La dissidence de Réjean Robitaille

Publié le 01/04/2009 à 00:00

La dissidence de Réjean Robitaille

Publié le 01/04/2009 à 00:00

Il n'y a pas d'investissement plus sûr qu'une maison. C'était l'argument qui motivait la vente de papier commer-cial adossé à des actifs (PCAA) ou l'octroi de prêts hypothécaires risqués, deux des causes de la crise financière qui sévit à l'heure actuelle.

L'argument n'a pas convaincu Réjean Robitaille, PDG de la Banque Laurentienne du Canada. Il a fait un acte d'humilité peu commun chez les banquiers en refusant de suivre le mouvement collectif et de souscrire à ces investissements, qui ont fragilisé ou carrément torpillé une foule de géants financiers en moins de deux ans.

"Notre philosophie, c'est que quand nous ne comprenons pas quelque chose, nous posons des questions. Et si nous ne comprenons toujours pas, nous n'y touchons pas, explique Réjean Robitaille. C'est une évidence, mais il est étonnant de voir avec quelle facilité les gens peuvent l'ou-blier." Résultat : alors que les banques américaines, européennes et certaines banques canadiennes radiaient des milliards de dollars de leurs bilans quand la bulle hypothécaire a éclaté, la Laurentienne, elle, est sortie indemne de la tempête. En 2008, elle a même enregistré un profit record de 102,5 millions de dollars.

Réjean Robitaille a été premier vice-président aux Services financiers aux par-ticuliers et aux entreprises, puis chef de l'exploitation, avant de devenir PDG de la Laurentienne, à la fin de 2006. Il s'est donc retrouvé au coeur de l'élaboration d'une stratégie d'affaires qui a permis d'éviter le carnage.

Il faut l'avouer, à l'époque, ce n'était pas la tentation d'investir dans les "nouveaux produits" qui manquait. Quand la "météo économique" est au beau fixe, le secteur financier penche vers la prise de risques pour obtenir un maximum de profit. Les gestionnaires de risque affrontent la pression quasi insoutenable de l'industrie financière, obsédée par le rendement.

Réjean Robitaille explique que si sa banque a évité les pièges, c'est avant tout parce qu'elle a appris de ses erreurs passées. Rappelons qu'il y a quelques années, cette institution a connu des revers qui résultaient de mauvais choix. Ainsi, en 2002, elle avait dû inscrire des dizaines de millions de dollars de provisions au bilan pour des prêts commerciaux. Les mauvaises créances avaient été octroyées notamment à Téléglobe, un équipementier en télécoms en difficulté qui appartient maintenant au géant indien Tata Communications et à des manufacturiers.

"Une crise ramène tout le monde sur terre, soutient le banquier. Celle du début de la décennie nous a menés à modifier notre profil de risque en tant qu'institution financière et à créer un nouveau plan d'affaires."

La Banque Laurentienne a donc revu ses méthodes et a concentré toute son attention sur les trois principaux moteurs de croissance au sein de son modèle d'affaires : les services aux particuliers au Québec, la filiale B2BTrust, qui fournit des services à la moitié des conseillers financiers indépendants du Canada, et le financement immobilier pancanadien. "Tout cela nous donne une bonne diversification sur le plan géogra-phique, tout en nous permettant de cibler les secteurs où nous sommes reconnus pour la qualité de notre service et pour notre capacité à faire bouger les choses", dit Réjean Robitaille.

L'institutionfinancière, qui n'était pas à l'aise face aux produits "structurés", s'y est donc peu exposée. Au lieu de chercher à couvrir tous les angles, elle a choisi de conserver plus de contrôle sur les trois piliers. "Nous avons gardé le cap, souligne le PDG. Si vous connaissez le jeu de société Risk, vous savez que lorsque votre armée se trouve dans la majorité des pays, vous perdez généralement la partie." Par conséquent, alors que certains de ses confrères cherchaient à obtenir les marges de profit les plus importantes et vantaient les mérites du PCAA, Réjean Robitaille a préféré faire bande à part et garder l'oeil sur le client. Il cite un exemple lié au financement immobilier : "S'il faut tenir un comité de crédit le vendredi à 17 heures pour fournir une réponse à 18 heures, nous le ferons. Le marché apprécie notre souplesse."

