La raison n'a pas toujours raison

Publié le 18/03/2010 à 15:31

La raison n'a pas toujours raison

Publié le 18/03/2010 à 15:31

Par Premium

Les études scientifiques sur la prise de décision foisonnent. En général, elles tendent à montrer que nos émotions influent grandement sur nos décisions, au point que nombre de nos erreurs sont prévisibles. Vos proches savent-ils avant vous que vous venez d’accepter un emploi qui ne vous convient pas, ou que vous vous apprêtez à épouser le mauvais partenaire ? Ne vous demandez pas pourquoi...

En 1982, Baruch Fischhoff, professeur à l’Université Carnegie-Mellon, en Pennsylvanie, s’est interrogé sur l’efficacité des solutions le plus souvent préconisées pour empêcher une prise de décision « biaisée ». Il en a étudié quatre parmi les plus populaires :

1. Dire à la personne en plein processus de décision que son émotion peut influer sur sa réflexion;

2. Décrire cette émotion et l’influence qu’elle peut avoir;

3. Fournir de la rétroaction après que la décision a été prise ;

4. Proposer un programme de formation élaboré comprenant de la rétroaction, du coaching et d’autres interventions pouvant améliorer le jugement.

Résultat des recherches de Baruch Fischhoff, toujours pertinentes aujourd’hui : les trois premières solutions ne fonctionnent pas vraiment, et la quatrième n’améliore que légèrement le processus décisionnel. Bref, pas de bonnes nouvelles pour les psychologues et les économistes, dont le rêve consiste à améliorer notre capacité à prendre de bonnes décisions…

Moins d’intuition, plus de raison

Heureusement, on a réalisé récemment d’intéressantes avancées, en partie grâce au travail de Keith Stanovich, psychologue à l’Université de Toronto, et de son collègue Richard West. D’après eux, on peut classer nos réflexions en deux catégories : celles de type 1, qui font appel à notre système intuitif, généralement reconnu pour être rapide, automatique, sans effort, implicite et émotionnel; et celles de type 2, qui reposent davantage sur le raisonnement, lequel est perçu comme étant conscient, explicite, logique, plus lent et plus exigeant.

Lorsque nous devons prendre une décision, nous oublions souvent de prendre en considération certains détails importants, et nous faisons face à des contraintes de temps et de coûts. Si bien que notre mémoire utilisable ne conserve qu’une quantité relativement faible d’informations. Ainsi, plus nous sommes occupés, plus nous avons la tête pleine, plus nous sommes soumis à des délais serrés, et plus nous risquons de miser sur une pensée de type 1.

La solution? Réussir à passer d’une réflexion de type 1 à une réflexion de type 2, grâce à différentes stratégies prometteuses qui reposent sur la capacité de remplacer une perception intuitive par un processus analytique plus formel. Par exemple, un leader peut revenir sur une décision passée pour savoir si elle est ou non de type 1 et, si oui, voir s’il y aurait un moyen de modifier sa réflexion pour la transformer en type 2. Un truc consiste à rédiger une formule présentant les différentes étapes de la réflexion jusqu’à la décision finale. On est ainsi en mesure de déceler les moments où la pensée a été influencée et, par conséquent, les situations où on aurait eu avantage à faire appel à la raison. Des études récentes montrent qu’un tel processus permet à tout le monde de prendre des décisions plus efficaces, que l’on soit expert ou novice.

Des applications quant à la méthode de rédaction d’une formule existent d’ores et déjà, notamment en ce qui a trait aux processus d’embauche ou de sélection de candidats. Quand les responsables des admissions au cycle supérieur doivent recruter leurs futurs étudiants parmi les diplômés de premier cycle issus de différentes universités, ils risquent de faire une mauvaise sélection, parce qu’ils ne tiennent pas compte du fait que certains candidats ont bénéficié de l’indulgence de leurs enseignants pour obtenir leur diplôme. Pourtant, il existe un moyen de réduire ce risque : bâtir une formule mathématique qui utiliserait la moyenne pondérée cumulative (MPC) de chaque candidat, ajustée en fonction de la MPC de son université. Un tel mode de calcul a été testé et semble donner des résultats dans certains cas.

Autre stratégie pour passer d’une pensée de type 1 à une pensée de type 2: adopter consciemment le point de vue d’une personne extérieure au problème, et s’efforcer de prendre du recul. Cette façon de faire permet d’éviter l’erreur trop fréquente qui consiste à agir par excès de confiance, sans prendre le temps de réfléchir au problème. Bien entendu, si un tel exercice paraît trop complexe, rien ne nous empêche de demander à une personne neutre son avis sur ce qui nous préoccupe.

Enfin, on peut envisager de faire réfléchir ensemble un groupe de personnes, au lieu de laisser un individu cogiter seul dans son coin. Des études montrent que cette technique réduit le nombre de mauvaises décisions. Ou encore, on peut inciter un leader à partager le fruit de ses réflexions avec d’autres travailleurs dans l’entreprise, en vue de contrecarrer tout raisonnement statique.

