Bombardier et le CSeries: on vole dans un épais brouillard


Édition du 25 Janvier 2014

Bombardier et le CSeries: on vole dans un épais brouillard


Édition du 25 Janvier 2014

Le moins qu'on puisse dire, c'est que les mauvaises nouvelles s'accumulent chez Bombardier (Tor., BBD.B, 3,96 $). Après le report d'un an de l'entrée en service du CSeries, voilà que la société annonce la mise à pied de 1 700 salariés, dont 1 100 dans la région de Montréal. Tentons d'y voir plus clair.

Deux questions intéressent les investisseurs. Combien coûtera le report d'un an de l'entrée en service ? Et quel sera l'impact du délai sur les résultats à venir, à court et à long terme ?

Le coût du report

BMO Marchés des capitaux croit qu'il pourrait en coûter de 200 à 300 M$. À l'autre bout du spectre, la maison Sterne Agee est plus pessimiste. Elle estime que le délai ajoutera plus de 1 G$ US au coût du programme.

À court terme, l'interrogation des investisseurs porte sur les liquidités.

En postulant que les dépenses d'immobilisation demeurent stables, Benoit Poirier, analyste chez Desjardins Marché des capitaux, estimait récemment qu'à la fin de 2014, l'entreprise aurait encore dans ses coffres 2,6 G$ US. Les conventions de crédit la forcent toutefois à maintenir un minimum de 2 G$ US de liquidités. En théorie, il y a un coussin, mais M. Poirier semble postuler que le CSeries coûte 500 M$ US en développement par année. Si le scénario de Sterne Agee est le bon, et qu'il coûte 1 G$ US, un drapeau jaune vient de se lever et on ne peut pas écarter une possibilité où Bombardier serait forcée d'aller négocier avec ses banquiers.

L'impact sur la rentabilité à long terme

Il était jusqu'à maintenant prévu que la famille d'appareils coûte 3,4 G$ US.

Si les coûts supplémentaires ne sont que de 200 M$ US (scénario de BMO), il n'y a pas matière à discussion. Par contre, si le bond est de plus de 1 G$ US, la situation est différente. Par rapport à un coût de développement de 3,4 G$ , c'est une augmentation de 30 %.

Dans ce scénario, la hausse est somme toute significative et viendra gruger la marge bénéficiaire lorsque seront livrés les premiers appareils.

De quelle ampleur sera la morsure ? Assez forte pour gruger la moitié des profits anticipés pour le CSeries, ou simplement une faible proportion ?

On est ici réduit à des scénarios spéculatifs.

Supposons que le prix de vente affiché d'un CSeries soit de 70 M$ US à 75 M$ US. Et que Bombardier obtienne une marge bénéficiaire de 6 %. L'avionneur montréalais semble viser une marge de 9 % à 10 %, mais on soumet l'hypothèse d'une marge plus basse, car elle est actuellement de 4,5 % pour les autres appareils. De plus, cette hypothèse permet aussi de présumer que des rabais sont accordés sur le prix de vente affiché.

On arrive donc à un bénéfice avant intérêts et impôts (BAII) d'environ 4,2 M$ US par appareil. Gardons le chiffre en mémoire.

On sait pendant ce temps que Bombardier vise à obtenir une part de marché de 50 % dans le créneau des avions de 100 à 149 passagers, qu'elle évalue à 6 900 appareils dans les 20 prochaines années.

La moitié de 6 900 donne 3 450 appareils. Bombardier ne veut pas dévoiler sur combien d'appareils elle amortira ses coûts de développement. Mais supposons que le dépassement de coût scénarisé de 1 G$ US soit amorti sur cet objectif. L'impact du dépassement serait alors d'environ 300 000 $ par appareil. Si Bombardier est plus modérée dans son hypothèse de part de marché et table non pas sur 50 %, mais sur 25 %, on est à 600 000 $ d'impact par appareil.

Ces montants sont à mettre en relation avec le bénéfice de 4,2 M$ que l'on avait gardé en mémoire. Un dépassement de 1 G$ grugerait donc le bénéfice dans une proportion variant de 7 % à 15 %. C'est significatif, mais pas dévastateur.

Évidemment, le calcul peut être très éloigné de la réalité. On vole aux instruments.

Les conséquences des mises à pied

En postulant une charge de 100 000 $ par emploi (salaires + avantages sociaux), on peut sans doute voir des économies de l'ordre de 170 M$. Ça ne vient pas tellement changer la situation, mais ça aide un peu, à court et à long terme.

Au final ?

Il y a matière à inquiétudes, mais on ne dirait pas qu'il y a matière à paniquer.

Le potentiel du CSeries ne semble en outre pas bien reflété dans le prix de l'action. À long terme, la réussite du programme est essentielle. À court terme toutefois, le comportement du titre dépendra maintenant surtout des résultats des activités actuelles (avions d'affaires, jets régionaux et division transport). Sur cette base, les choses s'annoncent pour l'instant assez bien, puisque le consensus des analystes pour 2014 est de 0,46 $ US par action, tandis qu'il est de 0,37 $ US pour 2013.

Bref, si le dépassement est nettement inférieur à 1 G$ US, le titre du géant montréalais pourrait se redresser assez rapidement. On verra mieux lors de la conférence téléphonique du 13 février.

À propos de ce blogue

Diplômé en droit de l'Université Laval, François Pouliot est avocat et commente depuis plusieurs années l'actualité économique et financière. Il a été chroniqueur au Journal Le Soleil, a collaboré au Globe and Mail et dirigé les sections économiques des différentes unités de Quebecor Media, notamment la chaîne Argent. Au cours de sa carrière, il a aussi fait du journalisme d'enquête ce qui lui a valu quelques distinctions, dont le prix Judith Jasmin. La Bourse Southam lui a notamment permis de parfaire son savoir économique à l'Université de Toronto. François a de même été administrateur de quelques organismes et fondation. Il est un mordu des marchés financiers et nous livre son analyse et son point de vue sur diverses sociétés cotées en bourse. Québec inc. sera particulièrement dans sa mire.

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