Les clients en succursale ont aussi monopolisé beaucoup d'énergie au sein de la Banque. "Après avoir étudié les meilleures pratiques d'affaires et d'architecture en vigueur dans le monde, nous avons lancé en 2004 le concept de boutique de services financiers. Il est unique au Canada. Lorsque vous entrez dans cette boutique, au lieu du comptoir traditionnel, vous trouvez des îlots, une bibliothèque et un café. Quand vous rencontrez votre conseiller financier, vous êtes assis sur un sofa et vous dégustez un café. Nous avons ouvert et rénové plusieurs succursales, et une trentaine d'entre elles ont adopté ce modèle."

Le PDG affirme que sa stratégie de croissance est claire et que tout le monde y gagne. "Si la vente des produits qui rapportent le plus ne correspond pas aux besoins des clients, nous cessons de les offrir. Il faut bien connaître les clients, à partir des données que nous détenons sur eux. Sur ce point, nous croyons avoir de l'avance sur nos principaux concurrents. À l'interne, je parle souvent de la théorie de l'essuie-glace, que j'ai en horreur. Un jour, vous allez vers la droite, l'autre jour vers la gauche, ensuite à droite encore, etc."

Même si elle n'était pas obsédée par ses marges de profit, la Laurentienne n'a pas oublié de prioriser la rentabilité, l'efficacité et le développement de ses employés. "Chacun de nos objectifs, de la haute direction jusqu'aux employés de première ligne, a dû être aligné avec ceux de l'entreprise, ce qui a donné énormément de rigueur à nos opérations quotidiennes."

Comment fait-on pour assurer la cohésion du travail de 3 400 personnes ? "Nous avons élaboré un concept d'"académie" pour la formation et l'intégration des employés. Nous devons continuer de nous améliorer sans cesse dans ce domaine", dit Réjean Robitaille.

Maintenant que le nettoyage des actifs bancaires est amorcé ailleurs dans l'industrie, la Laurentienne ne fait pas partie de celles qui émettent des actions privilégiées. "Pendant la crise, nous avions les ratios de capital les plus élevés de l'industrie, et nous n'avons jamais eu autant de liquidités, sou-ligne le dirigeant. C'est une belle occasion de croissance."

Si la Laurentienne a évité les produits toxiques, est-elle nécessairement en meil-leure position que la concurrence pour croître ? "Pas vraiment, pense Denis Durand, associé principal du gestionnaire de portefeuille Jarislowsky Fraser. Elle se porte mieux que les autres parce qu'elle n'a pas à essuyer de pertes du PCAA. À présent, les investisseurs surveillent les réserves pour les mauvais prêts, et la Banque Lauren-tienne ne peut pas les éviter. C'est mieux que prévu [NDLR : 12 millions de pertes sur prêts au premier trimestre], car la plupart des analystes s'attendaient à des réserves plus importantes."

Bien que Denis Durand pense que la banque montréalaise s'est bien tirée d'affaire et a évité de diluer l'avoir de ses actionnaires, il rappelle que le secteur financier canadien n'est pas en si mauvais état. "Les banques canadiennes sont certainement plus solides que les banques américaines et européennes, même s'il leur a fallu émettre des débentures et des actions privilégiées pour se recapitaliser."

Le grand défi de la Banque Laurentienne consiste maintenant à affronter une récession qui s'aggrave chaque semaine. Les entreprises en difficulté ne seront pas toutes en mesure de rembourser leurs prêts. "Ce qu'il faut observer, au cours des prochains mois, c'est justement le niveau des réserves pour les prêts en difficulté et le rythme auquel il augmentera, estime Denis Durand. Cependant, une banque canadienne comme la Laurentienne demeure un bon investissement."

Réjean Robitaille aura donc fort à faire pour que ses efforts passés n'aient pas été faits en vain.

Réjean Robitaille sera honoré en novembre 2009 au Gala du Commerce en compagnie des autres Audacieux. Les profits de ce gala serviront à remettre des bourses d'études.

finances@munger.ca

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