PDG sans frontières

Publié le 01/02/2009 à 00:00

PDG sans frontières

Publié le 01/02/2009 à 00:00

Un PDG américain dans une firme québécoise ? Pourquoi pas ! Désormais, même l'industrie du recrutement de PDG se mondialise.

Domtar vient d'embaucher un Britannique pour remplacer son PDG, Raymond Royer. Le patron de la nouvelle Bourse fusionnée de Toronto-Montréal (TMX) n'est ni québécois ni canadien, mais américain. Il y a trois ans, Sony causait un précédent en portant à sa tête un PDG qui n'était pas japonais : l'Américain Howard Stringer. De plus en plus d'entreprises font confiance à un PDG du pays voisin, même si le talent abonde chez eux. Quelle stratégie se cache derrière ces choix de recrutement ?

" Bon nombre d'entreprises canadiennes possèdent des sièges sociaux à Montréal ou à Toronto. Pourtant, dans plusieurs cas, elles ne font que de 5 à 10 % de leur chiffre d'affaires au Canada ", explique Jean-Claude Lauzon, chef de la direction du bureau montréalais du cabinet de recrutement Korn/Ferry. " Quand vient le moment de trouver un PDG, si l'entreprise exerce ses activités un peu partout dans le monde, la recherche se fera aussi à travers le monde. " Le candidat souhaité peut être canadien, mais c'est loin d'être le seul critère, dit-il. " Par exemple, beaucoup d'entreprises canadiennes ont essayé de se développer aux États-Unis, mais elles ont frappé un mur, dit Jean-Claude Lauzon. Les États-Unis comptent une multitude de marchés : la côte Ouest, la côte Est, le Midwest, le Nord-Est... et la dynamique de chacun est différente. Il faut cerner par où commencer, comment on s'y prend et avec quel joueur on le fait. Est-ce qu'on y va seul ? Seule une personne qui connaît un marché spécifique et une industrie spécifique est en mesure de répondre. "

L'exemple de Coca-Cola et de Pepsi illustre bien ce phénomène. Il y a quelques années, ces géants des boissons gazeuses ont chacun nommé un PDG pour partir à la conquête des marchés de l'Europe de l'Est. Pepsi a choisi un Américain, Michael White - qui dirige aujourd'hui l'ensemble des marchés internationaux de Pepsi -, alors que Coca-Cola a misé sur une Française, Dominique Reiniche, qui possédait une solide connaissance de ces marchés. Résultat : Coca Cola domine aujourd'hui Pepsi dans les parts de marché de l'Europe de l'Est. Mais Pepsi semble avoir appris la leçon. L'entreprise a nommé en 2006 Indra K. Nooyi à la tête de l'entreprise. Cette Indienne, tenue en haute estime dans le monde des affaires local (elle a grandi en Inde et y a fait ses études), a pour mission de poursuivre la conquête de l'immense marché indien qui constitue une priorité pour Coca-Cola.

Des chercheurs universitaires des universités de l'Oregon et de Sacramento, en Californie, ont confirmé le lien entre la nationalité du PDG et la stratégie de développement de l'entreprise. Dans une étude publiée en 2003, ils concluent que, lorsqu'une firme américaine passe d'un PDG américain à un PDG étranger, les parts de marché étranger de la firme augmentent de 40 % cinq ans après la transition.

