Guerre de prévisions pétrolières: est-ce le début de la fin?

Publié le 18/10/2023 à 14:20

Guerre de prévisions pétrolières: est-ce le début de la fin?

Publié le 18/10/2023 à 14:20

Outre les aspects environnementaux, il y a bien d’autres raisons pourquoi on ne voudrait pas investir dans les compagnies pétrolières. Le pétrole est une commodité, c’est-à-dire un produit qui ne se différencie essentiellement pas d’un producteur à l’autre. (Photo: 123RF)

EXPERT INVITÉ. Une guerre de prédictions s’est déclenchée le mois dernier entre l’OPEP et l’Agence internationale d’énergie (International Energy Agency ou IEA). L’IEA a publié ses estimations par rapport à la demande de pétrole dans les années à venir, ce qui a fait beaucoup de remous. Il y a toutefois de bonnes nouvelles pour les investisseurs écoresponsables, et de quoi préoccuper tous les autres!

À la grande surprise de plusieurs, l’IEA prédit un sommet de la demande pour les hydrocarbures, et ce, dès 2030. L’adoption de véhicules électriques et la transition vers les énergies renouvelables en seraient les principaux catalyseurs.

De quoi mettre l’OPEP hors de ses gonds. Son secrétaire général a affirmé qu’une telle déclaration de l’IEA pouvait créer un chaos énergétique sans précédent, ce qui pourrait avoir de graves conséquences sur l’économie mondiale. L’OPEP prédit de plus que la demande allait atteindre un plateau en 2040 et allait y rester sur plusieurs années.

Pour rencontrer l’accord de Paris, soit limiter l’augmentation de la température planétaire à 1,5°C, la consommation d’hydrocarbure doit diminuer drastiquement. L’année 2023 risque d’être une année record au niveau de la demande, à près de 102 millions de barils par jour (Mb/j). L’IEA estime que la demande doit baisser à 77 Mb/j pour 2030, et à 24 Mb/j pour 2050 afin d’atteindre l’objectif de net zéro.

 

Répercussions au Canada

Ces prédictions sont existentielles pour les pays producteurs, d’autant plus pour les compagnies pétrolières canadiennes. Le développement de nouveaux projets en dépend: moins la demande sera forte dans le futur, moins il y aura d’attrait pour de nouveaux investissements à l’horizon, ou pire encore.

Le pétrole canadien est parmi les plus chers à extraire à travers le monde. Cela place donc les compagnies canadiennes dans une position encore plus vulnérable dans un contexte d’une baisse de la demande. Rien pour rassurer les investisseurs quand on projette sur les 10-15 prochaines années.

Toutefois, pour un investisseur soucieux de réduire l’empreinte carbone de son portefeuille, c’est de la musique à ses oreilles. Regarder les facteurs ESG (Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance) quand on investit, c’est aussi prévoir ce type de tendance. C’est anticiper les changements de l’économie qui se tourne vers des alternatives pour assurer une pérennité à long terme. Enfin, la course contre la montre envoie un soupçon de signes encourageants.

 

Commodité

Outre les aspects environnementaux, il y a bien d’autres raisons pourquoi on ne voudrait pas investir dans les compagnies pétrolières. Le pétrole est une commodité, c’est-à-dire un produit qui ne se différencie essentiellement pas d’un producteur à l’autre. Cela signifie également que le consommateur n’a aucune préférence pour le produit vendu par l’entreprise A par rapport à celui de l’entreprise B. Il devient donc impossible de se démarquer avec son produit, mais seulement par son volume de vente ainsi que par le contrôle de ses coûts aux yeux des investisseurs.

Pour un investisseur à long terme et qui recherche une entreprise de qualité, les revenus liés directement au prix d’une matière première sont donc souvent moins attrayants. On peut avoir la meilleure technologie d’extraction, les meilleurs procédés de transformation, la meilleure équipe technique qui soit. Cependant, les compagnies seront toujours à la merci d’un prix de vente dicté par le marché.

Comparativement aux autres commodités telles que l’or, le lithium ou même la potasse, il y a un élément très fort qui vient influencer les prix du pétrole. Un élément qui est excessivement difficile à prévoir, bien souvent qui peut ne suivre aucune raison ou logique d’affaires et qui peut basculer du jour au lendemain: la politique.

L’emprise sur l’offre de l’OPEP est un outil géopolitique très puissant, qui confère aux pays producteurs une monnaie d’échange sur bien des fronts. Pour un investisseur fondamental, c’est un vrai cauchemar.

 

Vivre du dividende?

De plus, beaucoup d’investisseurs investissent dans des entreprises pétrolières pour une autre raison. Dans le but de générer un revenu attrayant avec leur portefeuille, ils deviennent aveuglés par le dividende, généralement plus élevé pour les compagnies en énergie. Vivre des dividendes et ne pas toucher au capital. Mais est-ce réellement la façon la plus efficace de se dégager des liquidités?

La mauvaise nouvelle est que depuis plusieurs années, les dividendes ont tendance à disparaître. De plus en plus, les compagnies préfèrent remettre le capital aux actionnaires sous forme de rachat de leurs propres actions. Cette dernière activité fait monter le prix de chaque action de la compagnie, puisqu’on divise les profits futurs sur une base d’investisseurs moins grande.

Alors, sommes-nous vraiment prêts à prendre plus de risque sur le capital en investissant dans de moins bonnes opportunités, seulement pour une question de dividende? Ce n’est peut-être pas une bonne idée.

De l’autre côté, la bonne nouvelle est que les frais de transactions ont grandement diminué avec le temps. Vendre des actions et générer un gain en capital pour avoir des liquidités est peu coûteux et souvent fiscalement plus favorable.

 

Prix volatils

Certes, certains rappelleront la montée du prix du pétrole des deux dernières années, supportée par les conflits géopolitiques majeurs. Rappelons-nous toutefois qu’au cœur de la pandémie, le baril s’est négocié à -37$. Oui, il s’agissait d’une situation unique, mais cela démontre la volatilité de la commodité en période de ralentissement économique ou de récession.

Pour un investisseur long terme, les 10-15 dernières années ont été très difficiles pour le secteur, et les perspectives pour les 10-15 prochaines ne semblent guère être plus roses. Il y a présentement des investissements massifs dans le transport pour des carburants propres destinés aux véhicules lourds ou simplement électriques pour les véhicules plus légers. En voyant ce gros vent de face, veut-on vraiment être les derniers à faire cette transition dans nos portefeuilles?

 

 

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À propos de ce blogue

Mathieu Blais est cofondateur et gestionnaire de portefeuille chez BeeQuest, une firme de gestion d’actifs spécialisée dans la conception de stratégies d’investissement responsable sur mesure autour des valeurs de chaque client. Avant de fonder BeeQuest, il a travaillé pendant plusieurs années chez un gestionnaire d’actifs d’envergure international où il a cumulé plusieurs fonctions, notamment celle de chef de la mise en place et de l’exécution des investissements. Au fil des années, sa vaste expérience lui a permis d’acquérir une forte compréhension des marchés des capitaux ainsi que de la construction de portefeuille. Mathieu Blais est également conférencier-enseignant aux étudiants de deuxième cycle de HEC Montréal sur la gestion de portefeuille responsable. Il détient un baccalauréat en génie de l’École Polytechnique de Montréal, un D.E.S.S. en gestion et une maîtrise en finance de HEC Montréal. Il est également détenteur des désignations Chartered Financial Analyst (CFA) et Chartered Alternative Investment Analyst (CAIA).

Mathieu Blais

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