L'Afrique amorce la quatrième révolution industrielle

Publié le 06/10/2023 à 18:20

L'Afrique amorce la quatrième révolution industrielle

Publié le 06/10/2023 à 18:20

Un ouvrier dans une usine d'extraction électrolytique de la mine Tenke Fungurume, l'une des plus grandes mines de cuivre et de cobalt au monde, dans le sud-est de la République démocratique du Congo, le 17 juin 2023. (Getty Images)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE. Quand on entend l’expression «quatrième révolution industrielle», on pense souvent à l’Allemagne, aux États-Unis ou à la Corée du Sud, mais rarement à l’Afrique. Pourtant, ce continent est en train de vivre lui aussi une révolution industrielle qui s’appuie sur les nouvelles technologies et les innovations de rupture. Et les entreprises canadiennes qui l’ignorent risquent de passer à côté d’innombrables occasions d’affaires.

C’est ce qui ressort de l’entrevue qu’a accordée à Les Affaires Landry Signé, spécialiste de l’économie africaine et chercheur en résidence au Centre d’études et de recherches internationales (CÉRIUM) de l’Université de Montréal, lors de son récent passage dans la métropole québécoise — il détient un doctorat en science politique de cet établissement.

Auteur de Africa’s Fourth Industrial Revolution (Cambridge University Press, 2023, uniquement en anglais), Landry Signé est aussi chercheur principal à la Brookings Institution, un groupe de réflexion de Washington, ainsi que professeur/chercheur à l’Université de l’Arizona et à l’Université Stanford, en Californie.

Dans son essai, Landry Signé explique que la quatrième révolution industrielle se caractérise par une fusion entre les mondes physique, numérique et biologique — c’est-à-dire les humains.

En Afrique, cela se traduit par exemple par l’adoption croissante des téléphones cellulaires, l’utilisation de l’impression 3D par les entreprises, sans parler de la robotique et de l’intelligence artificielle.

 

Les impacts structurants des technologies

Landry Signé affirme que les nouvelles technologies et les innovations de rupture ont des impacts majeurs sur l’industrie, l’économie et la société en Afrique.

Par exemple, à ce jour, plus de 1,7 million d’emplois directs ont été créés dans le secteur industriel, pour un PIB sectoriel de plus de 144 milliards de dollars américains (196,5G$ CA). L’industrie représente aujourd’hui plus de 8,5% du PIB de l’Afrique subsaharienne.

Cette révolution technologique a aussi démocratisé les services financiers qui sont essentiels pour une économie. Par exemple, la plateforme africaine en fintech M-PESA permet à des individus et des entrepreneurs d’avoir accès à du crédit.

Cette quatrième révolution industrielle a aussi réinventé le travail en Afrique, en permettant d’automatiser plusieurs tâches et d’accroître la production de nombreuses entreprises africaines. Certes, certains emplois ont disparu, mais plusieurs autres ont été créés pour un solde positif, selon Landry Signé.

Les technologies de l’information ont révolutionné également l’éducation sur le continent. En 2010, 36% des Africains avaient accès à des services en éducation. Grâce aux téléconférences, cette proportion devrait grimper à 52% en 2030, souligne le spécialiste de l’économie africaine.

Les technologies ont aussi désenclavé des régions et réduit la nécessité d’y construire certaines infrastructures, comme des cliniques médicales spécialisées. Au Cameroun, par exemple, on peut désormais avoir des services en cardiologie, même si on habite à 200 ou à 300 kilomètres de la clinique du cardiologue.

La quatrième révolution industrielle s’observe aussi dans le secteur agricole et l’industrie agroalimentaire, en augmentant par exemple les rendements des sols grâce à un arrosage plus optimal de la terre ensemencée.

