Méné ou brocoli ?

Publié le 01/04/2009 à 00:00

Méné ou brocoli ?

Publié le 01/04/2009 à 00:00

Le plus important réseau d'aqueducs, de barrages et de réservoirs de la Californie tombe en ruine. Plus des deux tiers des habitants de cet État et une industrie agricole de 37 milliards de dollars américains comptent sur ce réseau pour leur approvisionnement en eau. Le gouverneur Schwarzenegger est confronté à un double défi : trouver les milliards nécessaires à ce projet et rénover sans nuire à l'écosystème.

"Le problème lié au méné du Delta illustre une crise écologique et économique, mais aussi une crise institutionnelle. Les diverses agences responsables de gérer l'eau de l'État ne font pas leur travail. Dans ce cas précis, nous avons eu gain de cause en cour contre le Département de l'intérieur en invoquant des lois sur les espèces protégées", explique Barry Nelson, analyste sénior des politiques au Natural Resources Defense Council, un des groupes écolos les plus puissants des États-Unis. Le méné, qui nage au bas de la chaîne alimentaire, est l'aliment de base de beaucoup d'espèces de poissons et d'oiseaux. Et son existence est menacée par la soif des Californiens.

Le Delta San Joaquin-Sacramento, une merveille d'ingénierie dans lequel on a aménagé un réseau d'aqueducs, de barrages et de réservoirs, irrigue les terres fertiles mais asséchées de la première puissance agricole des États-Unis. Il est aussi la principale source d'eau potable de la Californie, dont la population a doublé depuis le premier coup de pelle. Cette "plomberie" aujourd'hui désuète peine à fournir le liquide vital à 23 millions d'habitants, soit les deux tiers de la population.

Les villes et les entreprises siphonnent 11 % de l'eau disponible, l'agriculture 41 %, et l'environnement 48 %. Or, le printemps der-nier, le juge fédéral Oliver Wanger a ordonné l'arrêt momentané de l'usine de pompage de C. W. "Bill" Jones pour sauver les ménés. Car les six moteurs de cette usine, la plus importante station de pompage d'eau potable et d'irrigation du monde, réduisent ces poissons du delta en une horrible bouillie ! Du coup, on a diminué de plus de 40 % la quantité d'eau du delta destinée à la production agricole. Une décision qui aggrave une pénurie déjà inquiétante.

"En 2008, on a réduit des deux tiers la quantité d'eau qui nous venait habituellement du delta, et cela nous nuit beaucoup, explique Chuck Dees, gestionnaire de l'irrigation chez Stamoules Farm, un des principaux fournisseurs de brocoli et de cantaloup des marchés québécois et canadien. Nous envisageons de creuser un puits pour pomper de l'eau souterraine. Mais cela représente un investissement de 500 000 dollars, et cette eau n'est pas de bonne qualité ! Je crois plutôt que nous allons réduire notre superficie de production." L'an dernier, beaucoup d'agriculteurs ont dû mettre leur terre en jachère en raison du manque d'eau. "Les prix de l'eau ont augmenté en moyenne de 200 à 400 dollars l'acre-pied et ont atteint 900 dollars l'acre-pied", explique Frances Mizuno, de la San Luis & Delta Mendota Water Authority, une des 450 agences publiques de distribution de l'eau aux agriculteurs, aux villes et aux entreprises. (Un acre-pied repré-sente la quantité d'eau nécessaire pour recouvrir un acre de terre d'un pied d'eau ou équivaut à déverser l'eau d'une piscine olympique sur un hectare). À ces prix-là, même les producteurs d'amandes et de pistaches, des produits qui, avec le vin, figurent parmi les plus lucratifs, ont laissé sécher de jeunes arbres sur pied pour sauver ceux qui produisaient déjà.

