Lactopur fait son beurre avec le lait du monde entier

Publié le 03/12/2011 à 00:00

Lactopur fait son beurre avec le lait du monde entier

Publié le 03/12/2011 à 00:00

Par François Normand

La montréalaise Lactopur est un cas unique parmi les exportateurs du Québec. À l'image de son président Diran Avedian, un Québécois d'origine arménienne né au Liban, capable de négocier des contrats en six langues - arménien, arabe, français, anglais, espagnol et italien.

Lactopur exporte du lait en poudre et du lait de vache... mais elle n'en produit pas une goutte. Elle l'achète de transformateurs pour le revendre à des entreprises qui fabriquent des produits laitiers comme du beurre ou du yogourt. Et encore plus atypique : la majorité de ces activités (achat et vente de lait) se font à l'extérieur du pays.

La PME fait le pont entre les grands pays producteurs de lait qui ont des surplus, comme l'Argentine, et les pays qui le consomment le plus, comme l'Égypte ou la Turquie. Lactopur vend du lait dans une vingtaine de pays, surtout émergents.

«À partir du Canada, nous ne pouvons exporter que du lait en poudre, en raison du système de la gestion de l'offre», déplore M. Avedian.

Mise en place au Canada au début des années 1970, la gestion de l'offre encadre la production de lait, d'&#339ufs et de volailles. Il permet de contrôler la production pour répondre à la demande canadienne et de limiter les importations à l'aide de tarifs douaniers très élevés (de 200 à 300 %). L'Organisation mondiale du commerce (OMC), qui régule les échanges internationaux, tolère ce système. Elle interdit par contre au Canada d'exporter du lait de vache, puisqu'il bloque les importations de lait.

Cette situation a mené si l'on veut à la naissance de Lactopur. Quand l'OMC a statué que le Canada ne pouvait plus exporter son lait de vache, la coopérative laitière d'Agropur a fermé son service international de la division fromage.

C'était en 2004. Diran Avedian, l'un des directeurs de ce service, a alors décidé de fonder Lactopur avec un associé, Jeoffrey Reniers, pour continuer à travailler dans le commerce international.

Un service personnalisé

La maison de commerce évolue dans un environnement où les marges bénéficiaires sont faibles : de 2 à 2,5 %. «Nous devons bien gérer nos risques d'affaires, surtout celui de ne pas être payé par un client», dit M. Avedian.

Lactopur doit aussi affronter des concurrents qui ne sont pas les premiers venus. Parmi eux, le géant américain Cargill, qui a une division laitière, a réalisé des revenus de 119,5 milliards de dollars américains en 2011.

Dans les entreprises spécialisées en produits laitiers, Lactopur se mesure à la néerlandaise Interfood Group et à la danoise Uhrenholt, lesquelles affichent des revenus de 750 et 733 millions de dollars américains (M$ US).

La maison de commerce pèse peu avec son chiffre d'affaires de 65 M$. Loin de s'en inquiéter, M. Avedian affirme que la petite taille de son entreprise - sept employés à Montréal, qui comptent sur un réseau mondial de représentants commerciaux à forfait - est un avantage.

«Nous offrons un service personnalisé, ce que peut difficilement faire une grande multinationale», dit-il. De plus, Internet permet à Lactopur de se mesurer à armes égales avec ses concurrents.

«Nous avons les mêmes connaissances, la même information de marché qu'une grosse société comme Cargill, et ce, à moindre coût», affirme M. Avedian.

Les pays émergents ont soif de lait

Depuis 2008, Lactopur évolue dans un environnement d'affaires favorable : la demande pour le lait augmente, surtout dans les économies émergentes, ce qui fait bondir les prix, souligne un récent rapport du ministère américain de l'Agriculture (USDA). Depuis novembre 2008, le prix du lait (USAcwt, un poids équivalant à 100 livres) a augmenté de 11,52 %, d'après les données de Bloomberg.

«La progression rapide de notre chiffre d'affaires tient en partie à la hausse des prix», dit Diran Avedian. Le fait d'avoir de plus gros clients, qui achètent de plus grands volumes de lait, pèse aussi dans la balance.

Le ralentissement économique mondial prévu en 2012 - crise en Europe, stagnation aux États-Unis, ralentissement en Asie - devrait toutefois faire descendre les prix.

