Plan d'action 2035 d'Hydro-Québec, une nouvelle baie James

Publié le 05/04/2024 à 17:45

Plan d'action 2035 d'Hydro-Québec, une nouvelle baie James

Publié le 05/04/2024 à 17:45

Aménagement Robert-Bourassa à la baie James dans le Nord-du-Québec (Photo: courtoisie Hydro-Québec)

ANALYSE ÉCONOMIQUE. Cela ne fait pas les manchettes, mais le plan d’action 2035 d’Hydro-Québec (Vers un Québec décarboné et prospère) est pratiquement de la même ampleur que la phase 1 de la baie James (1973-1985), le fameux «projet du siècle», qui a eu une incidence structurelle rarement vue dans l’histoire économique du Québec.

Au total, il y a eu trois phases de la baie James, dont la dernière s’est terminée en 2013. Toutefois, pour comparer des périodes similaires au plan d’action 2035 (11 ans), nous avons concentré notre analyse sur la première phase du «projet du siècle» (12 ans).

La phase 1 de la Baie-James est essentiellement le fruit de la vision de l’ex-premier ministre libéral Robert Bourassa. En 1969, si rien n’était fait, on estimait que la demande d’électricité aurait surpassé l’offre au Québec au début des années 1980.

En 1970, en campagne électorale, Robert Bourrassa avait aussi promis de créer 100 000 emplois au Québec.

Les chiffres qui suivent — que Les Affaires a fait valider auprès de la société d’État — parlent d’eux-mêmes, comme vous allez le constater.

 

Plan d’action 2035

Période: 2024-2035

Puissances installées: 8000-9000MW

Investissements: 155-185G$

Travailleurs: 35 000

Régions: Laurentides, Mauricie, Côte-Nord

 

Phase 1 baie James

Période: 1973-1985

Puissances installées: 10 812MW

Investissements: 13,7G$/1973 (95,4G$/2024)

Travailleurs: 140 000

Régions: baie James

 

Baie James VS Plan 2035

Regardons de plus près ces deux projets pour voir les éléments qui les rapprochent, mais aussi ceux qui les distinguent.

 

La puissance installée

Le plan d’action 2035 est un peu moins ambitieux, mais pas beaucoup moins. Hydro-Québec ajoutera une capacité de 8000 à 9000 mégawatts, incluant des économies d’énergie de 1600 à 1800MW. Ce sont des «négawatts» qui donnent autant de capacité qu’un nouveau barrage. Pour sa part, l’ajout de MW sera composé d’énergie éolienne (1500 à 1700), d’hydroélectricité (3800 à 4200), d’énergie solaire et de stockage (500 à 1000), sans parler de centrale thermique existante convertie au gaz naturel renouvelable (400 à 600).

La phase 1 de la Baie James — totalisant 10 812MW — incluait la construction de trois barrages sur la rivière La Grande, soit les ouvrages LG-2, LG-3 et LG4. Le barrage Robert Bourassa (LG-2) était le plus gros, avec une puissance installée de 5616MW. C’est cet ouvrage qui comprend le fameux évacuateur de crues, un «escalier de géant» de 10 marches (10 mètres de hauteurs et de 122 mètres de largeur).

 

Les investissements

Le plan d’action 2025 d’Hydro-Québec prévoit des investissements bien plus importants que durant la phase 1 de la baie James: de 155 à 185 milliards de dollars (G$), pour une moyenne de 12 à 16G$ par année. De ce montant, de 45 à 50G$ sont des investissements pour assurer la fiabilité et la qualité du service à partir des actifs existants, selon HQ. Par conséquent, la valeur des nouveaux actifs s’élève en fait de 110 à 135G$.

Les investissements de la phase 1 de la baie James ont totalisé 13,7G$, en dollars de 1973. Si on les actualise, ils s’élèveraient aujourd’hui à 95,4G$, selon la feuille de calcul de l’inflation de la Banque du Canada. De plus, cela inclut l’argent injecté à l’époque pour construire de nouvelles infrastructures (routes, ponts, aéroports, habitations) afin d’acheminer le matériel et loger les travailleurs. On devra certes construire de nouvelles infrastructures d’ici 2035, mais sans commune mesure avec la phase 1 de la baie James.

