L'entreprise publique qui inspire

Publié le 14/02/2013 à 09:19, mis à jour le 15/02/2013 à 09:19

L'entreprise publique qui inspire

Publié le 14/02/2013 à 09:19, mis à jour le 15/02/2013 à 09:19

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Les temps changent. Les entreprises du secteur public ont aujourd’hui la volonté d’atteindre un rendement similaire à celui de leurs homologues du secteur privé. Certaines peuvent même aspirer à devenir des acteurs d’envergure internationale.

Auteurs : Arief Budiman, Diaan-Yi Lin et Seelan Singham, McKinsey Quartely

En période de ralentissement économique, certaines sociétés d’État — malgré les pressions accrues qu’elles subissent pour améliorer leur efficacité — sont appelées à soutenir les programmes de relance gouvernementaux en augmentant leurs dépenses et en retenant leur personnel. Dans ce contexte, peuvent-elles tout de même améliorer leur performance ?###

Une étude menée par McKinsey il y a quelques années a révélé que, même en temps normal, le rendement moyen de l’actif des entreprises publiques en Chine était moitié moins élevé que celui du secteur privé. Le fait que de nombreuses entreprises du secteur public, en Chine et ailleurs, soient à l’abri des pressions concurrentielles explique en partie cette situation, mais d’autres facteurs interviennent également. Les entreprises publiques jonglent souvent avec de multiples objectifs financiers et sociaux flous ou contradictoires, comme celui de fournir d’importants services de téléphonie à prix modique. L’ingérence politique peut susciter des décisions rapides qui menacent les objectifs financiers d’une entreprise. Il est également difficile de trouver des travailleurs talentueux : les éléments les meilleurs et les plus brillants sont attirés par le secteur privé plus payant, alors que les promotions fondées sur l’ancienneté, qui sont courantes dans les entreprises publiques, peuvent cacher les meilleurs talents à l’interne.

Il y a pourtant des signes encourageants. Dans les marchés émergents, certaines entreprises publiques comblent l’écart qui subsiste entre elles et leurs concurrentes du secteur privé. Ainsi, la société pétrolière malaise Petronas a entrepris une campagne d’excellence opérationnelle axée sur l’amélioration des compétences techniques et sur une culture de travail plus efficace dans ses usines. Cinq ans plus tard, l’initiative avait généré des économies et de nouveaux revenus de plus d’un milliard de dollars. Qui plus est, l’efficacité opérationnelle de l’entreprise, mesurée selon un critère qui combine utilisation, qualité et rendement, se classe maintenant dans le quartile supérieur du secteur.

Ces entreprises plus performantes mettent à profit les meilleures pratiques du secteur privé tout en se concentrant sur trois aspects d’une importance particulière : clarifier les objectifs et obtenir un mandat explicite ; concentrer les rares ressources disponibles dans les secteurs ayant un impact financier plus percutant et redéfinir les façons d’attirer des employés talentueux. Les gouvernements jouent un rôle important dans la création d’un environnement propice à l’excellence dans les entreprises publiques. Toutefois, leurs dirigeants n’ont pas à attendre que les initiatives viennent d’autres agents publics pour passer à l’action.

Objectifs clairs, mandat explicite

Les entreprises publiques exercent trop souvent leurs activités en coulisse, ne dévoilant que peu d’information au-delà de celle exigée par leur mandat général. Ce manque de transparence tient peut-être au fait que leurs objectifs sont flous ou contradictoires. Toutefois, il peut également être lié à l’opportunisme politique, à un désir d’éviter les comparaisons avec le secteur privé ou à un manque d’expérience des communications institutionnelles claires et concises. Les entreprises publiques de premier ordre peuvent clamer leurs objectifs ouvertement et justifier les compromis qu’elles font entre leurs objectifs financiers et leurs objectifs sociaux lorsqu’elles négocient un mandat transparent avec le gouvernement et d’autres parties prenantes.

En pratique, ce genre de transparence implique qu’on établisse explicitement ses objectifs financiers comme principal objectif et qu’on se fixe à la fois des objectifs ambitieux et des attentes minimales, par exemple couvrir le coût du capital. L’expérience des économies développées donne quelques indications à ce sujet. En Suède, par exemple, l’opérateur ferroviaire national a reçu pour directive d’égaler les normes du secteur pour ce qui est du rendement des capitaux propres (13 %), de la couverture de l’intérêt (2:1) et du ratio d’endettement minimal (1:1). De même, les objectifs sociaux non financiers, tels que le maintien de l’emploi ou l’offre de services universels, doivent être cernés, quantifiés, rendus publics, et dans la mesure du possible, financés ouvertement. La télévision néo-zélandaise, par exemple, reçoit annuellement 10,7 millions de dollars NZ pour son mandat de production et de diffusion des émissions locales.

