Une augmentation salariale… à quel prix?

Offert par Les Affaires


Édition du 12 Octobre 2022

Une augmentation salariale… à quel prix?

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Édition du 12 Octobre 2022

Par Catherine Charron

Mélissa Pilon, fondatrice et experte-conseil à Rémunération & Co

Si la tendance se maintient, le revenu des Québécois pourrait bien bondir de 4,1% en 2023, en moyenne, une première depuis 2008, selon ce qu’indique des données colligées par l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés (CRHA).

Les organisations comptent même se doter d’un budget supplémentaire plus élevé que la normale afin de niveler ponctuellement vers le haut la rémunération de certains employés, rapporte-t-on. La directrice générale de l’Ordre, Manon Poirier, met toutefois en garde les entreprises qui, peinant à recruter, pourraient piger dans cette enveloppe pour bonifier leur offre. Elles s’exposent à l’iniquité salariale, une situation qui pourrait leur faire perdre leurs précieux travailleurs à long terme.

«Imaginez si ça se sait, que la personne est embauchée à un meilleur salaire que celui de ses collègues, illustre-t-elle. C’est dangereux pour démotiver les membres de l’équipe, ils se sentiront trahis. Même si l’employé finit par avoir une augmentation après l’avoir demandé, ça laisse un goût amer.»

 

La «taxe de la loyauté»

Le marché de l’emploi étant ce qu’il est aujourd’hui, l’Ordre ne serait pas surpris que des recrues obtiennent de meilleurs salaires que leurs homologues qui cumulent pourtant de nombreuses années au sein de l’entreprise, bien qu’il n’ait pas de chiffre à l’appui.

Aux États-Unis, cet écart représente en moyenne 7 % selon une analyse de près de 20 000 postes par LaborIQ en 2022. Dans le secteur de la finance et de la technologie, cette «taxe de la loyauté» atteint 20 %. De tels chiffres n’émeuvent pas Anna Potvin, conseillère principale et cheffe de pratique du Service de la rémunération chez Normandin Beaudry. «En théorie, on a toutes les bonnes pratiques, mais elles ne sont pas toujours appliquées, par contraintes financières. Ce n’est pas surprenant qu’en interne, des employés prennent du retard par rapport à ceux en externe», estime-t-elle. Le dernier sondage de Solutions mieux-être Lifeworks semble lui donner raison: 58 % des répondants comptent rajuster les salaires de leurs loyaux travailleurs afin de réduire l’écart avec leurs nouveaux collègues.

C’est d’ailleurs pourquoi, lorsqu’elle entend parler d’une organisation qui offre des bonifications ponctuelles substantielles à leur équipe, Mélissa Pilon, fondatrice et experte-conseil à Rémunération & Co, ne se réjouit pas trop vite: «Il y a peut-être simplement du rattrapage à faire, car l’entreprise n’avait pas fait ses devoirs.» Le phénomène n’est certes pas nouveau — la croyance qu’il faut démissionner pour réellement connaître une augmentation de ses revenus ne date pas d’hier —, mais la pénurie de main-d’oeuvre l’exacerbe. Les PME doivent donc redoubler de vigilance afin d’éviter d’accorder un salaire qui pourrait créer une iniquité parmi ses employés.

 

Gestion proactive

Il n’existe pas de cadre pour éviter de pénaliser les salariés de longue date, outre celui qui permettra de réduire l’écart entre les professions à prépondérance féminine et masculine. Ce serait toutefois un principe de base, selon la directrice générale de l’Ordre des CRHA. «C’est l’engagement moral, les valeurs de l’organisation qui vont faire en sorte que tu vas refuser d’embaucher une recrue qui demande une rémunération trop élevée, ou que tu vas bonifier celle de tes employés afin de t’ajuster au marché. L’enveloppe budgétaire additionnelle sert aussi à ça», souligne Manon Poirier. L’Ordre s’est lui-même retrouvé dans une telle situation l’an dernier, quand le candidat idéal pour pourvoir un poste en technologie de l’information s’attendait à 7000$ de plus. «J’ai augmenté le salaire des quatre autres employés de l’équipe TI. C’était la chose à faire, mais ça a coûté cher. C’est beaucoup, 28 000$ pour mon budget de PME, raconte sa directrice générale. Ou je le laissais partir, alors que ça faisait six mois que le poste était ouvert… ce n’est pas facile.»

 

Révisions coûteuses, mais nécessaires

Mélissa Pilon recommande de réduire la possibilité de surenchérir à l’embauche, afin de limiter les risques d’iniquité à la suite d’un recrutement. «La personne qui fait l’offre ne devrait pas être mise au courant des attentes du candidat, estime-t-elle. On lui présente le profil, puis on lui demande de la situer dans notre échelle salariale. Ça ajoute de l’objectivité dans la subjectivité.»

Si l’entreprise ne peut faire autrement que d’octroyer une meilleure cagnotte, toutes les expertes prônent la proactivité dans ce dossier pour corriger le tir.

Chose certaine, elles doivent, en amont ou dès maintenant, optimiser la progression salariale des membres de leur équipe.

En ayant une vision globale, soutient Anna Potvin, les PME pourront évaluer à quel rythme chacun de ses employés devrait avancer, et quel budget cela prendrait pour réduire l’écart entre son salaire et celui qu’elles offriraient à un candidat pour des compétences similaires.

D’ailleurs, si les hausses annuelles ont oscillé autour de 2 % à 3 % avant les deux dernières 1 Pour d'autres solutions RH années, les probabilités sont grandes qu’une correction soit aujourd’hui nécessaire.

Les gestionnaires doivent aussi comprendre quels sont les mécanismes de rémunération afin de véhiculer l’information et que celle-ci soit bien mise en contexte. «Dévoiler les échelles salariales, c’est une chose, mais il faut pouvoir expliquer aux travailleurs pourquoi ils se trouvent sur cette marche, comment les échelles sont établies, ce sur quoi elles s’appuient, ce qui y est valorisé», énumère-t-elle. Mélissa Pilon parle d’une politique de la rémunération, un outil qui permet de mesurer la valeur accordée à un salarié en fonction de son poste et de ce que le marché a à offrir. Une vigie devrait d’ailleurs être exécutée aux deux ou trois ans, estime-t-elle. Les augmentations salariales — et les iniquités — sont un dossier sensible qui requiert une bonne dose de transparence, sans pour autant ouvrir tout grand les livres financiers.

L’associée chez Normandin Beaudry recommande donc de profiter du contexte actuel pour revoir ses outils et pour créer une meilleure gestion de la rémunération.

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