L’importance d’affiner son intuition

Albert Einstein a déclaré un jour: « On ne peut résoudre des problèmes en pensant de la même façon qu’on l’a fait quand on les a créés. » Pourtant, il semblerait que notre inconscient, lui, peut y arriver.

Ces dernières années, des chercheurs ont proposé une toute nouvelle stratégie pour améliorer le processus de décision qui, contrairement aux autres, repose davantage sur l’intuition. Plutôt que d’essayer de faire passer la pensée du type 1 au type 2 dans des situations où le type 1 fait généralement fausse route, on transforme l’environnement lui-même, de façon à ce que la pensée de type 1 donne de bons résultats.

Cette stratégie, dont Richard Thaler et Cass Sunstein ont traité abondamment dans leur ouvrage intitulé Nudge, maximise les chances pour un individu de prendre une bonne décision en se fiant à son intuition. Par exemple, on peut vaincre la tendance qu’ont certaines personnes à ne rien décider ou à privilégier systématiquement le statu quo, en leur proposant des options par défaut.

Une autre application envisageable touche les décisions qui sont faussées inconsciemment par nos préjugés, notamment ceux d’ordre racial. De nombreuses expériences montrent qu’une personne ne peut surmonter ses tendances racistes par un simple effort de volonté. Autrement dit, essayer d’être neutre est voué à l’échec. En revanche, durant ces mêmes expériences, on a constaté qu’en présence d’un expérimentateur noir plutôt que blanc, les gens subis¬saient moins les effets des préjugés raciaux. Une conclusion s’impose : si on change l’environnement immédiat d’une personne, son a priori disparaît sans qu’elle s’en rende compte. Faites travailler ensemble des gens d’origines diverses, et vous verrez la différence.

Maîtrisez vos démons intérieurs

Imaginons une personne qui doit commander un repas dans un restaurant italien. Indécise, elle hésite entre la délicieuse pizza maison – un vrai péché – et une salade, comme le commande la raison. Une bataille fait rage dans sa tête jusqu’à ce que le serveur se racle la gorge, penché au-dessus d’elle, pour lui faire comprendre qu’elle doit se décider. Elle opte pour la pizza : le « ce qu’elle veut » l’a emporté sur « ce qu’elle doit » choisir.

Nous avons tous en nous un démon et un ange : le « Je veux », qui cherche à obtenir tout ce qu’il peut de plaisirs immédiats, et le « Je dois », qui veille aux intérêts à long terme. L’un s’intéresse aux désirs qu’on éprouve au moment de trancher, l’autre se préoccupe davantage des raisons pour lesquelles on devrait faire tel ou tel choix.

Selon George Loewenstein, professeur à l’Université Carnegie-Mellon, des facteurs viscéraux, comme la faim, prennent souvent le dessus au moment où une personne prend une décision. On choisit le désir quand la décision touche quelque chose de viscéral – « Je veux un cheeseburger avec des frites » – et le devoir quand elle a trait à quelque chose de volontaire : « Je veux perdre du poids. »

De fait, des études fondées sur l’imagerie cérébrale montrent que le cerveau fait appel à deux systèmes distincts pour mettre en branle son processus décisionnel : l’un est activé par les décisions associées aux récompenses immédiates (« Je veux »), l’autre par les décisions impliquant des récompenses à long terme (« Je dois »).

Le Parc jurassique ou La liste de Schindler ?

Pour faire un choix optimal entre le « Je veux » et le « Je dois », il faut calculer mentalement ce que nous apporte vraiment chaque option, à court et à long terme. Même si les options du « Je dois » présentent des avantages à long terme, dans bien des cas, les bénéfices à court terme des options du « Je veux » sont suffisamment forts pour l’emporter.

De plus, il faut tenir compte d’une variable importante : l’avenir. Nous avons nettement plus tendance à écouter notre ange intérieur que notre démon quand la décision a trait à une situation à venir. Et lorsqu’il s’agit d’une décision ayant un effet immédiat, c’est le « Je veux » qui s’impose. Exemple : pour nombre d’entre nous, l’idée d’aller faire un tour au gym demain est plus séduisante que celle d’y aller sur-le-champ. De la même façon, l’idée de commencer un régime alimentaire la semaine prochaine a beaucoup plus d’attrait que celle de le faire tout de suite.

Pire encore, nous avons tendance à inverser nos préférences quand il y a un délai entre la prise de décision et l’action. Imaginons que vous voulez louer un film en DVD de Steven Spielberg. Votre dilemme sera : « Je veux » voir Le Parc jurassique, « je dois » regarder La liste de Schindler. Votre décision résultera d’un calcul mental tenant compte du délai. Si vous avez l’intention de voir le film le lendemain soir, vous aurez vraisemblablement tendance à écouter votre ange intérieur et à choisir La liste de Schindler. Mais si vous pensez le regarder le soir même, alors votre démon prendrait sûrement le dessus et vous pousserait à louer Le Parc jurassique.

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