Vers la création d'une OPEP du lithium en Amérique du Sud?

Publié le 13/05/2023 à 09:00

Vers la création d'une OPEP du lithium en Amérique du Sud?

Publié le 13/05/2023 à 09:00

Une machine d'extraction de lithium déplace un sous-produit de sel à la mine du désert d'Atacama à Salar de Atacama, au Chili. (Photo: Getty Images)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE. La nouvelle est passée sous le radar au Québec, mais elle pourrait avoir un jour un impact majeur sur notre industrie naissante du lithium. Des pays d’Amérique du Sud songent à créer une OPEP du lithium — sur un modèle similaire à celui du fameux cartel pétrolier — afin de mieux contrôler l’offre et les prix de «l’or blanc» de la transition énergétique.

Cette OPEP du lithium regrouperait l’Argentine, le Chili, la Bolivie et le Brésil. Ensemble, ces quatre pays comptent pour 54% des «réserves identifiées» de lithium dans le monde qui totalisent environ 98 millions de tonnes, selon les données de l’United States Geological Survey, la Bible dans l’industrie minière.

Pour mettre les choses en perspective, les réserves identifiées au Canada s’élèvent à 2,9 millions de tonnes (3% des réserves mondiales).

Si ce projet voit le jour, l’industrie québécoise pourrait en profiter, car ce regroupement de quatre pays pourrait alors exercer une pression à la hausse sur les prix de ce minerai stratégique (en réduisant ou en limitant la croissance de l'offre mondiale de lithium par rapport la demande).

C’est l’analyse qu’en fait Philippe Pourreaux, associé, création de valeur, transactions chez PwC Canada, ainsi que spécialiste du secteur minier, lors d’un entretien avec Les Affaires.

 

Les retombées potentielles positives au Québec

Les retombées positives d’une éventuelle OPEP du lithium sur l’industrie québécoise sont faciles à comprendre. Plus le prix de l’or blanc est élevé, plus les producteurs reçoivent d’argent par tonne de minerais ou de concentrés de lithium produits. Et plus les investisseurs sont prêts à mettre des capitaux sur la table pour ces projets.

En revanche, les prix des batteries et, de facto, des véhicules électriques pourraient sans doute être plus élevés.

Cette idée de créer une OPEP du lithum survient dans un contexte où les prix du lithium sont très volatils.

Par exemple, entre avril 2022 et avril 2023, les prix ont chuté de 38% (pour un type d’hydroxyde de lithium échangé en Chine, un benchmark dans l’industrie), selon une analyse de Fastmarkets, une firme spécialisée dans l’analyse du prix des ressources.

La possible création d’une OPEP du lithium représente donc un enjeu de taille pour les minières du Québec.

D’une part, pour celles qui produisent déjà du lithium, comme Sayona, à son Complexe Lithium Amérique du Nord, en Abitibi-Témiscamingue — elle y produit du concentré depuis mars —, ou pour celles qui veulent mettre en service une mine de lithium dans les prochaines années.

Au total, il y a six projets au Québec, selon le ministère des Ressources naturelles (en date de mars 2023).

Le projet le plus avancé est celui de Nemaska Lithium qui possède la mine Whabouchi, à la Baie-James. La fin des travaux est prévue au quatrième trimestre de l’année 2025, tandis que le début de la production est prévu en 2026, selon l’entreprise.

 

Un contexte plus favorable qu’en 2011

Cette idée de mettre sur pied une OPEP du lithium ne date pas d’hier. En 2011, l’Argentine a proposé de créer un tel club, mais l’idée a fait long feu à l’époque.

Aujourd’hui, l’accélération de la lutte aux changements climatiques et l’engouement pour les véhicules électriques procurent un nouveau souffle à cette idée, car le lithium est un intrant stratégique pour fabriquer des batteries.

Plusieurs médias ont publié récemment des reportages à ce sujet, dont le site spécialisé Mining.com et le magazine Time.

Des représentants de l’Argentine ont même parlé de ce projet à Toronto, en mars, lors du congrès annuel de l’Association canadienne des prospecteurs et entrepreneurs (PDAC Convention).

Reste à voir si cet ambitieux projet verra le jour, car les obstacles politiques, économiques, techniques et de coordination sont nombreux.

Cela dit, il est possible que l’Argentine, le Chili, la Bolivie et le Brésil arrivent à créer cette organisation.

Ne sous-estimons pas la volonté de ces pays, assis sur la moitié des réserves identifiées de lithium dans le monde, de tirer un maximum de profit de leur exploitation.

En 1960, les grands pays consommateurs de pétrole ont été surpris quand cinq pays — l’Arabie saoudite, l’Irak, l’Iran, le Koweït et le Venezuela — ont secoué les colonnes du temple en fondant l’Organisation des pays exportateurs de pétrole.

Nous pourrions avoir un jour la même surprise avec l’or blanc de la transition énergétique.

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand

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