Conquérir le monde

Publié le 08/09/2012 à 00:00, mis à jour le 06/09/2012 à 15:56

Conquérir le monde

Publié le 08/09/2012 à 00:00, mis à jour le 06/09/2012 à 15:56

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De nombreuses multinationales suivent des modèles de gestion dépassés. Les plus innovantes adoptent cependant une stratégie triple intégrant la personnalisation, les compétences et des opérations propres à chaque marché. Voici trois histoires gagnantes.

Auteurs : C.K. Prahalad et Hrishi Bhattacharyya, Strategy + Business

LA PLUPART DES SOCIÉTÉS ONT LA MÊME STRUCTURE qu’à l’époque où le marché était fortement concentré aux États-Unis, en Europe et au Japon. Elles élaborent encore leurs stratégies mondiales en tenant compte des limites et des compromis du passé, lesquels ne sont plus ni fiables ni même pertinents.###

L’un des soi-disant compromis les plus courants et les plus pernicieux est celui qui existe entre les modèles opérationnels centralisés et la réactivité face à la demande. La gestion de la majorité des entreprises repose sur une hypothèse implicite, à savoir que pour profiter pleinement des avantages des économies d’échelle, et pour intégrer les mêmes valeurs, les mêmes normes de qualité et la même identité de marque de l’entreprise partout dans le monde, vous devez centraliser votre puissance intellectuelle et votre capacité d’innovation au siège social. Vous devez uniformiser tous vos produits et services partout et admettre qu’il vous est impossible de répondre aux besoins et de satisfaire les exigences des clients dans tous les marchés émergents.

Par contre, selon cette hypothèse, si vous voulez que vos réseaux de distribution soient adaptés aux marchés locaux, avec les chaînes d’approvisionnement à réaction rapide et les faibles coûts de gestion des marchés émergents, vous devez alors décentraliser votre entreprise et la diriger comme une fédération souple. Vous devez transférer les responsabilités de la marque et des gammes de produits en périphérie, et accepter différents compromis : des structures de coûts plus variables, moins d’économies d’échelle, des gammes de produits plus variées et moins homogènes, et des normes de qualité variables.

Pour gérer ces compromis, certaines entreprises tentent de contrôler les coûts rigoureusement. Elles mettent en place un modèle opérationnel décentralisé doté d’une certaine supervision centrale, auquel s’ajoute habituellement l’impartition. Toutefois, il s’agit là d’une manœuvre tactique fondée sur l’opportunisme, plutôt que d’une stratégie mondiale. Cette approche ne donne que des résultats médiocres dans le monde complexe d’aujourd’hui.

On constate d’autres faux compromis dans la tension que de nombreuses entreprises expérimentent entre leur modèle de gestion actuel et les besoins des marchés émergents qu’elles pénètrent. Elles se demandent :

Si elles doivent servir leurs clients existants dans leur pays d’origine ou de nouveaux clients dans des pays émergents ;

Si elles doivent répondre aux normes de qualité concurrentielles qu’exigent les consommateurs des pays riches ou offrir des caractéristiques minimales pour les rendre accessibles aux clients moins fortunés ;

Si elles doivent adopter une stratégie de prix élevés ou de prix au rabais ;

Comment attirer et retenir les ressources et les talents, qui semblent délaisser les pays émergents au profit du monde industriel dès que les employés sont autorisés à migrer ;

Si, par souci d’utiliser les ressources stratégiquement, elles doivent adopter l’orientation typique des pays industrialisés (réduction de la main-d’œuvre et accumulation du capital) ou le point de vue des marchés émergents (où la main-d’œuvre est bon marché, et le capital, difficile à accumuler, et où, par conséquent, il vaut la peine d’investir dans la formation d’une main-d’œuvre importante pour y prospérer).

Les chefs d’entreprise s’attendent à devoir faire des choix difficiles au fil de l’expansion. Le moment est toutefois venu d’adhérer à un nouveau modèle de gestion qui englobe à la fois les avantages acquis des marchés industrialisés et les occasions qu’offrent les économies émergentes. Plutôt que de s’évertuer à appliquer un modèle de gestion occidental partout, ils peuvent en adopter un qui considère la décentralisation, la centralisation, les pratiques courantes et les perturbations éventuelles non comme des compromis, mais comme des éléments complémentaires.