Les contrats à terme sur le lait (Class III Milk) au CME Group, une Bourse de dérivés de Chicago, se négocient pour novembre 2012 à un cours inférieur à ceux de novembre 2011. Ce qui signifie que le marché table sur une baisse des prix.

LES RISQUES DE LACTOPUR

Risque politique

Lactopur fait face à des risques politiques en Égypte, en Syrie et en Libye. La maison de commerce s'est d'ailleurs retrouvée aux premières loges de la révolution libyenne. Quelques jours avant l'insurrection contre le régime, en février, une cargaison de lait en poudre de Lactopur a été débarquée au port de Misrata. Le client libyen, qui en avait déjà payé la moitié, n'a pas pu la récupérer en raison des combats. Et après la fin des hostilités, le client a refusé d'en prendre possession. Le lait est aujourd'hui encore bloqué au port. Et comme le produit n'est plus bon à la consommation, Lactopur a perdu 50 % de sa mise. «Nous n'avions pas d'assurance pour cas de guerre quand nous avons négocié cette transaction», raconte le président de Lactopur, Diran Avedian. L'entreprise québécoise poursuit le transporteur maritime, qui a refusé de rembarquer la cargaison au début de la guerre pour la rapatrier vers un port de Sicile, là où Lactopur aurait pu la récupérer et la vendre ailleurs.

Risque de non-paiement

Le risque de ne pas être payée par un client insolvable pèse lourd sur Lactopur, qui n'a d'autres actifs que ses comptes clients. L'entreprise assure donc ses transactions auprès de l'agence Exportation et développement Canada (EDC). «Ce produit permet de couvrir 90 % de la valeur d'une transaction», précise Diran Avedian. Lactopur, après avoir acheté du lait et revendu le produit à un client, s'expose également à un fléchissement des prix. «Une entreprise peut alors vouloir négocier le prix de la cargaison à la baisse ou carrément refuser d'en prendre possession», confie le président de Lactopur. La maison de commerce peut limiter ce risque en utilisant une lettre de crédit, c'est-à-dire un engagement de paiement habituellement irrévocable entre les deux parties.

132 millions Estimation du nombre de vaches qui produisent du lait dans le monde en 2011. Source : ministère américain de l'Agriculture (USDA)

2 La Nouvelle-Zélande produit deux fois plus de lait de vache que le Canada (18 millions de tonnes par rapport à 8,4 millions de tonnes), un exploit pour ce pays comptant huit fois moins d'habitants. Source : ministère américain de l'Agriculture (USDA)

LACTOPUR VEND LES DEUX TIERS DE SON LAIT À PARTIR D'UN PAYS ÉTRANGER

(origine du lait vendu par Lactopur dans le monde en fonction de ses revenus)

30 à 35 % Lait (en poudre) exporté du Canada

65 à 70 % Lait exporté d'un pays étranger vers un autre pays étranger

LACTORPUR A MULTIPLIÉ SES REVENUS PAR 6 DEPUIS SA CRÉATION

(chiffre d'affaires de Lactopur, en millions de dollars canadiens)

2004 10 M$

2011 65 M$

À L'ÉTRANGER, LACTOPUR ACHÈTE DU LAIT, NOTAMMENT...

aux États-Unis, en Argentine, en Uruguay et en Australie

...et elle le vend... dans une vingtaine de pays, dont l'Égypte, la Russie, la Turquie, la Croatie, le Sénégal et l'Indonésie.

Source : Lactopur

Dans cette série, nous décodons la stratégie internationale d'une entreprise québécoise et analysons ses risques.

Sur le Web, Les Affaires s'associe à L'actualité, Canadian Business, The Report on Business, The Economist Intelligence Unit et à la banque HSBC pour offrir un site axé sur les exportations. À lire sur affairessansfrontieres.ca.

françois.normand@transcontinental.ca

À la une

Vendre en Mai?

EXPERT INVITÉ. Doit-on se fier à l'adage «vendre en mai et s'en aller»?

La Bourse de Toronto en hausse en fin de matinée

Mis à jour il y a 6 minutes | lesaffaires.com, AFP et Presse canadienne

REVUE DES MARCHÉS. Wall Street a ouvert dans le vert après une bonne semaine.

Les nouvelles du marché du lundi 29 avril

Mis à jour à 09:06 | Refinitiv

Domino's Pizza dépasse les attentes au T1 avec son programme de fidélisation.