Petit guide d'autodéfense géopolitique

Publié le 03/11/2023 à 18:00

Petit guide d'autodéfense géopolitique

Publié le 03/11/2023 à 18:00

Si le scénario d’une victoire de Donald Trump se réalise en novembre 2024, il est raisonnable de s’attendre à une intensification du protectionnisme sur le marché américain. (Photo: Getty Images)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE. Guerre en Ukraine, guerre Israël-Hamas, risque d’invasion de Taïwan à long terme … Les organisations actives en Europe de l’Est, au Proche-Orient et en Asie-Pacifique évoluent un environnement d’affaires incertain, sans parler de la montée du protectionnisme et de l’accélération de la crise environnementale. Leurs risques géopolitiques sont donc importants depuis quelques années, et ils le seront encore dans un avenir prévisible.

Pour une entreprise ou un investisseur, un risque géopolitique est un événement (une guerre), une décision (l’adoption d’une loi) ou une tendance (la montée du populisme) qui peut avoir un impact négatif sur ses revenus et/ou la valeur de ses actifs réels (une usine, un hôtel) et financiers (des actions, des obligations).

Les risques géopolitiques incluent aussi les changements climatiques (par exemple, des catastrophes naturelles peuvent détruire du capital de production) et la rareté des ressources naturelles (par exemple, la compétition, voire des conflits, entre des États pour avoir accès à de l’eau potable ou des sources d’énergie).

Ces deux éléments peuvent donc avoir également un impact sur les revenus et la valeur des actifs des organisations.

Comment réduire ces risques?

Il n’y a pas de recette miracle ou de panacée, vous diront les consultants spécialisés en analyse du risque géopolitique.

Que du gros bon sens, en essayant par exemple de cibler la vulnérabilité des trois principales fonctions des entreprises, soit l’approvisionnement, la production et la commercialisation.

Et une des approches clés est sans doute de se poser des questions de base.

 

Diversifiez vos sources d'approvisionnement

Votre fournisseur stratégique est-il situé dans une zone susceptible de subir une invasion?

Par exemple, si votre fournisseur stratégique pour les semi-conducteurs qui entrent dans votre chaîne de production est situé à Taïwan, l’une de vos options est peut-être de trouver à moyen terme un second fournisseur de ces intrants électroniques situé ailleurs, par exemple en Corée du Sud ou aux États-Unis.

En mars 2021, témoignant devant une commission du Sénat américain, le chef du commandement militaire américain en Indo-Pacifique (Indopacom), l’amiral Philip Davidson, a indiqué que la Chine pourrait envahir Taïwan d’ici six ans (soit d’ici 2027) afin d’atteindre son objectif de supplanter les États-Unis dans l’océan Pacifique.

Cette île convoitée par la Chine communiste – qui la considère comme une province renégate – abrite Taiwan Semiconductor Manufacturing Corporation (TSMC), le plus important fabricant haut de gamme de cet intrant stratégique pour plusieurs industries dans le monde, incluant au Canada.

Vous pouvez aussi appliquer cette grille d’analyse – en fonction de la localisation d’un fournisseur stratégique – dans d’autres pays dans le monde non loin d’une zone de guerre, et ce, des pays baltes à la Pologne en passant par Israël.

 

Protégez vos sites de production

Si votre organisation a un site de production à l’étranger (voire plusieurs), sa localisation revêt aussi une importance vitale dans un contexte de changements climatiques.

Le réchauffement planétaire renforce les ouragans. Par conséquent, ces derniers génèrent davantage de précipitations et se déplacent plus lentement. Cette situation représente donc une menace pour les usines situées non loin de la mer dans plusieurs régions dans le monde.

Avez-vous une usine qui est située dans une zone à haut risque d'être d’inondée? Si la réponse est oui, il serait sans doute avisé de penser à un plan B. Plusieurs options sont possibles, comme de protéger le bâtiment en érigeant un mur de protection ou de produire à un autre endroit.

C’est sans parler des bâtiments qui sont susceptibles d’être détruits par d’énormes feux de forêt, et ce, de la Californie à l’Espagne – des entreprises sont aussi à risque dans le nord du Québec.

Rester à cet endroit ou ne pas rester à cet endroit, telle est la question.

 

Prémunissez-vous contre le protectionnisme

La commercialisation de vos produits et de vos services est aussi vulnérable à des risques géopolitiques, à commencer par le possible retour au pouvoir de Donald Trump aux États-Unis – l’élection présidentielle aura lieu le 5 novembre 2024.

Selon 13 sondages réalisés entre le 27 octobre et le 1er novembre, l’actuel président Joe Biden mène dans 6 sondages, tandis que l’ex-président républicain mène dans 5 sondages – ils sont à égalité dans deux autres enquêtes d’opinion, selon la firme FiveThirtyEight.

Si le scénario d’une victoire de Donald Trump se réalise en novembre 2024, il est raisonnable de s’attendre à une intensification du protectionnisme sur le marché américain, où le Québec et le Canada expédient respectivement 73% et 77% de leurs exportations de marchandises, selon Statistique Canada.

Le cas échéant, ce protectionnisme pourrait se manifester par l’imposition de nouveaux tarifs douaniers (même si nous avons un accord de libre-échange) ou par la mise en place de barrières non tarifaires, comme le renforcement du contenu américain dans les biens vendus aux États-Unis.

Si votre organisation exporte au sud de la frontière dans des secteurs stratégiques pour Washington, elle devrait notamment se poser ces questions :

Votre situation financière actuelle vous permet-elle d’absorber d’éventuels nouveaux tarifs, qui représentent en fait une taxe à l’exportation?

Si ce n’est pas le cas, avez-vous envisagé des options pour être en mesure de les absorber?

En fait, les options sont peu nombreuses – et faisons l’hypothèse que le huard demeure stable vis-à-vis le dollar américain.

Vous pouvez bien entendu vous préparer en essayant d’augmenter votre productivité ou réduire vos coûts de production par unité fabriquée. En revanche, cela nécessite des investissements en nouvelles technologies, de la formation des employés et, parfois, une réorganisation du travail.

Si votre organisation en a les moyens, elle peut aussi considérer la possibilité d’implanter une usine aux États-Unis – voire d’agrandir une installation existante au sud de la frontière – pour vendre directement sur le marché américain, sans procéder à une exportation.

Non seulement cette stratégie neutralise le risque tarifaire, mais elle permet aussi de se conformer aux exigences de contenu local dans les appels d’offres au sein de projets ou d’industries qui bénéficient d’un appui financier du gouvernement fédéral.

 

Identifiez les options qui vous conviennent

Contrairement aux risques économiques et financiers classiques (devises, taux d’intérêt, croissance du PIB, etc.), les risques géopolitiques sont plus qualitatifs que quantitatifs, même si on arrive parfois à les quantifier en considérant certains facteurs.

Par exemple, le protectionnisme se matérialise souvent par l’imposition de nouveaux tarifs.

Comme nous venons de le voir, une organisation peut arriver à réduire ces risques en se posant certaines questions de base afin d’évaluer l’exposition de l’ensemble de sa chaîne logistique (l’approvisionnement, la production, la commercialisation).

Cela dit, il n’y a pas de recette miracle ou de solutions mur à mur.

Seulement des options qui varient d’une organisation à l’autre en fonction de sa réalité.

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand

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