Dans un autre article, nous avons présenté un élément essentiel de ce nouveau modèle de gestion : une structure d’entreprise mondiale sans siège social. Au lieu de s’en tenir à un seul centre, pourquoi ne pas établir des centres d’affaires dans bon nombre ou dans la plupart des 20 pays charnières du monde où vit 70 % de la population mondiale et qui comptent pour 80 % du revenu mondial ? Sur ces 20 pays, dix sont industrialisés : l’Australie, le Canada, la France, l’Allemagne, l’Italie, le Japon, les Pays-Bas, l’Espagne, le Royaume-Uni et les États-Unis. Les autres sont des marchés émergents : le Brésil, la Chine, l’Inde, l’Indonésie, le Mexique, la Russie, l’Afrique du Sud, la Corée du Sud, la Thaïlande et la Turquie.

Une stratégie de centres d’affaires multiples permet à l’entreprise de fournir des produits et services partout. Toutefois, elle ne résoudra pas à elle seule les compromis qu’impose la mondialisation. Les entreprises ne peuvent y parvenir que par un modèle de gestion plus complet qui (1) personnalise leurs produits et services grâce à des centres répartis à l’échelle mondiale, (2) rassemble les unités d’affaires autour d’une plateforme de savoir-faire privatif et de développement des compétences, et (3) adapte leurs modèles opérationnels pour accroître la rentabilité, la productivité et l’efficacité.

Un modèle sans compromis

Certaines entreprises suivent déjà ces trois impératifs simultanément. Parmi celles que nous avons étudiées à fond, on trouve Toyota, Marriott, McDonald’s, GE Healthcare et plusieurs sociétés mondiales de téléphonie cellulaire. Les dirigeants de ces entreprises se sont entraînés à être très circonspects quant aux endroits où faire de la personnalisation, à la manière de développer les compétences et aux compromis à consentir, et ils ont formé leurs équipes en ce sens. Dans ce type de modèle opérationnel, il n’est plus nécessaire de choisir entre la centralisation et la décentralisation, entre les clients actuels et futurs ou entre une stratégie qui est ancrée dans des pays industrialisés et une autre qui s’applique aux pays émergents.

Pour illustrer ces trois impératifs, nous nous inspirons des expériences de GE Healthcare (personnalisation), de McDonald’s (compétences) et des industries de téléphonie cellulaire de la Chine et de l’Inde (opérations). Il est toutefois important de se rappeler que, dans chacun de ces cas, les entreprises ont réussi à intégrer les trois éléments — un exploit rare. Seul le modèle complet permet à une entreprise de profiter des avantages de la décentralisation, de la centralisation et de l’impartition sans faire de compromis.

1. Personnalisation. La clé consiste à fournir des produits et services de façon concurrentielle localement. Autrement dit, les entreprises doivent répondre aux besoins et aux désirs des divers clients pour ce qui est des caractéristiques, de la capacité financière et des affinités culturelles. Comme les besoins et les désirs varient énormément parmi les gens qui ont différents niveaux de revenus, l’atteinte de cet objectif est complexe et coûteuse dans un contexte de centralisation. C’est pourquoi les sociétés doivent exploiter la diversité d’une structure décentralisée.

Existe-t-il un moyen simple et cohérent de fournir des produits et services personnalisés aux clients de 200 pays répartis sur cinq continents ? La réponse est oui, grâce à un réseau de centres d’affaires multiples. Les sociétés ne personnalisent les produits et services que dans un maximum de 20 pays charnières. Cet investissement limité leur permet de servir des clients partout, à chaque niveau de l’échelle des revenus, des plus riches aux plus pauvres. Ces 20 pays sont assez populeux à eux seuls pour offrir les économies d’échelle et le potentiel de croissance nécessaires. Ils sont également bien pourvus en savoir-faire : les fabricants de biens y trouveront les fournisseurs et les employés dont ils ont besoin pour assurer le respect des normes de qualité dans les opérations et constateront qu’il y existe également des centres d’innovation et de R-D. L’infrastructure logistique et institutionnelle est bien développée dans la plupart de ces pays charnières et intégrée dans la réglementation internationale et le commerce mondial. Chacun de ces pays peut exercer la plupart des activités nécessaires de l’entreprise indépendamment ; une fois reliés entre eux, ces points d’accès forment un réseau formidable.