Les dirigeants des entreprises publiques doivent non seulement avoir la liberté de poursuivre ces objectifs précis, mais elles doivent également recevoir du soutien de leurs supérieurs. Ce soutien prend parfois la forme d’un accord entre les dirigeants et les représentants du gouvernement. Le chef de direction d’une entreprise de produits de base asiatique, par exemple, a négocié un mandat explicite qui lui donnait une marge de manœuvre sans précédent. Il a notamment obtenu le droit de nommer l’équipe de direction plutôt que d’accepter des nominations politiques, de licencier des travailleurs non productifs et d’élaborer un programme de rémunération fondé sur le rendement pour les postes clés. Après des mois de pourparlers, le chef d’État du pays a signé l’accord. Bien qu’il soit encore trop tôt pour en évaluer l’impact, tout porte à croire que l’expérience est prometteuse — par exemple, la preuve d’une plus grande responsabilisation parmi les hauts dirigeants.

Les chefs de direction ont avantage à régler ces questions avant d’accepter le poste officiellement, puisqu’ils ont à ce moment un plus grand pouvoir de négociation, surtout si la responsabilité d’améliorer les résultats de l’entreprise leur incombe. Une des tactiques efficaces à cet effet consiste à présenter quelques scénarios et à montrer les liens qui existent entre les résultats et les mesures nécessaires pour les atteindre. Dans une entrevue publiée dans McKinsey Quarterly1, Idris Jala, par exemple, dit avoir clairement exprimé ses idées pour procéder à une réforme lorsqu’il a été pressenti pour devenir le chef de direction de Malaysia Airlines, et avoir insisté pour obtenir la liberté d’action nécessaire pour atteindre l’objectif de rentabilité prévu avant la fin de la période cible de trois ans. Bien qu’Idris Jala n’ait pas obtenu tout ce qu’il voulait, on lui a accordé la liberté d’action dans les secteurs les plus importants pour régler les problèmes de l’entreprise, notamment la modification des horaires de vol, l’élimination des liaisons aériennes déficitaires et la vente de l’immeuble du siège social de l’entreprise.

Une fois que tout est en place, la communication des nouveaux objectifs financiers et des mesures à prendre pour les atteindre offre trois avantages importants. Premièrement, la transparence de la démarche entraîne une certaine responsabilisation, ce qui peut obliger les représentants du gouvernement à respecter leurs engagements, surtout si des problèmes surviennent. Deuxièmement, elle peut favoriser le soutien de la population à l’égard des changements, ce qui est particulièrement important si le soutien politique est fragile. Troisièmement, elle exerce de la pression sur l’organisation interne et l’oblige à fournir des résultats. Malaysia Airlines, par exemple, a diffusé largement son plan de redressement détaillé, entre autres dans les journaux et sur les sites Web. Elle a contribué ainsi à aligner diverses parties prenantes sur les objectifs, sur les mesures d’amélioration et sur les progrès réalisés.

De plus, les entreprises doivent non seulement se concentrer sur leurs portefeuilles de programmes sociaux et non financiers afin d’offrir des résultats concrets aux principales parties prenantes, mais elles doivent aussi communiquer ces résultats. À moins qu’ils ne parviennent à satisfaire les besoins fondamentaux du public et d’autres parties prenantes clés, les chefs de direction des entreprises publiques risquent une réaction politique indésirable qui pourrait miner leurs efforts et les pouvoirs qu’ils ont gagnés. Ces entreprises ne peuvent négliger leurs missions premières, telles qu’un service uniforme à l’échelle du pays, qui ne sont pas liées directement à des objectifs financiers. Ainsi, une entreprise publique ne peut pas laisser ses initiatives de transformation entraver sa capacité à alimenter le pays en électricité, souvent à des prix subventionnés. Néanmoins, elles peuvent parfois contester les obligations non financières dont elles ont hérité — par exemple, le soutien d’industries sans liens avec leur secteur par des subventions indirectes, comme des produits, des services ou du financement offert à des taux inférieurs à ceux du marché.