Les compétences avant tout

Toutefois, si le lien entre le marché à développer et l'origine du PDG compte dans la sélection d'un candidat, d'autres critères s'imposent. Une personne qui a participé au dossier de la Bourse du TMX et qui préfère garder l'anonymat, explique pourquoi on a embauché Thomas Kloet, un Américain, comme nouveau PDG du TMX. " Il possède une expérience du marché américain alors même que le TMX développe une stratégie de croissance aux États-Unis ; il a une expérience des produits dérivés (la Bourse de Montréal se spécialise dans ce type de produits) ; et il a géré à Singapour une intégration semblable à celle qui a cours entre Toronto et Montréal. "

Pour Yves Fortier, associé directeur chez Ogilvy Renault et administrateur de sociétés, il est tout à fait normal qu'une entreprise opérant en dehors de ses frontières regarde au-delà de son jardin pour trouver la perle rare. " Les frontières auxquelles nous avons été habitués dans le monde des affaires n'existent plus ", dit-il. Le but, c'est d'aller chercher le meilleur candidat, peu importe qu'il soit anglais, américain, canadien, suisse ou allemand, dit celui qui siège aujourd'hui au conseil de Rio Tinto Alcan. " Prenez Rio Tinto Alcan. Voilà une société qui peut difficilement être plus anglaise que ce qu'elle est. Et son PDG est un Américain ! " Yves Fortier a aussi présidé le processus d'embauche de Dick Evans chez Alcan, en 2006. Il raconte : " Nous avons fait des recherches à l'interne et à l'externe, nous avons considéré des candidats européens, des candidats asiatiques... Au final, il y avait un Québécois, une femme et Dick Evans. Le conseil a choisi Dick Evans. Mais le processus a été très long. " L'embauche d'un PDG, dit-il, est la décision la plus importante qu'un conseil d'administration ait à prendre. " Quand vous remplacez un PDG, vous jouez l'avenir de l'entreprise. Une société qui gère des activités dans plusieurs pays, comme Domtar ou Alcan, rendrait un très mauvais service à ses actionnaires si elle se limitait à considérer seulement les candidats du Québec. "

Il faut voir l'embauche d'un PDG comme le casting d'une pièce de théâtre, illustre Laurent Lapierre, de son bureau de HEC Montréal. " Si vous avez besoin de jouer Hamlet et que le Hamlet que vous voulez en fonction de votre mise en scène se trouve à New York, vous irez le chercher là-bas. Les grands metteurs en scène d'ici ne se demandent pas si les acteurs viennent de Toronto. Ils se disent : "Est-il capable d'incarner le personnage" ? " Dans l'univers musical, si on recrute Kent Nagano à Montréal, c'est qu'on pense que l'équivalent n'existe pas chez nous, dit-il. " La situation est la même si vous avez besoin d'un redresseur d'entreprises. Si cette personne vient du Montana ou du Texas, vous irez la chercher. "

Si les PDG n'ont plus de patrie, on trouve toutefois peu de Québécois ou de Canadiens à la tête de grandes entreprises étrangères. Et ce, même en tenant compte du fait que notre population n'est pas très dense. " Il y a des Canadiens à l'étranger qui réussissent extrêmement bien dans des postes de haut niveau, fait remarquer Jean-Claude Lauzon. Plusieurs font carrière dans le domaine financier à New York ou à Londres. Il y en a aussi en Asie. Simplement, on les connaît moins. "

Les Canadiens ou les Québécois qui réussissent à l'extérieur sont souvent à la tête de divisions ou dans des postes de soutien comme celui de directeur des finances, note Nathalie Francisci, vice-présidente exécutive, Venatus Conseil/Mandrake Groupe Conseil. C'est le cas de Patrick Pichette, l'ancien chef de la direction financière chez Bell, qui occupe le même poste chez Google, en Californie, depuis l'été dernier. (Voir " Le monde de ", à la page 58.)

Des Québécois à l'étranger, il y en aura de plus en plus. Tout comme des étrangers aux commandes d'entreprises québécoises. La mondialisation rend les frontières obsolètes pour tous les marchés, y compris celui des PDG. Les considérations nationalistes ne font plus le poids. " Quand une entreprise recrute un PDG, la race ou l'ethnie compte peu, répète Jean-Claude Lauzon. Ce qui compte, c'est la compétence de la personne par rapport aux besoins de l'entreprise à ce moment-là. Le reste n'a aucune importance. "

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