De nombreuses entreprises se contenteront de moins de 20 centres d’affaires ; chaque industrie a besoin d’une sélection différente de pays charnières pour répondre aux divers goûts et besoins. En réduisant ainsi la complexité, les grandes multinationales diminuent aussi radicalement une vaste gamme de coûts indirects, et peuvent ainsi mieux servir leur clientèle. Par exemple, en éliminant des paliers de supervision pour ne conserver que ceux qui sont essentiels aux pays charnières, les sociétés peuvent comprimer considérablement leurs coûts indirects.

L’histoire de GE Healthcare illustre comment l’entreprise a pu croître dans de nombreux pays en prenant de l’expansion dans quelques pays charnières. Son activité principale est concentrée dans les produits d’imagerie médicale haut de gamme. À la fin des années 1980, GE Healthcare a commencé à investir dans des techniques à ultrasons, concevant des appareils distincts pour l’obstétrique et la cardiologie. Avec le temps, l’entreprise est devenue un chef de file dans ce secteur ; ses produits haut de gamme à la fine pointe de la technologie étaient vendus principalement aux grands hôpitaux des riches pays occidentaux.

L’entreprise vendait très peu de ses appareils en Chine et en Inde dans les années 1990, bien que les besoins médicaux aient été énormes et que la région ait représenté un immense marché potentiel. Dans ces pays grands mais pauvres, la population des petites villes et des villages ne disposait (et ne dispose encore) que d’hôpitaux et de cliniques rudimentaires et mal financés. Aucun de ces établissements n’avait les moyens de se procurer des appareils d’imagerie complexes et coûteux. Le besoin de personnalisation était criant. Il fallait mettre au point des appareils à faible prix n’offrant que des fonctionnalités de base faciles à utiliser. Ces appareils devaient de plus être portables, afin que le personnel médical puisse les apporter jusqu’au patient, plutôt que l’inverse.

En 2002, GE Healthcare s’est attaquée au problème de front en Chine. L’initiative a été favorisée par une politique que l’entreprise avait mise en place quelques années auparavant : la réorganisation de certaines entreprises des pays émergents en « équipes d’expansion locales » semi-autonomes, ayant leur propre bilan. Ainsi, GE Healthcare pouvait désormais établir une entreprise locale orientée en fonction des besoins et des avantages particuliers de la Chine, qui exploiterait le talent local et regrouperait le développement de produits, l’approvisionnement, la fabrication et le marketing dans une seule unité fonctionnelle. Le prix d’un appareil à ultrasons ordinaire en Occident se situe entre 100 000 et 350 000 dollars. Le premier appareil portable de GE fabriqué à l’intention de la Chine a été lancé pour seulement 30 000 dollars, et dès 2007, un nouvel appareil était mis sur le marché au prix de 15 000 dollars. Les ventes ont décollé en Chine, puis dans quelques autres pays charnières du marché émergent.

Très vite, la personnalisation a commencé à fonctionner dans le sens inverse. On a trouvé des applications pour ces appareils dans plusieurs pays riches, sur les lieux d’accidents ainsi que dans des cliniques et des salles d’urgence. En cinq ans, les ventes sont passées de zéro à plus de 300 millions de dollars. En 2009, GE a annoncé qu’« au cours des six prochaines années, l’entreprise dépenserait 3 milliards de dollars pour créer au moins 100 innovations en matière de soins de santé qui en réduiraient considé­rablement les coûts, en augmenteraient l’accessibilité et en amélioreraient la qualité ».

2. Compétences. L’unification autour d’une seule plateforme de compétences est une initiative qui vise à aligner une multinationale tout entière sur un objectif central commun, un savoir-faire de renommée mondiale propre à l’entreprise et des compétences qui distinguent une société de toutes les autres.