Ressources limitées, impact financier

Les défis semblent de taille pour les entreprises publiques qui amorcent un virage vers une plus grande efficacité. L’examen public très minutieux auquel elles sont soumises est intense, d’où la pression à produire des résultats rapides et à éviter des faux-pas. Des changements importants peuvent indisposer les travailleurs et augmenter le niveau des risques politiques. Les talents en leadership sont rares, et peu de gens ont de l’expérience dans l’exécution de programmes de changement. Les entreprises publiques judicieuses ont donc tendance à commencer leurs programmes de changement en se concentrant sur quelques secteurs qui promettent d’avoir les plus grandes répercussions financières plutôt que de s’engager dans un programme d’envergure susceptible d’échouer par manque de ressources. Il est donc également moins probable que les intérêts divergents, et peut-être opposés, des parties prenantes détournent les dirigeants de l’entreprise de leur mandat principal.

Les dirigeants doivent choisir leurs objectifs avec soin. Pour souligner l’urgence et surmonter l’inertie bureaucratique courante dans les entreprises publiques, il est souvent nécessaire de former des équipes spéciales, parrainées par le chef de la direction, qui ont l’autorisation de court-circuiter les paliers hiérarchiques superflus. Le chef de la direction de la société pétrolière indonésienne Pertamina, par exemple, a formé des équipes de contournement qu’il surveillait de près afin d’accélérer les projets à fort impact. Comptant au départ une douzaine d’initiatives, le programme a été élargi depuis de façon à englober toute l’organisation. Deux ans plus tard, il génère des bénéfices avant intérêts, impôts et amortissements (BAIIA) d’environ 285 millions de dollars. Pour de nombreuses entreprises, les services (comme celui de l’approvisionnement) qui gèrent d’importants budgets et qui sont exposés aux ingérences politiques (ou qui doivent équilibrer des objectifs sociaux) bénéficient souvent des efforts accrus déployés par de telles équipes.

En mettant l’accent sur une unité d’affaires, les chefs de direction peuvent canaliser des investissements dans les secteurs qui présentent le meilleur potentiel. La société pétrolière brésilienne Petróleo Brasileiro (Petrobras), par exemple, met l’accent depuis des années sur la mise en valeur du potentiel de l’exploration et de la production en eaux profondes. Depuis 1986, Petrobras a investi plus de 20 milliards de dollars pour développer les avancées technologiques dans ce secteur, auxquelles elle attribue la hausse de production de 500 000 à 2,4 millions de barils par jour.

Certains chefs de direction vont jusqu’à séparer de leur organisation de base les secteurs qui présentent le potentiel le plus élevé. Ce type d’isolement peut offrir à ces entreprises l’occasion de bâtir des cultures fortes fondées sur la performance et qui deviendront des modèles pour toute l’organisation, préparant le terrain pour un changement de culture plus vaste.

Pour mieux se concentrer sur les secteurs de haute priorité, les dirigeants des entreprises publiques doivent aussi examiner les activités et les biens périphériques, et dans la mesure du possible, y mettre fin, les franchiser, les impartir ou s’en défaire. La cession de biens publics est un dossier délicat sur le plan politique et exige habituellement l’approbation de nombreux paliers. Les dirigeants ont toutefois trouvé des idées créatives pour accélérer le processus. L’entreprise de produits de base mentionnée précédemment, par exemple, a transféré la gestion de sa flotte marchande à un partenaire international. Cette décision, qui n’a nécessité ni changement de propriétaire ni baisse d’effectifs, lui a permis d’économiser des dizaines de millions de dollars en moins de six mois, principalement grâce à la discipline exceptionnelle de son partenaire et à ses meilleures pratiques d’exploitation.

Attirer le talent

Les entreprises publiques éprouvent des difficultés à attirer des gens talentueux et à motiver leurs meilleurs éléments, parce que le milieu est perçu comme sclérosé, hiérarchique et bureaucratique. Comme l’avancement professionnel dépend souvent de l’ancienneté plutôt que du rendement, les employés qui ont des compétences en leadership ne voient que peu de raisons de briller.

Pour attirer de nouvelles compétences, les entreprises publiques doivent étoffer leurs arguments. Après tout, elles présentent des défis passionnants liés à l’édification d’une nation, des occasions de travailler sur des projets dont les retombées sont beaucoup plus vastes que celles des projets du secteur privé, ainsi que la possibilité de poursuivre des carrières dans un vaste réseau d’entreprises publiques et privées. Lorsque ces avantages largement méconnus sont mis en valeur, l’impact peut être stupéfiant. Une entreprise publique a recruté plus de 100 jeunes professionnels de l’investissement après que le chef de la direction eut rencontré personnellement les candidats prometteurs pour leur expliquer la vision qu’il avait pour les entreprises publiques du pays. Bon nombre d’entre eux ont accepté un salaire inférieur à leur rémunération antérieure afin de participer à cet effort. Les recruteurs de la société de services publics State Grid Corporation of China ont mis en valeur son mandat de modernisation du pays, surtout en milieu rural, en plus d’offrir des possibilités d’avancement, des salaires concurrentiels et des emplois stables.

