« Faire passer l'humain avant tout »

Publié le 30/06/2009 à 19:35

« Faire passer l'humain avant tout »

Publié le 30/06/2009 à 19:35

Par lesaffaires.com

Récipiendaire du prix Europe pour le théâtre, l'acteur et metteur en scène italien Pippo Delbono est un artiste et un gestionnaire à part.


Au sein de la troupe qu'il a fondée et avec laquelle il travaille depuis une quinzaine d'années, se trouvent des comédiens professionnels mais aussi un ex-clochard (Nelson), un trisomique (Gianlucca) et un microcéphale sourd-muet (Bobo), rencontrés au hasard de sa vie.
Séropositif mais bien en vie à 50 ans, Pippo Delbono met en scène des œuvres qualifiées d'«éblouissantes» comme Questo Buio Feroce (Cette féroce obscurité), présentée récemment au Festival Trans-Amériques (FTA). Comment ce metteur en scène réussit-il à diriger une équipe si singulière ? Nous l'avons rencontré en marge du FTA.

Journal Les Affaires - Comment êtes-vous venu à faire du théâtre avec des gens qui ne sont pas du milieu des spectacles ?
Pippo Delbono - Je suis comme un peintre : je cherche la beauté dans chaque chose, dans chaque personne. J'ai toujours eu une ouverture aux autres. Je tiens cela de ma mère, qui serait aussi à l'aise de parler au président Obama qu'à un gitan. J'aime nouer des liens, croiser les différences. C'est une question d'authenticité. Si on se met en mode écoute avec les gens, on découvre et on apprend à aimer des âmes différentes. Quand j'ai appris que j'étais séropositif, j'ai fait une dépression et me suis retrouvé à l'hôpital psychiatrique de Naples. C'est là que j'ai connu Bobo. Il y croupissait. Bobo a transformé ma vie. Alors je l'ai sorti de là, et il fait partie de ma troupe depuis maintenant une dizaine d'années. Bien sûr, je ne lui demanderai pas de chanter Ave Maria sur scène puisqu'il est sourd et muet ! Mais les comédiens professionnels vous le diront, c'est au contact d'êtres d'exception comme Bobo qu'ils tirent les meilleures leçons de présence sur scène, car Bobo ne joue pas. Il est, à chaque seconde. Cela n'empêche pas l'interprétation, ludique ou grave, le sens du personnage à composer.

JLA - En quoi est-ce lié à votre démarche ?
P.D. - Mon théâtre n'est pas une histoire d'acteurs-vedettes aux gros egos, mais une véritable aventure humaine. Je vois notre troupe comme une équipe qui gravit une montagne. Ce qui compte, ce n'est pas l'ego de chaque comédien, mais le sens de l'œuvre à créer ensemble, et le rythme du parcours. Cela ne veut pas dire que tous doivent être semblables, car chacun est seul à gravir la montagne.
Mais chacun sait qu'il contribue à un événement plus grand que lui, plus grand que le groupe. C'est pourquoi, pour réussir en équipe, il faut se départir de l'ego. Malheureusement, avec le star system, bien des artistes n'y arrivent pas. Pourtant, on fait du théâtre pas pour se trouver, mais pour se perdre. C'est comme ça qu'on développe la créativité et que l'on touche réellement à l'âme humaine.

JLA - N'est-il pas difficile de diriger une troupe aussi atypique ?
P.D. - Cela prend certainement de l'autorité. Mais je la gagne, cette autorité. Je lance d'abord le processus d'improvisation. Chacun y va de son jet. Et je note tout dans un cahier. Je n'oublie rien. Les gens proposent des choses. Avec chacun, j'ai une méthode différente. Parfois, c'est long, mais il faut avoir confiance et aussi accepter que cela puisse ne rien donner. C'est un acte de foi, un acte de courage.
Être un leader, cela consiste à découvrir la particularité de chacun. Il faut apprendre à très bien connaître le potentiel de chacun. Par exemple, je sais ce que Gianlucca [le trisomique] peut faire mieux que quiconque. Après la période d'improvisation, vient le moment où je fixe les choses. Là, j'impose. Mais ce que j'impose vient de ce que j'ai vu chez les comédiens et pour cette raison, ils l'acceptent. Cela vient d'eux ! Je crois qu'un secret, ce n'est pas quelque chose que l'on donne, mais plutôt quelque chose que les autres découvrent de nous.

JLA - Il vous arrive aussi d'intervertir les rôles de chacun...
P.D. - C'est très important. Cela donne plus de créativité. Ainsi, le comédien Peppe, qui est aussi un poète, fera la technique à un moment donné. Un jour, pour une pièce, j'ai demandé au machiniste comment il voyait l'escalier. Il avait assisté aux improvisations. Il m'a fait un superbe escalier. On me demande : Qui est votre costumier ? Je réponds que nous n'avons pas de costumier. On trouve des costumes, voilà tout ! Pour moi, toutes les bureaucraties sont insupportables, elles tuent la passion. Quand les rôles disparaissent, c'est l'essentiel qui remonte.

JLA - Susciter la créativité est l'un des plus grands défis des gestionnaires. Quels sont les meilleurs moyens ?
P.D. - Les managers ont trop peur de l'erreur ! Je suis une personne qui a souffert. J'ai frôlé la mort, la folie. Je crois que c'est grâce à ces années de contraintes que j'ai commencé à chercher un chemin vers la liberté. Et la créativité vient de cette liberté. Il faut d'abord respecter l'humain, le faire passer avant tout.
Car toutes les personnes sont des bouddhas, c'est-à-dire qu'elles sont capables de vivre un état de grâce et de devenir des créateurs. Le leader doit susciter ces moments de grâce, et cela se fait par la tolérance, le respect et l'attention à l'autre. Pour cela, il faut se débarrasser de son ego. On descend dans les zones les plus obscures et on remonte ensemble. Il ne faut pas avoir peur de se tromper. Il faut accepter de se perdre.

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