L’objectif central doit être compris également dans toutes les fonctions et dans toutes les zones géographiques de la société. Chaque personne doit connaître les principes stratégiques de l’entreprise — qui sont les mêmes partout dans le monde, mais qui sont adaptés différemment selon le pays. Par exemple, la philosophie de base de Walmart repose sur des « bas prix tous les jours ». Bien que ce principe reste constant, l’implantation varie considérablement ; en Inde, Walmart est une entreprise commune de vente en gros, et au Mexique, elle exploite des restaurants et des banques, ainsi que des grandes surfaces.

Les compétences au cœur de cette plateforme comprennent les processus issus de l’entreprise et de la propriété intellectuelle. Ce sont là les seuls éléments de connaissance et de savoir-faire qui distinguent une entreprise — non pas les applications ni les technologies, mais les normes et les plateformes de savoir-faire que l’entreprise crée et adopte. Elles peuvent comprendre les processus de fabrication, les chaînes d’approvisionnement et les systèmes logistiques, les processus de collecte de renseignements sur les clients ou les systèmes de distri­bution et d’accès. Elles sont à la disposition de toutes les opérations, partout dans le monde, et sont utilisées pour personnaliser les offres et pour réussir l’arbitrage entre l’approvisionnement et les coûts.

Au milieu des années 2000, chez McDonald’s, ce type d’unité représentait un virage radical par rapport aux hiérarchies rigides, aux marques, au rendement commercial et aux rapports hiérarchiques de son ancien modèle centralisé. La chaîne de restauration rapide avait incarné le modèle de centralisation pendant des années. Chaque aspect du système avait été normalisé à l’échelle mondiale : l’identité de la marque, les offres de produits, les systèmes d’emballage, les accords de franchisage et l’aménagement des restaurants. Tout cela était consigné dans un manuel, et la rigidité de l’entreprise l’avait aidée à prospérer, car on y voyait l’exportation d’une image du style de vie américain.

Toutefois, la normalisation a commencé à atteindre ses limites vers 2001. Le goût des consommateurs a nettement évolué vers une nourriture plus saine et plus nutritive. Aux États-Unis, de nombreuses personnes ont attribué l’épidémie d’obésité émergente, particulièrement chez les enfants américains, à la restauration rapide, principalement à McDonald’s. Les clients ont commencé à se tourner vers d’autres chaînes. À l’étranger, McDonald’s était associée aux goûts des Américains, et était perçue comme indifférente aux besoins des autres consommateurs.

La direction de McDonald’s a réagi en créant une nouvelle plateforme différente de la standardisation : un effort commun de fournir des aliments frais, des options de menus santé et des offres personnalisées pour différentes cultures. Résultat ? Les offres de produits ne sont plus centralisées et les menus des restaurants McDonald’s varient considérablement, bien que l’unité reste fermement ancrée là où elle devrait l’être — dans la marque, dans les techniques et dans les processus de gestion qui ont donné à l’entreprise sa spécificité, sa base de tarification et sa productivité. Le logo de la marque, les thèmes de couleurs et l’aménagement des magasins sont les mêmes partout dans le monde. Les systèmes d’approvisionnement et de distribution sont gérés de façon centralisée, pour assurer la livraison à temps dans plus de 32 000 restaurants individuels. Chaque jour, des associés de tous les magasins reçoivent une formation structurée fondée sur une stratégie commune. Le savoir-faire propre à l’entreprise demeure centralisé et rigoureusement encadré.

3. Opérations. Le dernier impératif de ce nouveau modèle de gestion implique des gains d’efficacité et la réduction des coûts grâce à du matériel, à des processus de fabrication, à des systèmes logistiques, à des sources de financement ou à des infrastructures à moindre coût. La plupart des entreprises ont découvert la solution de façon tactique en délocalisant leurs services de soutien ou en transférant leur production dans des pays à main-d’œuvre à moindre coût. Il s’agit habituellement d’une démarche défensive ou réactive, plutôt que d’une stratégie mûrement réfléchie.