Au milieu de l'été dernier, le Département californien de l'agriculture et de l'alimentation estimait les pertes agricoles à 320 millions de dollars. "Et compte tenu de l'effet multiplicateur, on parle de plus d'un milliard de dollars et de 1 000 emplois", dit Mike Wade, le directeur exécutif de la California Farm Water Coalition, un organisme voué à l'éducation du public en matière d'utilisation de l'eau par les agriculteurs.

Les récoltes les plus touchées, outre la culture du coton, sont les productions annuelles : tomates, piments et laitues. Jointe à Montréal, la porte-parole de Metro, Josée Lessard, affirme que les prix des denrées produites en Californie n'ont pas augmenté jusqu'à maintenant. Mais cela pourrait changer si une autre sécheresse se produit en 2009.

État d'urgence

La crise de l'eau provoquée par la décision du juge Wanger a été exacerbée au printemps dernier, le plus sec que la Californie ait connu en 88 ans, ce qui a obligé le gouverneur Schwarzenegger à décréter l'état d'urgence. Les Californiens sont rationnés en eau, sous peine d'amendes salées. Pour circonscrire la crise, le Terminator envisage la construction d'un canal périphérique bien au nord de l'État, à la source de la rivière Sacramento, qui permettrait d'isoler les exportations d'eau de l'écosystème du delta et qui ne mettrait plus en péril les espèces de poissons menacées. La seule évocation d'un tel canal fait monter la tension de plusieurs crans entre agriculteurs et environnementalistes, et aussi entre les habitants du Nord et ceux du Sud de la Californie. Pour calmer le jeu, Arnold serait-il tenté de pomper l'eau qui se trouve plus au nord, au Canada, et de la transporter par pipeline comme le pétrole, ou de remorquer des icebergs ou de gigantesques gourdes flottantes ? Non, cette idée ne sort pas d'un film d'Hollywood.

En 1999, Sun Belt Water, une entreprise californienne, s'est présentée devant le tribunal de l'ALENA et a exigé du gouvernement canadien un dédommagement de 1,5 milliard de dollars américains, pour avoir imposé une rupture de contrat avec une société de la Colombie-Britannique. L'entente commerciale prévoyait l'exportation massive d'eau canadienne transportée sur les côtes californiennes à bord d'anciens cargos pétroliers. L'affaire est tombée à l'eau, mais elle a donné des sueurs froides à Ottawa, qui n'a toujours pas de politique nationale de l'eau. De tels projets se sont-ils vraiment évaporés ?

"C'est trop coûteux ! On peut transporter sur une distance de 1 000 ou 2 000 kilomètres un baril de pétrole qui vaut 100 dollars. Mais un baril d'eau ne vaut que quelques cents. Et même dans le futur, un baril d'eau ne vaudra que quelques cents. Pour ce prix-là, vous pouvez désaliniser un mètre cube d'eau de mer", assure Peter Gleick, président du Pacific Institute. Cet expert des questions de l'eau croit que le secteur agricole californien pourrait économiser le tiers de toute l'eau utilisée en milieu urbain par les ménages, les industries et les établissements commerciaux. Pour cela, il faudrait acheter de l'équipement d'irrigation sophistiqué, assurer une meilleure gestion de ce précieux liquide et redistribuer les subventions agricoles américaines d'une valeur de plusieurs milliards - lait, coton, maïs - à des productions moins gourmandes en eau.

Coincé entre les intérêts du méné et ceux du brocoli, Arnold Schwarzenegger a présenté devant le Parlement californien en décembre dernier un projet ambitieux pour l'avenir du delta. Bon nombre doutent que le populaire gouverneur puisse moderniser une partie de la structure du Delta San Joaquin-Sacramento. Les coffres de l'État sont à sec. Le salut des Californiens se trouve plutôt dans une rivière virtuelle. Engendrée par l'économie et le recyclage de l'eau en milieu urbain, le captage des eaux de pluie dans les cités et une meilleure gestion des eaux souter-raines et agricoles, celle-ci générerait une quantité d'eau plus grande que celle que consomment actuellement 37 millions de Californiens !

nicolasmesly@videotron.ca

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