La nouvelle socialisation de l’économie chinoise


Édition du 09 Novembre 2022

La nouvelle socialisation de l’économie chinoise


Édition du 09 Novembre 2022

Des drapeaux rouges flottent au-dessus du «Grand Palais du peuple», qui héberge le congrès du PCC. (Photo: 123RF)

ZOOM SUR LE MONDE. Le 20e congrès du Parti communiste chinois (PCC), qui s’est tenu à Beijing, du 16 au 22 octobre, a non seulement consacré l’immense pouvoir du président Xi Jinping (du jamais vu depuis Mao Tsé-toung), mais il marque aussi le déclin d’un modèle économique axé sur les entreprises privées. On mise désormais sur le renforcement du secteur public et de l’État policier, dans un pays où la croissance n’assure plus la stabilité politique.

L’enjeu est de taille pour le Canada. La Chine est notre deuxième marché d’exportation après les États-Unis, avec des expéditions de marchandises qui ont totalisé 28,2 milliards de dollars (G$) en 2021, selon Statistique Canada. C’est aussi notre deuxième marché d’importation, à 86 G$.

Aussi, tout changement à son modèle de développement économique a une incidence sur les entreprises canadiennes qui brassent des affaires avec la Chine, d’autant plus que son économie n’a plus sa vigueur d’antan.

Le PIB devrait croître de 3,2 % en 2022, puis de 4,4 % en 2023, prévoit le Fonds monétaire international.

C’est un niveau inférieur à la moyenne des pays de l’ASEAN-5 (Indonésie, Malaisie, Philippines, Thaïlande, Vietnam), dont la croissance devrait respectivement s’établir à 5,3 % et à 4,9 % en 2022 et 2023.

 

Taux de chômage record chez les jeunes

Le taux de chômage chez les jeunes (les 16 à 24 ans) est aussi très élevé, à 20 %, explique à Les Affaires Guy Saint-Jacques, ex-ambassadeur canadien en Chine et aujourd’hui fellow à l’Institut d’études internationales de Montréal (IEIM-UQAM). «Ça préoccupe le régime», dit-il. Ce n’est pas la seule chose qui préoccupe les autorités chinoises. Il faut ajouter la crainte d’assister à des critiques de plus en plus virulentes à l’égard de la stratégie gouvernementale «zéro COVID-19»— on confine des villes dès l’apparition de quelques cas —, qui exaspère la population.

C’est sans parler d’une frustration au sein de certaines entreprises étrangères, car il est de plus en plus difficile de faire des affaires avec ce pays. Un sondage réalisé au mois de mai par la Chambre de commerce de l’Union européenne en Chine auprès de ses membres témoigne de ce sentiment.

Ainsi, 60 % des répondants ont réduit leurs prévisions de revenus en Chine en 2022, tandis que 23 % ont déclaré qu’ils envisagent de déplacer complètement leurs investissements hors de Chine, révèle le sondage dont fait état le Financial Times de Londres. Ce pourcentage de 23 % est le plus élevé enregistré au cours des dix dernières années.

 

Expulsion de Hu Jintao

La philosophie de développement économique de plus en plus affirmée de Xi Jinping n’augure rien de bon non plus pour les entreprises étrangères.

Rien n’est laissé au hasard en Chine. Aussi, l’expulsion savamment orchestrée et médiatisée de l’ex-président Hu Jintao, lors de la cérémonie de clôture du congrès, représente tout un symbole.

Hu Jintao, qui a dirigé la Chine de 2003 à 2013, était un réformiste et un partisan de la libéralisation partielle de l’économie chinoise. Bref, c’était un président dans la pure lignée de Deng Xiaoping, le père de l’ouverture graduelle de la Chine communiste à l’économie mondiale à la fin des années 1970.

Les raisons de son expulsion demeurent nébuleuses. Selon l’agence de presse officielle Xinhua, l’ancien président de 79 ans «ne se sentait pas bien», ce qui expliquerait pourquoi il aurait été invité à quitter les lieux.

Mais personne n’est dupe: il s’agit avant tout d’un message adressé aux autres membres du PCC présents dans la salle, estiment des spécialistes de la Chine. «Xi a éliminé toute opposition», affirme Richard McGregor, chercheur au Lowy Institute, un groupe de réflexion australien, cité par le quotidien français Le Figaro. D’une part, pour leur rappeler qui est désormais le vrai et unique chef en Chine, Xi Jinping, et ce, après des années de purges au sein du parti communiste sur fond d’une campagne anticorruption.

D’autre part, pour signifier clairement que le pays tournait la page sur un modèle économique axé sur les entreprises privées afin de créer de la richesse en Chine, et ce, pour se tourner davantage vers les grandes sociétés d’État.

Du reste, cette tendance s’observe de plus en plus depuis le début de la présidence Xi en 2013, rappelle la spécialiste de la Chine, Alice Ekman. «Non seulement le rôle du parti et de l’État dans l’économie chinoise n’a jamais cessé d’être fort depuis la création de la République populaire de Chine en 1949, mais celui-ci se renforce depuis l’arrivée de Xi Jinping», écrit la chercheuse dans son livre Rouge vif. L’idéal communiste chinois, publié en 2021.

Déclin du secteur privé, nouvelle socialisation de l’économie… Même s’il reste encore d’innombrables occasions en Chine, l’environnement d’affaires des entreprises canadiennes dans ce pays de 1,4 milliard d’habitants devient de plus en plus complexe et risqué.

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand

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