Auteur de Africa’s Fourth Industrial Revolution, Landry Signé est aussi chercheur principal à la Brookings Institution et professeur/chercheur à l'Université de l'Arizona et à l’Université Stanford. (Photo: Courtoisie / CÉRIUM)

 

Tendances clés pour les entreprises

Landry Signé affirme que plusieurs tendances à long terme devraient être sur l’écran radar des entreprises qui ne sont pas en Afrique, incluant celles au Canada, qui sont actives sur les marchés internationaux.

La population africaine explosera d’ici 2100: l’Afrique compte actuellement 1,4 milliard d’habitants — comme en Chine et en Inde — et elle pourrait en compter près de 4,5 milliards en 2100, selon l’Organisation des Nations unies. Aussi, à la fin de ce siècle, 40% de l’humanité sera africaine comparativement à 17% aujourd’hui.

D’ailleurs, selon Landry Signé, dans les prochaines décennies, l’immense défi de l’Afrique sera de loger, de nourrir, d’éduquer et de trouver un emploi à ces trois milliards de nouveaux citoyens.

Les dépenses privées augmentent vite: comme la pauvreté diminue en Afrique (même si elle demeure extrême dans certaines pays ou régions), on assiste à une montée d’une classe moyenne qui peut dépenser de l’argent de manière discrétionnaire, tout comme de plus en plus d’entreprises privées.

Dans le cas des individus, on parle par exemple des dépenses en nourriture, en boisson, en logement, sans parler des services en santé et en finance.

En 2030, les dépenses des entreprises et des ménages africains devraient atteindre 6 700G$ US, ce qui représente plus que la taille actuelle du PIB du Japon, qui s’élève à 4 409G$ US, selon le Fonds monétaire international (FMI).

En 2050, ces dépenses en Afrique pourraient atteindre plus de 16 600G$ US, soit environ 85% de la taille actuelle de l’économie de la Chine (19 373G$ US).

L’Afrique s’urbanise rapidement: en 2015, l’Afrique comptait six villes de plus de 5 millions d’habitants. En 2030, on devrait en compter 17, dont cinq villes de 10 millions d’habitants et plus, selon Landry Signé.

Les secteurs dynamiques sont peu polluants: les entreprises africaines les plus dynamiques évoluent aussi dans des secteurs peu polluants, contrairement à la sidérurgie, par exemple. Il s’agit entre autres des TI, de l’agroalimentaire ou du tourisme.

Les énergies renouvelables sont de plus en plus utilisées: même si on utilise et on utilisera encore beaucoup d’énergie fossile en Afrique, les énergies vertes sont de plus en plus populaires, à commencer par l’énergie solaire. Landry Signé souligne que des entreprises qui ne peuvent se passer des énergies fossiles fournissent néanmoins des efforts pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (GES).

 

Risques géopolitiques en Afrique

Si l’Afrique compte d’innombrables occasions d’affaires pour les entreprises, le continent comporte aussi plusieurs risques, notamment géopolitiques. Par exemple, depuis trois ans, il y a eu huit coups d’État dans des pays d’Afrique de l’Ouest.

Sans minimiser ces risques importants, Landry Signé fait remarquer que plusieurs pays exportent de plus en plus sur le continent africain, et ce, malgré l’instabilité politique dans certains pays ou certaines régions, comme le Sahel — la longue bande de terre qui sépare l’Afrique du Nord de l’Afrique subsaharienne.

Par exemple, entre 2006 et 2016, les exportations de la Chine en Afrique ont bondi de 233%. D’autres pays y ont aussi accru de manière importante leurs expéditions de marchandises, comme la Turquie (+192%), l’Inde (+181%), la Russie (+142%) ou l’Indonésie (+107%).

Dans le cas des pays de l’Union européenne, la hausse a été de 22% sur la même période, mais de seulement 7% pour les États-Unis.

Aussi, même si faire des affaires en Afrique n’est pas toujours de tout repos, les entreprises canadiennes devraient y penser deux fois avant de tourner le dos à ce marché émergent, où les besoins en biens, en services et en matières premières seront de plus en plus importants.

 

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À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand

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