«DIY» et IA dans les processus juridiques: un mélange explosif!

Publié le 04/03/2024 à 14:00

«DIY» et IA dans les processus juridiques: un mélange explosif!

Publié le 04/03/2024 à 14:00

«Il m’arrive régulièrement en pratique de voir des contrats où certains éléments importants n’ont pas été révélés, alors que cela aurait dû l’être.» (Photo: 123RF)

EXPERT INVITÉ. Sans être un spécialiste de l'intelligence artificielle (IA) ou des technologies, j’ai, comme beaucoup d’entre vous, testé quelques outils laissés à la disposition du grand public. Il est fascinant de voir à quel point ces outils génèrent des textes en apparence plausibles, et parfois adéquats. Cependant, je constate qu’en matière juridique, l'IA n'est pas encore au point et que sa mauvaise utilisation comporte des risques de dérapage, notamment lorsque la tendance du Do It Yourself (DIY) s’invite dans l’équation. 

En effet, comme avocat, je constate que plusieurs se tournent de plus en plus vers les outils d'IA pour générer des contrats, lettres et autres documents de nature juridique. Devant l’apparence adéquate des documents générés par ces outils, plusieurs se disent qu’il n’y a plus lieu de consulter un juriste pour effectuer ce travail. L’arrivée de l’IA accélérera donc à mon avis la tendance du DIY en matière juridique. 

Bien que je croie que l’IA sera éventuellement (ou est déjà) adéquate pour résoudre des problèmes juridiques récurrents et rédiger certains contrats sous la supervision de juristes, plusieurs documents juridiques générés par les outils d’IA accessible au grand public ne sont pas encore tout à fait au point. Il y a donc lieu d’être prudent.

 

Les dangers du DIY en droit 

Devant l’arrivée des outils d’IA grand public, la tentation de l’utiliser pour produire des contrats de toutes sortes est tout à fait compréhensible: plusieurs entreprises en démarrage n’ont pas les budgets pour produire tous les documents juridiques requis pour leurs opérations. 

Dans mon travail d’avocat, j’ai parfois été témoin de situations malheureuses causées par des contrats ou documents juridiques «faits maison». Voici 4 exemples:

 

1. Provoquer malgré soi des conflits ou des malentendus:

Un contrat est un mode de communication. C’est un moyen de confirmer une entente préalablement négociée et de prévoir certaines modalités pour encadrer la relation d’affaires entre les parties. Pour qu’une entente soit claire, il faut éviter les interprétations contradictoires. 

J’ai constaté l’éclatement de conflits suivant la signature d’un contrat mal fait ou «fait maison» alors qu’une partie a une autre interprétation de ce qu’il contient. Cette situation apparaît souvent lorsqu’un contrat est imprécis et que les parties jouent les avocats dans la rédaction des clauses plus techniques. 

Il est important de se rappeler que peu importe qu’il y ait un contrat de 10 ou 100 pages ou pas de contrat écrit du tout, un conflit peut quand même arriver. Cependant, un contrat clair pourra restreindre certains débats et amener les parties à une résolution plus rapide du conflit. 

Une mauvaise compréhension du droit agencée à l’orgueil de tout faire soi-même peut aussi être à la source de plusieurs malentendus dans le cadre de négociations et devenir un frein à une bonne entente commerciale avantageuse pour tous. 

 

2. Perdre des droits ou renoncer à ceux-ci:

Certaines personnes me reviennent avec des documents dans lesquels ils ont signé des quittances ou renonciations particulièrement larges qui leur enlèvent inutilement des droits importants. Lorsque nous sommes devant le fait accompli, il est souvent trop tard pour rectifier la situation. Il faut se rappeler que l’ignorance ou la mauvaise connaissance de ses droits n’est pas un bon argument juridique pour faire invalider un contrat.

 

3. S’imposer des obligations inutiles:

Plusieurs, lorsque vient le temps de préparer des communications ou des documents de nature juridique, commettent l’erreur de trop en dire, de mettre trop de clauses, trop d’engagements. Ainsi, elles se retrouvent à s’engager légalement sur des choses superflues et qu’elles ne sont pas en mesure d’honorer. Il faut toujours se rappeler la nature communicative du contrat: il s’agit d’un échange entre des parties qui s’obligent l’une envers l’autre pour en tirer un avantage. Il faut donc créer un équilibre difficile dans la rédaction: rester simple sans être ambigu.

 

4. Se mettre dans le trouble, tout simplement:

Au-delà de ce qui peut être écrit dans un contrat, chaque partie doit comprendre ses droits et ses obligations avant de s’engager et ainsi éviter de faire des représentations qui s’avèrent fausses ou inexactes. Or, il m’arrive régulièrement en pratique de voir des contrats où certains éléments importants n’ont pas été révélés, alors que cela aurait dû l’être. Un litige éclate alors lorsque l’autre partie découvre des éléments qui ne lui ont pas été révélés et qui compromettent le contrat convenu (par exemple, une fausse déclaration d’un vendeur relativement à la rentabilité d’une entreprise vendue).

 

Évidemment, la répercussion des documents juridiques faits par des non-juristes est une question de perspective et de gestion des risques. Les conséquences d’un contrat inadéquat ne sont pas les mêmes si la valeur du contrat est de 100$ ou de 100 000$. 

Une entreprise qui a des processus contractuels récurrents (par exemple, la gestion immobilière, des contrats normalisés, etc.) intégrera souvent à l’interne la gestion et la préparation des contrats avec une supervision juridique ponctuelle, ce qui est une gestion saine des opérations.

En revanche, préparer soi-même un contrat lorsque le droit n’est pas notre champ de compétence est un grand risque lorsque le contrat envisagé a une certaine importance et qu’il ne s’inscrit pas dans un environnement d’affaires bien connu de celui qui le prépare.

 

Finalement, quoi en penser? 

L’IA, comme l’a été toute nouvelle technologie par le passé, est annonciatrice de transformations importantes dans la distribution du travail dans les cabinets juridiques et dans les entreprises. À titre d’exemple, nous voyons déjà avec les plus jeunes générations de juristes que certains services de rédaction, de dictée ou de mise en page, etc. ne sont plus nécessaires. Ainsi, les cabinets seront appelés à rationaliser leurs ressources afin de concentrer celles-ci aux tâches à valeur ajoutée.

Est-ce que l’IA appliquée au droit pourra apporter une plus grande accessibilité aux services juridiques pour les PME? Tout laisse croire que oui pour ce qui est des contrats et des documents récurrents. La rapidité de rédaction permettra une diminution des coûts juridiques.

Cependant, une mauvaise utilisation de l’IA par les entrepreneurs et les justiciables pour gérer eux-mêmes leurs affaires juridiques pourra augmenter le nombre et la complexité des conflits: la connaissance du droit et de ses implications ne se génère pas d’un clic. 

Je crois qu’un entrepreneur doit toujours garder en tête le principe socratique que nous avons tous bien appris au cégep: «Tout ce que je sais, c'est que je ne sais rien». D’où l’importance de bien s’entourer et de connaitre ses angles morts.

 

 

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