«Devrions-nous tous abandonner le télétravail?»

Publié le 30/01/2024 à 07:45

«Devrions-nous tous abandonner le télétravail?»

Publié le 30/01/2024 à 07:45

Par Olivier Schmouker

Le télétravail présente des avantages, mais pas que... (Photo: Andrew Neel pour Unsplash)

MAUDITE JOB! est une rubrique où Olivier Schmouker répond à vos interrogations les plus croustillantes [et les plus pertinentes] sur le monde de l’entreprise moderne… et, bien sûr, de ses travers. Un rendez-vous à lire les mardis et les jeudisVous avez envie de participer? Envoyez-nous votre question à mauditejob@groupecontex.ca

Q. – «Aujourd’hui, la lutte est farouche entre ceux qui sont pour le télétravail et ceux qui sont contre. Je ne sais plus trop quoi en penser. Une question me taraude: comment se fait-il que les Google et Meta de ce monde aient été les premiers à l’adopter dès que la pandémie est survenue et qu’ils aient été aussi les premiers à vouloir l’abandonner une fois les risques atténués? Devrions-nous tous faire comme eux?» – Samuel

R. – Cher Samuel, quand on parle de télétravail, de quoi parle-t-on au juste? Tout bonnement de distance entre les travailleurs, en particulier entre les membres d’une même équipe. Maintenant, la question est de savoir si cette distance est, en général, quelque chose de bénéfique ou de nocif. Il se trouve que trois chercheuses américaines ont regardé ce point précis et viennent de dévoiler les résultats de leur étude. Regardons ça ensemble.

Natalia Emanuel est économiste à la Réserve fédérale de New York. Emma Harrington, professeure d’économie à l’Université de Virginie, à Charlottesville (États-Unis), et Amanda Pallais, professeure d’économie à Harvard. Ensemble, elles ont analysé le travail et la productivité des employés d’une firme technologique figurant dans le Fortune 500, ce palmarès des 500 premières entreprises américaines, classées en fonction de leur chiffre d’affaires. Leur mission: répondre à la question «Quels sont les effets de la proximité entre collègues?»

L’entreprise en question, dont l’anonymat est préservé par les chercheuses, dispose d’un campus principal, composé de deux bâtiments distants de plusieurs pâtés de maisons. Cette disposition des bureaux est intéressante, car les employés étaient amenés à travailler, avant la pandémie, aussi bien avec des collègues à proximité (même bâtiment) qu’à distance (autre bâtiment). Il y avait donc déjà du travail à distance avant la pandémie. Et une fois la COVID-19 venue, le campus a fermé, si bien que les employés ont tous dû télétravailler. Autrement dit, les chercheuses disposaient de précieuses données sur toutes sortes de façons de travailler.

Résultats? Ils sont carrément fascinants.

– La proximité favorise les échanges. Lorsque les bureaux étaient ouverts, les employés travaillant dans le même bâtiment que tous leurs coéquipiers recevaient 22% plus de commentaires en ligne que ceux ayant des coéquipiers éloignés. Des commentaires en ligne? Il s’agit, en fait, d’échanges de courriels entre employés concernant directement leur travail: une question, une demande de rétroaction, etc. Après la fermeture des bureaux à cause de la COVID-19, cet avantage a disparu en grande partie.

Ça signifie qu’être physiquement proche de ses collègues permet davantage les échanges avec les autres. Aussi bien en ligne qu’en personne (les chercheuses n’ont pas de données chiffrées à ce sujet, mais, en toute logique, on peut raisonnablement estimer que ce qui est vrai en ligne se vérifie aussi en personne).

– La proximité nuit à la productivité. On pourrait croire a priori que la hausse des échanges aurait tendance à accroître la productivité des uns et des autres: par exemple, on avance plus vite dès lors qu’on a la bonne information. Mais l’étude montre qu’échanger avec les autres diminue le rendement des employés à court terme, en particulier les employés séniors.

Pourquoi? Parce que les échanges peuvent être longs, surtout lorsqu’un jeune employé demande des conseils à un employé qui a davantage d’expérience que lui. S’il se permet de le déranger, c’est bien parce qu’il est coincé, et pour débloquer la situation, ça peut prendre du temps à l’employé expérimenté de comprendre le problème et de trouver les bons mots pour enseigner à son jeune collègue comment le résoudre par lui-même.

Maintenant, cela se vérifie-t-il aussi à distance? Pas vraiment, car, en fait, les jeunes employés sont nettement plus réfractaires à déranger ainsi un employé expérimenté. À distance, ça leur paraît plus complexe de formuler une telle demande.

À noter un point particulier: la baisse de la productivité due à la proximité se vérifie surtout auprès des femmes. Car elles sont plus promptes à demander un coup de main et plus promptes aussi à prendre le temps de bien expliquer lorsqu’on le leur demande.

– La proximité nuit à la progression salariale à court terme, mais se révèle bénéfique à moyen et long termes. Dans l’entreprise en question, la rémunération est influencée par le rendement de chacun. Il n’est donc pas étonnant de constater qu’à court terme les employés qui travaillent au bureau sont moins susceptibles d’avoir une augmentation de salaire que ceux qui télétravaillent: l’écart entre les deux est de 5 points de pourcentage. À noter que cet écart est un poil plus important pour les femmes.

Cela étant, à moyen et long termes, on assiste au phénomène inverse: ceux qui travaillent au bureau sont plus susceptibles d’avoir une hausse de salaire que ceux qui télétravaillent. L’écart, cette fois-ci, est de 7 points de pourcentage. L’explication est simple: à force d’échanger avec les autres, ils accumulent davantage de «capital humain» (savoir-faire + savoir-être) que les autres, ce qui se révèle payant au fil du temps. Là encore, cet écart est un poil plus important pour les femmes.

Bref, on note que la proximité a du pour et du contre. Les trois chercheuses américaines le résument avec brio: «La proximité accroît le développement du capital humain à moyen et long termes au détriment de la productivité à court terme», concluent-elles.

C’est ce qui explique, entre autres, l’évolution de la vision de Mark Zuckerberg, le cofondateur de Facebook et PDG de Meta, sur le télétravail. Il a examiné les données de performance de Meta à court et moyen termes avant, pendant et depuis la pandémie, et il en est arrivé à la conclusion que «les coûts du télétravail dépassaient ses avantages pour les jeunes travailleurs». Et il le dit sans ambages dans une note rendue publique en 2023: «Nos jeunes ingénieurs obtiennent en général de meilleurs résultats lorsqu'ils travaillent en personne avec leurs coéquipiers au moins trois jours par semaine», indique-t-il. D’où sa décision de mettre le holà au télétravail chez Meta.

Voilà, Samuel. Le télétravail, on vient de le voir, a du positif comme du négatif. Du positif à court terme. Et du négatif à moyen et long termes. Reste donc à voir ce qui est le mieux pour vous, mais aussi pour vos collègues et pour votre organisation. Viser le court terme? Ou viser à plus longue échéance? Et si la solution résidait dans un savant mélange des deux…

 

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