La Chine pâtit-elle d'une «COVID longue économique»?

Publié le 22/09/2023 à 17:45

La Chine pâtit-elle d'une «COVID longue économique»?

Publié le 22/09/2023 à 17:45

On observe actuellement en Chine trois «signaux de détresse» économiques, selon le Peterson Institute for International Economics, à Washington. (Photo: 123RF)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE. Diminution de la population, chômage élevé chez les jeunes, décélération du PIB… C’est connu, la Chine a des problèmes structuraux. Ce qui l’est moins, c’est que son économie pâtit d’une crise de confiance majeure de la part des entreprises et des citoyens chinois, ce qui mine son potentiel de croissance à long terme.

Dans une analyse publiée en septembre dans le magazine Foreign Affairs (The End of China’s Economic Miracle), Adam S. Posen, président du prestigieux Peterson Institute for International Economics, à Washington, parle même d’une Chine atteinte d’une «COVID longue économique».

«Les marchés financiers, et probablement même le gouvernement chinois lui-même, ont négligé la gravité de ces faiblesses, qui pèseront probablement sur la croissance pendant plusieurs années. Appelons cela un cas de “COVID longue économique”», écrit ce spécialiste de l’économie chinoise.

Selon lui, la Chine est comme un patient souffrant de cette maladie chronique, dont «le corps économique n’a pas retrouvé sa vitalité et reste atone même maintenant que la phase aiguë — trois années de mesures de confinement zéro COVID extrêmement strictes et coûteuses — est terminée», ajoute-t-il.

Cette situation concerne au plus haut point les entreprises et les investisseurs étrangers actifs en Chine, car la «plupart des économistes» occidentaux n’auraient pas intégrer ces faiblesses inhérentes à l’économie chinoise dans leur grille d’analyse.

Par conséquent, les économistes auraient tendance à surestimer le potentiel de croissance économique de la Chine, selon Adam S. Posen.

Au deuxième trimestre de 2023, le PIB chinois a progressé de 6,3%, soit 0,8 point de pourcentage en deçà des attentes du marché, souligne la firme PcW.

Le président du Peterson Institute for International Economics affirme que l’évolution de trois indicateurs économiques, qu’il nomme «signaux détresse», illustre à quel point l’économie chinoise est en difficulté, comme on peut le constater sur ce graphique:

  • les nouveaux dépôts bancaires des ménages chinois (soit l’épargne) sont en forte hausse ;
  • la consommation de biens durables en Chine est en déclin ;
  • les investissements privés en immobilisations des entreprises dans le pays ont diminué de manière importante.

 

Les Chinois préfèrent de plus en plus économiser plutôt que de consommer, tandis que les entreprises investissent de moins en moins. (Source: Foreign Affairs, tableau: Les Affaires, version française)

Aux yeux d’Adam S. Posen, l’évolution de ces trois indicateurs témoigne d’une perte de confiance des entreprises et des citoyens en Chine à l’égard de la manière dont le Parti communiste chinois (PCC) intervient dans l’économie depuis quelques années.

 

«Pas de politique, pas de problème»

Au début des années 1980, quand la Chine a commencé à s’ouvrir au monde et au commerce international sous le leadership de Deng Xiaoping, une entente implicite s’est mise graduellement en place dans le pays, soit le «pas de politique, pas de problème».

Une expression qui signifie grosso modo: si vous ne vous mêlez pas de politique, on vous laissera tranquille.

Ainsi, même si le parti communiste contrôlait le droit à la propriété en Chine, les entreprises et les citoyens pouvaient vaquer à leurs activités économiques et s’enrichir tant qu’ils ne critiquaient pas le régime et les décisions du PCC.

«Ce modus vivendi se retrouve dans de nombreux régimes autocratiques qui souhaitent que leurs citoyens soient satisfaits et productifs, et cela a fonctionné à merveille pour la Chine au cours des quatre dernières décennies», fait d’ailleurs remarquer Adam S. Posen.

Or, cette façon de faire a commencé à changer graduellement en Chine avec l’arrivée au pouvoir de l’actuel président Xi Jinping, en 2013.

Non seulement il a commencé à intervenir de manière plus importante dans l’économie, mais il a aussi entamé une lutte contre la corruption, qui a aussi servi à écarter certains rivaux politiques au sein du parti communiste, soulignent des spécialistes de la Chine.

Cela dit, juste avant le début de la pandémie de COVID-19, la grande majorité des ménages chinois et des dirigeants de PME pouvaient encore s’appuyer sur l’entente implicite du «pas de politique, pas de problème».

En revanche, la pandémie a fait en sorte que le PCC s’est mis à être plus beaucoup interventionniste, notamment avec sa stratégie «zéro COVID-19» — dès qu’un certain nombre cas se multipliaient dans une ville, les habitants étaient confinés de force, testés pratiquement tous les jours, puis isolés s’ils étaient infectés.

 

Une nouvelle peur généralisée

Face à l’exaspération et à la détresse de millions de Chinois, Beijing a d’ailleurs renoncé à cette politique en décembre 2022.

Si le gouvernement a lâché du lest sur le plan sanitaire, il a en revanche resserré sa bride au chapitre politique et économique.

Deux mois plutôt, en octobre 2022, le 20e congrès du Parti communiste chinois a consacré le pouvoir immense du président Xi (du jamais vu depuis Mao Tsé-Toung), en plus de marquer le déclin d’un modèle économique axé sur les entreprises privées.

Désormais, le PCC mise sur le renforcement du secteur public et de l’État policier, dans un pays où la croissance économique n’assure plus la stabilité politique.

Aujourd’hui, la Chine est sans doute l’une des sociétés les plus surveillées dans le monde, incluant la diaspora chinoise à l’étranger, selon une grande enquête journalistique La société de surveillance made in China (éditions de l’Aube).

Une situation qui crée un sentiment de peur croissant dans la deuxième économie de la planète, selon Adam S. Posen. «La Chine est aujourd’hui en proie à une peur généralisée sans précédent depuis l’époque de Mao», affirme-t-il.

Or, c’est ce climat qui a instauré la perte de confiance à l’égard des autorités et de l’économie chinoise.

Une perte de confiance qui fait en sorte que les Chinois préfèrent de plus en plus économiser plutôt que de consommer, et que les entreprises investissent de moins en moins.

 

 

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À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand

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