Une telle initiative est beaucoup plus globale (systémique). L’entreprise considère son flux de production et sa chaîne de coûts morcelée comme un ensemble, cherchant l’optimisation de l’approvisionnement, la conversion en ventes et des options de mise en marché. Dans ce genre d’initiative, les matériaux, l’emplacement des usines et le personnel font partie d’un même système ; on prend en considération les processus et les procédures dans tous les centres d’affaires.

L’histoire de la téléphonie cellulaire en Chine et en Inde illustre bien le pouvoir de l’arbitrage des opérations. Ensemble, ces deux pays comptent plus d’un milliard d’utilisateurs de téléphones cellulaires, et le nombre de nouveaux abonnés en Inde seulement dépasse 10 millions par mois. Au début des années 2000, les bases des nouveaux réseaux en Chine et en Inde ont été jetées par quelques sociétés de téléphonie visionnaires. À l’époque, les réseaux terrestres étaient rares, et le nombre de domiciles ayant une ligne téléphonique représentait une fraction minime de l’ensemble des ménages. La seule façon de bâtir un réseau téléphonique rentable consistait à donner de la « valeur au réseau », à savoir l’accès à suffisamment d’autres personnes et d’institutions pour que le système semble indispensable. Il fallait donc offrir des services téléphoniques à des millions de clients potentiels qui n’avaient jamais utilisé un téléphone, qui vivaient avec deux dollars par jour, qui n’avaient tout simplement pas l’argent pour acheter l’appareil et qui n’avaient ni comptes de banque ni cartes de crédit qui leur auraient permis de signer des contrats de service.

Les structures de prix ont reflété ces réalités. En Inde, par exemple, Reliance Industries (un important conglomérat national) a vendu des téléphones Nokia et Motorola pour la modique somme de 10 dollars, a réduit les tarifs d’appel à deux cents la minute pour ces téléphones et a vendu des cartes d’appel prépayées que les clients pouvaient utiliser tant pour payer l’utilisation de leur téléphone que pour la gérer. Ces fabricants de téléphones cellulaires et ces fournisseurs de services ont dû collaborer habilement et faire des compromis pour parvenir à offrir de tels prix. Des fabricants tels que Nokia, Motorola et Samsung ont offert leurs produits, leur savoir-faire en téléphonie et leur capacité en R-D à un coût réduit ; des opérateurs tels que Vodafone, China Mobile et Airtel ont investi dans les pylônes de transmission cellulaire et les équipements de commutation, se contentant au début d’un rendement minimal. Puis, en Inde, Airtel a pris une initiative très novatrice. Consciente du fait que ses capitaux limités ne lui permettaient pas d’étendre son réseau, elle s’est associée à Ericsson, à Siemens, à Nokia et à IBM comme fournisseurs d’équipement de réseau et de télécommunications, les convainquant de renoncer à leurs structures de frais habituelles. Plutôt que d’imposer les tarifs habituels, Airtel payait ces sociétés en fonction de l’utilisation et des revenus. Elle a ainsi converti des dépenses fixes d’infrastructure en coûts variables et a amélioré sa capacité d’offrir des bas prix aux clients.

Choisir d’utiliser le canal de marketing et de distribution le moins coûteux a été un facteur essentiel dans la création du marché de masse pour la téléphonie cellulaire. Rejoindre des gens dans des villages reculés de la Chine et de l’Inde représentait un défi énorme. De petites épiceries, souvent logées dans des structures temporaires, étaient souvent les seuls canaux commerciaux dont les consommateurs de ces villages disposaient. Ces magasins vendaient des produits courants tels que du savon, des cigarettes et des boîtes d’allumettes. Au lieu de créer un nouveau réseau de magasins de téléphonie spécialisés, les sociétés de téléphonie ont établi des partenariats avec ces commerces, qui tenaient en stock des cartes d’appel prépayées pour cellulaires et les vendaient. Cela ne serait jamais arrivé si les sociétés de télécommunication avaient suivi leurs vieux modèles de tarification et de distribution.

