de force face à la Chine, qui est notre deuxième partenaire commercial après les États-Unis.

 

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Action #1 – Menacer les importations chinoises

Si la Chine exporte de nombreux produits finis et de composants sur le marché canadien, elle importe aussi du Canada de grandes quantités de ressources naturelles et de denrées alimentaires, et ce, du minerai de fer à la viande porcine.

Ces importations sont vitales pour développer son économie et nourrir sa population.

Aussi, Ottawa pourrait menacer de plafonner ou de réduire carrément ces importations stratégiques si jamais Pékin adoptait des politiques hostiles à l’égard du Canada ou de ses citoyens en Chine.

Certes, des entreprises canadiennes —les exportateurs de ces produits— pourraient pâtir de cette politique. Le gouvernement canadien devrait alors les compenser advenant une crise diplomatique.

 

Action #2 – Se coordonner avec nos alliés

Un pour tous, tous pour un, dit le célèbre adage.

Eh bien, le Canada doit se coordonner avec ses alliés qui fournissent également des ressources naturelles et de denrées alimentaires à la Chine pour décupler son rapport de force sur cet enjeu.

On pense ici à l’Australie, mais aussi aux États-Unis, voire des pays européens.

Aussi, si le gouvernement chinois menace l’un de ces pays, le Canada et ses alliés pourraient alors convenir d'une réponse coordonnée afin d’exercer une pression sur la Chine en ciblant ses importations stratégiques de ressources naturelles et de denrées alimentaires.

 

Action #3 – Réduire notre dépendance à la Chine

Afin de réduire l’influence de Pékin sur Ottawa, le Canada doit réduire sa dépendance économique —et par ricochet politique— à l’égard de la Chine.

Certes, ce pays regorge d’innombrables occasions d’affaires et d’investissement, mais ce n’est pas le seul dans la région Indo-Pacifique. Le Vietnam, l’Indonésie et l’Inde (notamment dans les services) en ont également.

Ces pays populeux affichent une forte croissance démographique et économique.

Même si ce sont des marchés dits matures, des pays industrialisés comme la Corée du Sud et le Japon— avec lesquels le Canada a des accords de libre-échange— sont aussi des marchés très intéressants pour les entreprises et les investisseurs canadiens.

 

Action #4 – Bloquer l’entrée de la Chine dans le PTP

De concert avec ses partenaires de la région Asie-Pacifique, Ottawa doit s’opposer à l’entrée de la Chine dans l’Accord de Partenariat transpacifique global et progressiste (mieux connu sous le nom Partenariat transpacifique), dont le Canada est membre avec 10 autres pays comme le Japon, l’Australie et le Vietnam.

Le 16 septembre, la Chine a demandé formellement de joindre l’APTGP, un geste qui a été vu comme une manœuvre politique par plusieurs observateurs.

Les États-Unis sont à l’origine du Partenariat transpacifique.

Ce projet économique est hautement politique, car il vise à contenir l’influence de la Chine et de s’assurer que les normes et les standards internationaux dans la région demeurent occidentaux.

Or, en 2017, sous la présidence de Donald Trump, les États-Unis ont quitté l’accord, laissant un grand vacuum géopolitique, que la Chine essaie de combler en voulant joindre le Partenariat transpacifique.

 

Action #5 - Joindre les alliances dans l’Indo-Pacifique

Le Canada doit tenter de joindre les alliances politiques et les militaires qui prennent forme dans l’Indo-Pacifique, et ce, afin de limiter l'impact de pressions indues de la Chine sur le pays —appartenir à des coalitions réduit ce risque.

Le 16 septembre, par exemple, les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie ont annoncé la constitution d’un nouveau partenariat de sécurité dans cette région du monde. Cette nouvelle alliance, décriée par la Chine, est baptisée AUKUS.

Cette région du monde abrite aussi le QUAD (Quadrilateral Security Dialogue), un partenariat stratégique entre les États-Unis, le Japon, l’Australie et l’Inde, initié en 2007.

Les membres du QUAD partagent une vision commune d’un Indo-Pacifique «libre et ouvert», qui se veut une réponse aux prétentions de Pékin de contrôler la mer de Chine orientale et la mer de Chine méridionale.

Les marines du QUAD conduisent des exercices militaires ensemble.

La Chine communiste n’est pas l’ennemi du Canada, mais elle n’est pas non plus un pays ami —c'est à la fois un partenaire et un adversaire.

Dans la mesure du possible, nous devons continuer à maintenir de bonnes relations politiques et économiques avec la Chine, et, surtout, ne pas couper les ponts avec ce géant asiatique.

Pour autant, même si le Canada est une puissance moyenne, il a droit à un certain respect, et à ce que de ses citoyens ne soient pas victimes de la «diplomatie des otages» du parti communiste chinois.

Et, pour cela, il faut arriver à faire comprendre à la Chine qu’il peut y avoir un prix élevé à s’attaquer au Canada.

Et cela passe par la constitution de rapports de force.

C’est la seule façon de mieux protéger les Canadiens en Chine, tout en continuant à faire du commerce avec ce pays.

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand