L'exportation culturelle, nouveau tremplin des gens d'affaires

Publié le 26/05/2012 à 00:00

L'exportation culturelle, nouveau tremplin des gens d'affaires

Publié le 26/05/2012 à 00:00

L'industrie culturelle est en croissance et son apport dans l'économie est plus important que celui du secteur minier. Elle définit de plus en plus l'image du Québec à l'étranger, au grand bonheur de nos gens d'affaires.

Si vous avez l'impression que la culture québécoise rayonne partout, vous ne rêvez pas.

En février, la mégastar Madonna s'entourait du Cirque du Soleil et de la firme multimédia montréalaise Moment Factory pour donner un éclat moderne et singulier à son spectacle de la mi-temps au Super Bowl. Plus tard le même mois, au gala des oscars, Monsieur Lazhar, de Philippe Falardeau, était finaliste dans la catégorie Meilleur film en langue étrangère, tout juste un an après Incendies, de Denis Villeneuve. Ce soir-là, devant tout Hollywood et les téléspectateurs du monde entier, le Cirque du Soleil, dans de fabuleuses envolées, rendait un vibrant hommage au cinéma. La mise en scène était signée Shana Carroll, des 7 doigts de la main, une jeune troupe québécoise qui quelques jours auparavant, remportait l'or à Paris au cours du plus important festival de cirque du monde.

Pendant ce temps, à Las Vegas, la reine Céline, installée au Colosseum depuis mars 2011, continue de faire salle comble 70 soirs par an. Le Cirque du Soleil déploie 21 spectacles dans le monde, Coeur de Pirate grimpe dans les palmarès en France avec Blonde, le jeune chef d'orchestre Yannick Nézet-Séguin fait ses débuts à la Royal Opera House de Londres, les chevaux blancs de Cavalia Odysseo caracolent à Miami, et Robert Lepage brille au Metropolitan Opera de New York avec sa mise en scène du Crépuscule des dieux. Tout cela en l'espace d'un mois. Et la liste de nos exportations culturelles du début de l'année pourrait s'allonger encore. L'humoriste Stéphane Rousseau, par exemple, amorçait en mars une tournée des Zénith en France, des salles de plus de 3 000 places, pendant une tournée d'une quinzaine de soirées.

«Pour sept millions d'habitants, nous sommes plus créatifs que bien des sociétés de 25 millions !» s'exclame Gilbert Rozon, le président du Groupe Juste pour rire. Pensez au nombre de spectacles internationaux que nous avons. Pour trouver un autre exemple, vous allez chercher longtemps. Je pense que nous rayonnons plus que les Français, et nous sommes vraiment plus petits.»

«La culture est en train de devenir notre marque de commerce la plus respectée, pense le président de la SODEC, François Macerola. Oui, il y a d'autres domaines où le Québec joue un rôle important dans les milieux économiques, mais quand on parle du Québec, ce qui vient en premier, c'est le Cirque du Soleil, Céline Dion, Juste pour rire, le Festival international de jazz de Montréal ou Leonard Cohen.»

Des artistes, des ambassadeurs

Il est impossible de chiffrer la valeur des exportations culturelles québécoises. Les statistiques disponibles excluent les plus grands acteurs, les entreprises privées comme le Cirque du Soleil, dont le chiffre d'affaires annuel frôle le milliard de dollars, les Productions Feeling (René Angélil et Céline Dion) ou les Productions Juste pour rire, qui vendent leurs gags télévisuels dans 135 pays et sur 95 lignes aériennes. La seule étude disponible sur les exportations culturelles du Québec a été réalisée par l'Observatoire de la culture et des communications du Québec en 2008, et elle chiffrait les exportations culturelles à 508,5 millions de dollars. Elle ne tenait compte dans les arts de la scène (43,9 M$) que des organismes sans but lucratif. Ceux-ci, soutenus par des subventions pour les tournées, donnaient 35 % de leurs représentations hors Québec, dont 12 % à l'étranger. Le reste du Canada, lui, ne parvenait à exporter que 6,5 % de sa production scénique.

Tout n'est pas quantifiable dans les retombées du secteur culturel, mais une chose est certaine : les artistes-ambassadeurs contribuent à sortir des clichés qui collent à la plupart des pays. Dans le cas du Québec, sirop d'érable et traîneaux à chiens.

«Nos figures emblématiques renvoient une image de ce que nous sommes vraiment, un pays moderne et créatif. Elles nous forgent une réputation de sophistication. Plus nous avons d'artistes, moins notre société est perçue comme folklorique», note François Colbert, expert du branding et titulaire de la Chaire en management culturel des HEC.

Cependant, François Colbert n'est pas convaincu que la culture québécoise porte une image de marque bien définie à l'étranger, du moins hors des milieux culturels. Le professeur Claude Martin, de l'Université de Montréal, expert de l'économie des industries culturelles, partage cet avis.

«La culture québécoise réussit à s'exporter dans beaucoup de domaines, mais pas toujours en affichant le caractère culturel de son origine. Le Cirque du Soleil, c'est du savoir québécois, mais ça ne se reconnaît pas comme étant québécois», remarque-t-il.