Les entreprises publiques comme State Grid ont tiré profit du dernier ralentissement économique pour recruter des ressortissants étrangers, particulièrement ceux qui ont de l’expérience dans les secteurs des services financiers et de la comptabilité. Les entreprises publiques de services financiers à Shanghai recrutent activement à Chicago, à Londres et à New York. Bien que de nombreux employés du secteur privé croient encore qu’un emploi dans de telles entreprises est une tare, l’incertitude professionnelle ressentie pendant la crise en a mené d’autres à envisager de telles occasions.

Pour faire pencher la balance en leur faveur, les entreprises publiques doivent rapprocher la rémunération qu’ils offrent des normes du secteur privé. China Mobile, le plus important opérateur de services mobiles du pays, offre à ses gestionnaires une rémunération qui concurrence directement celle des multinationales. Quand il leur est impossible d’envisager de grands changements dans la rémunération, certaines entreprises élaborent des programmes de rémunération à double volet pour les travailleurs très qualifiés dans des secteurs ciblés. Par exemple, une société de télécommunication de l’Europe de l’Est offre des contrats à court terme à des salaires plus élevés pour certains postes. Elle donne ainsi le choix aux candidats entre une rémunération supérieure et une plus grande sécurité d’emploi.

Pour attirer les leaders talentueux et les retenir, il est également essentiel d’intensifier la gestion du rendement. Les récompenses et les conséquences importantes doivent reposer sur le mérite, et non sur l’ancienneté. De nombreuses entreprises publiques n’ont qu’une culture de rendement superficielle — des processus d’évaluation officiels, par exemple. La plupart des employés obtiennent un classement élevé presque automatiquement, quel que soit leur rendement, et ces classements sont peu liés à des promotions ou à d’autres mesures incitatives. Une façon de donner du mordant au processus d’évaluation du rendement consiste à mettre en place un système de classement forcé, dans lequel un nombre déterminé de travailleurs doit nécessairement recevoir des cotes élevées et faibles, la majeure partie d’entre eux se concentrant autour de la moyenne, car après tout, c’est ce qu’on entend par « moyenne ». En combinant des conversations authentiques sur le rendement et des mesures incitatives liées aux classements, non seulement le système montre sans équivoque que le rendement a de l’importance, mais aussi qu’il peut devenir un système de classement plus naturel qui met l’accent sur des occasions et des critères précis.

Pour de nombreuses entreprises d’État, particulièrement en période de difficultés économiques, il est difficile de se défaire des employés peu performants. Ceux-ci doivent cependant subir des conséquences si les organisations comptent bâtir des cultures fondées sur un travail de qualité supérieure. Certaines entreprises publiques ont essayé d’utiliser la pression des pairs – par exemple, en jugeant ouvertement les gens selon un critère pertinent, comme les volumes de ventes ou le nombre de transactions conclues – pour améliorer la performance ou même pour faire honte aux employés insatisfaisants au point de les inciter à démissionner. D’autres dirigeants mutent les travailleurs non performants à des postes non stratégiques où, au moins, ils ne peuvent gêner le travail des autres.

Enfin, les entreprises publiques qui redéfinissent leur proposition de talent ne peuvent oublier leur effectif actuel. Les employés de longue date qui bénéficient d’une bonne sécurité d’emploi deviennent souvent moins motivés, particulièrement si l’entreprise a perdu de son prestige et de sa rentabilité aux mains de concurrents plus dynamiques du secteur privé. Om Prakash Bhatt, président du conseil de la State Bank of India, la plus importante banque du pays sur le plan de l’actif, a donné un nouveau sens au travail de ses 200 000 employés en ayant des discussions franches avec les gens à tous les paliers. Il a expliqué la position de la banque sur le marché, il a inspiré les employés par sa vision et leur a dit que personne ne serait promu ou récompensé à moins d’une amélioration de la performance de la banque. Un plan de communication structuré, qui comprenait des rappels de l’envergure antérieure de l’entreprise, faisait partie intégrante d’un programme global qui a aidé l’institution à stopper la glissade de sa part de marché et à devenir plus rentable, entre autres améliorations.

En dépit des obstacles, les entreprises publiques peuvent atteindre les normes de performance du secteur privé et même se tailler une place sur la scène mondiale. Un mandat clair, des efforts concertés et une stratégie de gestion des talents réalisable peuvent rapidement donner des résultats. Les chefs de direction de ces entreprises n’ont pas à attendre que l’initiative vienne des gouvernements. Ils ont déjà les outils à leur disposition.

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