Les Québécois, de moins en moins productifs?

Publié le 12/12/2023 à 07:30

Les Québécois, de moins en moins productifs?

Publié le 12/12/2023 à 07:30

Par Olivier Schmouker

Une étude du Cirano montre que plus on passe de temps au bureau, moins on est efficient. (Photo: Studio Republic pour Unsplash)

MAUDITE JOB! est une rubrique où Olivier Schmouker répond à vos interrogations les plus croustillantes [et les plus pertinentes] sur le monde de l’entreprise moderne… et, bien sûr, de ses travers. Un rendez-vous à lire les mardis et les jeudisVous avez envie de participer? Envoyez-nous votre question à mauditejob@groupecontex.ca

Q. – «On parle de plus en plus de baisse de productivité à cause du télétravail. C’est peut-être vrai, mais je me demande s’il n’y en a pas aussi concernant le travail au bureau: différents gestionnaires me parlent du spectacle désolant qu’ils voient aujourd’hui au bureau, à savoir des employés fatigués, irrités, voire au bord du burn-out. La baisse de productivité ne serait-elle pas, en fait, généralisée?» – Cybèle

R. – Chère Cybèle, les gestionnaires à qui vous avez l’habitude de parler ont bel et bien raison: il y a effectivement une baisse de la productivité du travail au Québec. Selon les données de Statistique Canada, la valeur que produisent les travailleurs par heure de travail a été en recul de 1,5% en 2022 par rapport à l’année précédente; et elle avait fondu de 3,9% en 2021. Ça signifie que l’ensemble des Québécois produisent aujourd’hui moins de richesses – biens comme services – lorsqu’ils travaillent pendant une heure que lorsqu’ils le faisaient les années précédentes.

Dans une récente chronique à laquelle vous faites référence, Cybèle, j’ai présenté des données qui révélaient que les travailleurs se montraient, en général, moins productifs lorsqu’ils étaient en télétravail qu’au bureau. L’engouement actuel pour le télétravail est donc un élément pouvant expliquer en partie la baisse de la productivité des travailleurs.

Qu’en est-il du travail effectué au bureau? Aurait-il, lui aussi, amorcé un déclin, ces derniers temps? Une étude du Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (Cirano) intitulée «Les facettes du travail en mode hybride (deuxième questionnaire)» et menée par Ali Béjaoui, Sylvie St-Onge, Ingrid Peignier et Félix Ballesteros Leivas donne quelques précieuses indications à ce sujet.

Les chercheurs ont interrogé 4 550 travailleurs du Québec sur leur vie actuelle au travail, par exemple sur leur niveau d’engagement envers leur travail, ou bien leur sentiment de bien-être au travail. Ils ont veillé à classer les personnes interrogées dans différentes catégories, en fonction de leur mode de travail (100% sur le lieu de travail, travaille à distance un jour par semaine, travaille à distance deux jours par semaine, etc.). Cela leur a permis de découvrir que, de leur propre aveu, ceux qui travaillent au bureau n’affichent pas une performance optimale:

– Les travailleurs qui passent 100% de leur temps au bureau disent avoir une efficience (atteinte des objectifs) de 4,17 (sur une échelle de 1 à 5); or, la moyenne globale est de 4,30.

– Pour ceux qui travaillent à distance 1 jour par semaine, le score est de 4,23.

– Et pour ceux qui travaillent à distance 2 jours par semaine, le score est de 4,26.

Autrement dit, plus on passe de temps au bureau, plus notre performance s’éloigne de la performance moyenne.

L’étude donne quelques pistes pouvant expliquer ce phénomène.

– L’engagement envers son travail est alors inférieur à la moyenne (3,83): score de 3,80 quand on est 100% bureau; score de 3,78 quand on est à distance 1 jour par semaine; score de 3,76 quand on est à distance 2 jours par semaine.

– L’engagement affectif envers son organisation est inférieur à la moyenne (4,1): score de 4 quand on est 100% bureau; score de 4,01 quand on est à distance 1 jour par semaine; score de 4 quand on est à distance 2 jours par semaine.

– Le sentiment de bien-être est, lui aussi, inférieur à la moyenne (4,14): score de 4,02 quand on est 100% bureau; score de 4,10 quand on est à distance 1 jour par semaine; score de 4,07 quand on est à distance 2 jours par semaine.

– Pis, le sentiment d’être au bord du burn-out est, lui, supérieur à la moyenne (2,63): score de 2,73 quand on est 100% bureau; score de 2,77 quand on est à distance 1 jour par semaine; score de 2,74 quand on est à distance 2 jours par semaine.

– Et sans surprise, l’intention de bientôt quitter son employeur est supérieure à la moyenne (1,89): score de 1,99 quand on est 100% bureau; score de 2,06 quand on est à distance 1 jour par semaine; score de 2,02 quand on est à distance 2 jours par semaine.

En résumé, plus on passe de temps au bureau, moins on est engagé envers son travail et son organisation, moins on est heureux, plus on est proche du burn-out et plus on a envie d’aller voir ailleurs si l’herbe est plus verte. Ce qui se traduit, entre autres, par une moins bonne performance au travail.

Cybèle, nous assistons à une baisse de la productivité du travail à la fois au bureau et à distance. Il s’agit bien d’une baisse généralisée.

Chers employeurs, voici donc votre grand défi pour 2024: si vous souhaitez vraiment renouer avec la productivité, redonnez le goût à vos employés de donner leur 110%. Et pour ce faire, la solution est peut-être très simple: et si vous leur demandiez directement ce qui leur permettrait d’y parvenir…

En passant, l’écrivain français Gustave Flaubert a dit dans une lettre adressée à Louise Colet: «Demander des oranges aux pommiers est une maladie commune».

 

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