Ceux qui voyagent à l'étranger le constatent sur le terrain. Hans Fraikin parcourt l'Europe, l'Asie et les États-Unis à titre de commissaire du Bureau national du cinéma et de la télévision du Québec et remarque que la moitié des gens qu'il rencontre ne savent pas que le Cirque du Soleil est une entreprise québécoise. Ce qui ne l'empêche pas de s'en servir pour faire bonne impression auprès des producteurs étrangers.

«Quand le Cirque présente un spectacle à Santa Monica, je réserve 40 places, j'invite des personnalités très importantes et je fais de la promotion. J'associe leur belle soirée au Québec. Je le fais aussi à Londres, à New York ou à Los Angeles.»

Avoir au Québec une figure emblématique de cette envergure comporte de nombreux autres avantages. En effet, l'entreprise de Guy Laliberté, c'est 2 000 emplois au siège social de Montréal, c'est la naissance de l'École de cirque, et c'est une porte ouverte sur le monde pour les autres compagnies dont il a stimulé l'envol, qu'il s'agisse du Cirque Éloize ou des 7 doigts de la main.

«Il y a maintenant une grappe industrielle du cirque à Montréal. Elle est réelle et fonctionnelle, remarque Nassib El-Husseini, le directeur des 7 doigts de la main. On trouve des partenariats entre les compagnies, et aujourd'hui, le cirque québécois est considéré comme un art d'avant-garde, mais une avant-garde qui rejoint le public, pas seulement les connaisseurs.»

Le Cirque du Soleil est une puissante locomotive pour bien d'autres entreprises de création québécoises. Pour le spectacle du Super Bowl, visionné par 111 millions de téléspectateurs, le chorégraphe de Madonna a communiqué avec le Cirque, et c'est ce dernier qui a fait appel au génie multimédia de Moment Factory, qui s'était déjà illustrée avec Céline Dion et Arcade Fire.

«Depuis le Super Bowl et depuis notre participation le lendemain aux spectacles du rappeur Jay-Z à New York, le volume d'occasions qui se présentent à nous est sans précédent. Chaque semaine, de 15 à 20 projets nous sont offerts en provenance du monde entier», ajoute Éric Fournier, l'ancien vice-président du Cirque du Soleil qui est maintenant partenaire et producteur exécutif de Moment Factory.

Cinéma

Au cinéma, nos films d'auteur ne rapportent peut-être pas des dizaines de millions comme les films d'Hollywood ; la langue française reste une barrière, mais les succès répétés de nos cinéastes aux oscars, aux césars, aux génies, à Cannes et à d'autres festivals internationaux commencent à susciter un intérêt particulier. On surveille les Philippe Falardeau, Denis Villeneuve, Xavier Dolan et Jean-Marc Vallée.

«On sent un engouement, disent les producteurs d'Incendies Luc Déry et Kim McCraw, de Micro_Scope. Les gens du milieu demandent ce qui s'annonce, ils sont intéressés par la variété de ce qui sort. Depuis deux ou trois ans, autant de titres qui s'illustrent dans des festivals majeurs et qui sont vendus dans 20 à 25 pays à de vrais distributeurs, avec de vraies sorties en salles, c'est une performance exceptionnelle.»

La créativité de nos cinéastes stimule l'expertise de nos techniciens, dont le savoir-faire est de plus en plus recherché. Le Québec vient de connaître deux années records pour l'accueil de tournages étrangers. En 2011, c'étaient 3 650 emplois et 253 M$ en retombées directes, presque quatre fois plus qu'en 2009, et pour la première fois, le Québec dépassait l'Ontario.

«Pour promouvoir le savoir-faire québécois, je parle de la créativité québécoise. Le Cirque du Soleil, ce n'est pas que des acrobaties, c'est une expertise sur le plan de la mise en scène et de l'art du costume. Nous avons cela, et en plus, nous avons des films qui s'exportent, nous avons des firmes comme Moment Factory, nous avons le Festival de jazz. Séparément, c'est cute, mais dans son ensemble, tout cela reflète une grande créativité», juge Hans Fraikin, du Bureau du cinéma et de la télévision. Il souligne que Montréal, grâce à sa trentaine de sociétés de production d'effets visuels, dont plusieurs négocient avec Hollywood, est le septième centre en importance à l'échelle mondiale dans ce domaine et le troisième centre pour le jeu vidéo, qui a de plus en plus d'affinités avec le cinéma.

Une image de marque

L'exportation de notre culture remonte à Félix Leclerc. Depuis, le Québec a toujours eu des figures de proue ; pensons à Gilles Vigneault, aux cinéastes Gilles Carle et Denys Arcand, à Luc Plamondon et à Starmania, à LaLaLa Human Steps, à l'Orchestre symphonique de Montréal ou à Michel Tremblay. Mais l'effervescence des dernières années est sans précédent.