 

Le nombre de travailleurs

La grande différence entre la phase 1 de la baie James et le plan d’action 2035 est le nombre de travailleurs. Au total, «le projet du siècle» a employé 140 000 personnes, selon les données de la société d’État. C’est quatre fois plus que les 35 000 qui seront nécessaires pour accroître la capacité d’Hydro-Québec de 8000 à 9000MW d’ici 2035.

Comment expliquer une telle différence? Les progrès technologiques ont fait faire des gains de productivité énormes depuis les années 1970 et 1980. Le plan d’action 2035 sera aussi déployé avant tout dans des régions moins éloignées que la baie James.

 

Les régions visées

C’est une autre différence fondamentale entre les deux projets: alors que la phase 1 de la baie James était dans la région du Nord-du-Québec (en territoire des Cris, mais sans consulter cette nation autochtone), le plan d’action 2035 sera essentiellement déployé dans trois régions plus au sud, soit les Laurentides, la Mauricie et la Côte-Nord.

Hydro-Québec et ses partenaires n’auront donc pas à construire autant d’infrastructures que dans le Nord-du-Québec, dans les années 1970 et 1980. En revanche, ils devront obtenir l’acceptabilité sociale des habitants dans ces régions, incluant des Premières Nations comme les Innus et les Atikamekw — voire conclure des partenariats.

 

Plan 2035: des retombées économiques immenses

«C’est pharaonique!», lâche Marie Lapointe, PDG de l’Association de l’industrie électrique du Québec (AIEQ), qui regroupe des entreprises comme CGI, Siemens, CIMA+ ou General Electric, quand nous lui demandons de commenter les investissements de 155-185G$ prévus d’ici 2035, à hauteur de 12 à 16G$ par année.

Selon elle, les nombreux chantiers qui se déploieront au Québec dans les prochaines années auront des retombées très importantes sur plusieurs secteurs de l’économie québécoise.

On a qu’à penser aux firmes d’ingénierie et aux fabricants de turbines électriques.

C’est sans parler d’une foule de PME qui devront répondre aux appels d’offres de grands donneurs d’ordre pour la production d’énergie tels qu’Hydro-Québec, Boralex, Innergex ou Kruger Énergie.

Les retombées ont aussi été importantes et diversifiées durant la phase 1 de la baie James, selon les données de la société d’État.

Ainsi, en dollars de 1973, des sommes importantes avaient été dépensées dans la fabrication de digues et de barrages (2,1G$), de centrales et de structures (869 millions de dollars), de groupes de turbine-alternateurs (615M$), d’habitations temporaires (234M$) ou de routes et de ponts (212M$).

De plus, à l’époque, les gens qui ont travaillé sur les chantiers de la baie James étaient originaires de plusieurs régions du Québec. Trois étaient particulièrement représentées: 22,6% des travailleurs provenaient de la région de Montréal, 21,6% de la Gaspésie et 21,3% de la région de Québec.

Sans être qualifié de «projet du siècle», on voit bien que le plan d’action 2035 d’Hydro-Québec est dans les mêmes eaux que la phase 1 de la baie James, notamment en termes de capacité énergétique et d’investissements.

En revanche, la société d’État et ses partenaires feront face à un défi de taille, qui est nouveau par rapport aux années 1970 et 1980, soit la pénurie de main-d’œuvre.

Alors qu’on s’arrache déjà des travailleurs dans la plupart des industries au Québec, pourra-t-on vraiment recruter 35 000 personnes d’ici 2035?

C’est sans doute l’un des principaux risques associés à l’exécution du plan d’action d’Hydro-Québec.

À suivre!

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À propos de ce blogue

Dans son analyse bimensuelle Dans la mire, François Normand traite des enjeux auxquels font face les entrepreneurs aux quatre coins du Canada, et ce, de la productivité à la pénurie de la main-d’œuvre en passant par la 4e révolution industrielle ainsi que la gestion de l’énergie et des ressources naturelles. Journaliste à «Les Affaires» depuis 2000 (il était au «Devoir» auparavant), François est spécialisé en ressources naturelles, en énergie, en commerce international et dans le manufacturier 4.0. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières, et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke.

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