Regroupement des éléments

En s’implantant dans de nouvelles zones géographiques, certaines entreprises reconnaissent les avantages de la personnalisation. Un nombre croissant de sociétés s’unissent autour de plateformes de compétences. Et, bien sûr, elles sont nombreuses à pratiquer l’arbitrage des opérations. Toutefois, jusqu’à ce qu’elles rejoignent les quelques pionniers qui ont réussi à combiner ces trois éléments, la plupart d’entre elles ne réaliseront pas la pleine rentabilité du nouveau modèle de gestion. En effet, les trois cas décrits dans la partie précédente ont été une réussite précisément parce qu’il y avait eu intégration des trois éléments.

Par exemple, GE Healthcare a dû diminuer le prix de ses appareils à ultrasons de plus de 90 % pour que les marchés émergents acceptent ses produits. Sa solution exigeait non seulement la personnalisation, mais également un changement opérationnel : elle a utilisé un ordinateur portatif ordinaire au lieu de son équipement maison. Ces appareils n’offraient que quelques-unes des caractéristiques de leurs contreparties plus coûteuses, mais ils permettaient d’accomplir des tâches simples, comme repérer des anomalies à l’estomac, des foies hypertrophiés ou des calculs dans la vésicule biliaire. Ils sont ainsi devenus des outils essentiels pour les médecins dans les cliniques rurales. La conception fondée sur l’ordinateur portable s’est à son tour inspirée fortement de la plateforme de compétences de GE, plus précisément sur l’expérience acquise dans d’autres projets où on était passé de l’utilisation de matériel personnalisé à des ordinateurs courants. Ces nouveaux appareils incorporaient également des idées avant-gardistes des scientifiques de GE qui avaient une connaissance approfondie de la technologie des ultrasons et du génie biomédical.

De même, l’histoire de McDonald’s a permis à l’entreprise de saisir tout le pouvoir de la personnalisation. Aujourd’hui, McDonald’s offre des burgers de riz à Taïwan, des plats végétariens en Inde, des tortillas au Mexique, des gâteaux de riz aux Philippines et du vin avec les repas dans de nombreuses villes européennes (NDLR : et de la poutine au Québec !). McDonald’s a également étendu ses impressionnantes capacités opérationnelles grâce à des pratiques d’approvisionnement et de distribution complexes adaptées aux possibilités de chaque emplacement.

Dans l’histoire de la téléphonie cellulaire en Chine et en Inde, les opérations diverses reposaient sur deux autres éléments. Malgré les bas prix, le matériel était de bonne qualité ; les réseaux devaient s’intégrer parfaitement avec les systèmes de télécommunications internationaux. Les sociétés en cause, dont les distributeurs-fournisseurs tels que Siemens, Motorola et Ericsson, se sont inspirées des plateformes de leur savoir-faire propre pour y parvenir. Tous ont mis en pratique la personnalisation sans relâche, en variant les modalités de paiement, les montants encodés dans les cartes d’appel et les services offerts pour répondre aux différents besoins et intérêts des utilisateurs de télécommunications dans chaque pays.

Bon nombre de chefs de direction et de hauts dirigeants se demandent encore quand prendra fin la période difficile que nous traversons. Personne ne connaît la réponse et, même dans l’éventualité d’une forte reprise, la concurrence ne faiblira pas. Nous devrions plutôt nous

demander que faire maintenant pour nous établir dans la nouvelle économie mondiale. Les entreprises qui servent les consommateurs devront fournir des produits et des services de qualité mondiale, personnalisés en fonction des acheteurs dans de multiples régions et divers contextes, avec d’importantes réductions de prix afin de rendre ces derniers abordables pour les gens à très faibles revenus. Elles doivent aussi offrir à leurs clients diverses formes d’accès (propriété, location ou crédit-bail d’équipement). Elles ne peuvent y arriver lorsqu’elles s’évertuent à équilibrer la décentralisation et la centralisation. Seules y parviendront les sociétés qui transcendent les anciens compromis et cherchent de nouveaux modèles opérationnels qui leur permettent de servir le plus grand nombre de personnes, tout en respectant les normes les plus élevées qui soient.

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