«En France, c'est presque un plus d'être québécois en ce moment, remarque le producteur Paul Dupont-Hébert, qui a été à l'origine des succès de Notre-Dame de Paris, Pascale Picard, The Lost Fingers et Gilles Vigneault. C'est devenu plus facile aujourd'hui de vendre nos artistes en France parce que les Roch Voisine et Isabelle Boulay ont enfoncé des portes. Maintenant, quand j'arrive avec un artiste québécois, on prend le temps de l'écouter.»

Paul Dupont-Hébert reconnaît d'emblée que le modèle québécois en matière culturelle a porté ses fruits. Car ce qui a permis l'éclosion et l'exportation des talents, c'est une offensive tous azimuts depuis la Révolution tranquille pour stimuler la création, la diffusion et l'édition. Sans Télé-Québec, Radio-Canada, la SODEC et le Conseil des arts et des lettres du Québec, on ne parlerait sans doute pas de la culture québécoise à l'étranger.

«Il y a eu une volonté des gouvernements d'investir dans la culture. Il en a fallu des ministres des Affaires culturelles qui ont bien compris le système ni privé ni entièrement public et qui ont soutenu les organismes. Maintenant que le système est bien établi, les vagues se succèdent et la culture s'est intégrée dans la société», estime François Macerola.

Non seulement elle est intégrée dans la société, mais l'industrie culturelle est en croissance et son apport dans l'économie du Québec, 10 milliards de dollars (4,1 % du PIB), est plus important que celui du secteur minier (1,6 % du PIB). Selon la SODEC, au Québec, 130 000 emplois dépendent de la culture, dont 70 % sont concentrés à Montréal. Et la culture ne rapporte pas qu'à ses créateurs et à ses diffuseurs, elle est aussi un atout important pour les milieux d'affaires.

«Je pense qu'elle crée un espace relationnel qui est bon pour l'économie, parce que les gens se disent que si nous sommes créatifs sur le plan culturel nous le serons dans d'autres secteurs. Notre économie repose sur les ressources naturelles, ça nous colle à la peau, mais aujourd'hui, nous voulons vendre des technologies, alors nous avons besoin de nos créateurs contemporains pour en rendre compte», soutient Simon Brault, président de Culture Montréal et auteur du livre Le facteur C. Il ajoute qu'une culture forte contribue aussi à attirer chez soi les travailleurs les plus éduqués, sensibles à l'aura d'une nation, à l'image de liberté et d'ouverture véhiculée par la culture québécoise.

Si certains experts doutent de la définition de l'image culturelle du Québec à l'étranger, les acteurs du milieu, eux, sont convaincus qu'elle se démarque et qu'il y a un fil conducteur entre Céline Dion, Robert Lepage et les autres grands artistes.

«Notre image de marque culturelle se définit par notre capacité à prendre des risques et à sortir des sentiers battus. Notre culture est iconoclaste et décoincée parce que nous n'avons pas un débat constant sur le rapport à la tradition. Ici, nous nous sommes donné la permission de tout réinventer depuis Le Refus global», analyse Simon Brault, qui est aussi directeur général de l'École nationale de théâtre.

La créativité du Québec se distinguerait aussi par son décloisonnement. Les artistes ne travaillent pas en silo, les disciplines variées se fréquentent et s'épousent, cohabitent souvent chez le même artiste.

«C'est cette collaboration qui rend Montréal unique et elle va plus loin que la rencontre des disciplines artistiques, remarque Éric Fournier, de Moment Factory. À Montréal, les gens de différents milieux se croisent lors des activités, car ce n'est pas grand comme Paris. Alors, les gens de l'aéronautique parlent aux gens du spectacle et il y a innovation. Le meilleur exemple ? On a trouvé dans le domaine de la sécurité l'outil qui nous a aidés à reconnaître les mouvements sur scène du leader de Nine Inch Nails.»

C'est exactement le genre de lien qui permet à Simon Brault de rêver à l'établissement d'une métropole culturelle véritable, dont l'envergure dépasserait les festivals.

«Ce serait intéressant que la culture devienne la synthèse, l'intégrateur des autres secteurs d'activité de la ville. Que la culture serve de révélateur des autres dimensions économiques et historiques de Montréal.»

Avec autant d'artistes connus à l'échelle mondiale, Simon Brault estime que le Québec est bien outillé, mais il considère «inimaginable» que Montréal parvienne à se classer parmi les grandes métropoles culturelles du monde comme New-York, Paris ou Berlin, sans une contribution plus importante du secteur privé, qui plafonne actuellement à 21 %.

Le Québec rayonne par ses exportations, comme probablement aucune autre petite société, mais il n'a pas encore atteint le niveau qui fera de la culture l'aimant irrésistible qui attirera les touristes et les talents du monde entier.

4,6 %

La croissance annuelle des emplois dans le domaine culturel à montréal de 1998 à 2008

C'est 3 fois plus que la moyenne globale du marché du travail (1,7 %)

(Source : Chambre de commerce de Montréal et Conseil des arts de Montréal)

10 G$

L'industrie culturelle est en croissance et son apport dans l'économie du Québec totalise

7e

C'EST LA POSITION MONDIALE QU'OCCUPE MONTRÉAL DANS L'INDUSTRIE DES EFFETS VISUELS

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