Dorothy Rhau: récolter ce que l'on sème


Édition du 06 Septembre 2023

Dorothy Rhau: récolter ce que l'on sème


Édition du 06 Septembre 2023

Par Camille Robillard

«J’ai hâte de me déplacer un peu partout et de voir des produits qui vont me ressembler, que la diversité soit présente sur toutes nos tablettes», dit Dorothy Rhau. (Photo: Martin Flamand)

Fonction : PDG
Entreprise : Audace au féminin
Siège social : Montréal
Nombre d’employées : à venir
Année de fondation : 2018
Dorothy Rhau, qui a fondé Audace au féminin avec l’objectif d’élever le statut socioéconomique des femmes noires est sans équivoque : elle n’est plus en mode revendication, elle est en mode solution. Après une 6e édition du Salon international de la femme noire « plus que réussie », qui a eu lieu les 12 et 13 août, l’entrepreneuse est prête à passer à la prochaine étape, soit de transformer les petites entreprises dirigées par des personnes noires en fournisseurs. Entrevue avec une femme qui a du bagou, tout comme les femmes québécoises qui l’inspirent au quotidien.
Quelle figure a inspiré votre leadership ?
Les valeurs québécoises qui sont en moi m’ont permis de m’émanciper. Si j’étais restée avec des valeurs plus haïtiennes, je serais une femme beaucoup plus réservée. Ainsi, j’aimerais dire que la femme québécoise m’inspire. Elle m’inspire parce que je trouve qu’elle a du bagou, elle dit ce qu’elle a à dire, elle prend sa place. Le côté féminité, je le retrouve plus chez la femme noire. Mais la femme québécoise, elle regarde les hommes dans les yeux. Ça, je l’amène avec moi. Même quand j’étais humoriste au Sénégal, les femmes là-bas l’ont vu. J’abordais des sujets qui étaient réservés aux hommes. Ça, c’est mon côté québécois. Je suis extrêmement consciente que si j’étais née ailleurs, je ne serais pas la femme que je suis aujourd’hui.
Avez-vous l’impression que votre voix porte davantage comme entrepreneuse plutôt qu’humoriste ?
En fait, ma voix d’humoriste a permis de mettre en lumière les femmes noires. Puisque j’avais déjà une certaine couverture médiatique, la seule chose que j’ai faite [depuis que je suis devenue entrepreneuse], c’est de changer mon discours. Comment peut-on sensibiliser [la population] à la cause des femmes noires ? Comment peut-on les promouvoir ? Comment peut-on parler de leurs exploits ? Comment peut-on aussi avoir des conversations d’une autre manière que toujours en mode revendication ? C’est épuisant, revendiquer. Nous, nous souhaitons trouver des solutions et nous occupons des espaces. Organiser le Salon, créer des événements avec Isabelle Hudon, tout ça pour moi, c’est une forme de revendication, mais douce et accessible à tout le monde. Comme le dit le dicton, quand la mer est agitée, on ne voit pas les beautés qui se cachent au fond de la mer. On les voit plutôt quand c’est calme. 
Quels obstacles les femmes noires entrepreneuses ou professionnelles vivent-elles ? 
Historiquement, elles subissent du racisme systémique. Cela se manifeste entre autres dans le rapport entre les entrepreneuses et les institutions financières : on accorde moins facilement de financement à des personnes issues des communautés noires, on croit moins en leurs produits ou on ne voit pas leur potentiel. 
Ensuite, la plupart de ces femmes ont investi leurs économies personnelles [pour démarrer leur entreprise], donc c’est sûr que leur crédit a été affecté. Ce sont aussi des femmes qui vont s’occuper de leur famille, alors que le plus haut taux de monoparentalité est chez les femmes noires. 
La recherche d’un espace commercial représente également un défi, comme pour le logement. On va retrouver des entreprises qui vont avoir des espaces commerciaux dans des quartiers où on retrouve déjà une population afrodescendante. Cependant, l’idée, ce n’est pas simplement de vendre ces produits aux communautés noires, c’est que le produit soit accessible à un large public. Mais pour être dans le Mile-End, par exemple, il faut que tu aies les reins solides financièrement. Même si on pense que la couleur n’est plus problème, on se heurte encore à cette barrière économique.
Il y a aussi l’accès à des réseaux d’affaires [qui est limité]. C’est pour ça que le réseautage est très important, mais tout le monde n’aura pas les contacts qui vont lui permettre d’accéder à ces milieux. [Pour changer cette situation], nous commençons toutes nos classes de maître avec une période de maillage et nous les terminons avec une soirée réseautage. Elles sont organisées en collaboration avec la Fédération des chambres de commerce du Québec, avec EntreChefs PME, avec la BDC, etc. parce que nous ne voulons pas rester uniquement dans des réseaux fermés entre Noirs. Sinon, nous stagnons, même si je comprends le confort qu’on y retrouve. 
Vous désirez que de plus en plus d’entreprises dirigées par des personnes noires deviennent des fournisseurs. Pourquoi est-ce important ?
C’est un levier d’affaires pour ces entreprises qui, normalement, sont dans le B2C (« business to consumer »), avec les clients et les consommateurs. Nous, nous voulons les amener à un autre échelon. Devenir fournisseurs, ça leur permettrait d’avoir des revenus plus stables et les aiderait à prévoir leur production. En sachant que chaque année, tel restaurant a besoin de telle quantité de jus, par exemple, on garantit une production fixe, ce qui n’est vraiment pas le cas à l’heure actuelle [pour ces entreprises]. Certaines d’entre elles se retrouvent parfois avec un surplus ou un manque de stock. Il faut les préparer à ça, sinon elles restent des microentreprises. Elles ne peuvent pas se contenter uniquement d’une clientèle. Quand tu as un restaurant, c’est autre chose, mais quand tu as une entreprise qui est dans l’agroalimentaire ou bien qui conçoit des jeux éducatifs, ton objectif, c’est que tes jouets soient vendus dans les magasins à grande surface. Nous misons beaucoup sur ça pour la prochaine année. Mon souhait pour la 7e édition du Salon, c’est d’attirer des distributeurs sur place afin qu’ils puissent aller à la rencontre des entreprises. Ça ferait une méchante différence. C’est également payant pour les distributeurs, parce qu’ils ont souvent des objectifs de diversité et c’est une façon facile de cocher cette case-là.
Lorsque vous vous projetez dans cinq ou dix ans, quel rêve aimeriez-vous avoir réalisé ? 
J’ai hâte que ça devienne une normalité, qu’on ne dise plus « la première femme noire » ou « la seule femme noire ». J’ai hâte de me déplacer un peu partout et de voir des produits qui vont me ressembler, que la diversité soit présente sur toutes nos tablettes. Qu’on n’ait plus à chercher une petite poupée noire, par exemple. Que j’aille dans les magasins à grande surface et que ce ne soit pas seulement une tendance [que d’avoir des produits conçus par une personne noire]. 
D’ailleurs, je ne fais pas juste attendre que ça arrive, je force la machine. C’est tout ça qui est excitant, on est dans les pionnières, on défriche la terre et on sème les graines. J’ai hâte qu’on puisse récolter les fruits. On voit tranquillement le changement. L’exemple le plus flagrant, c’est dans l’industrie musicale. Quand j’entends de l’afrobeat quelque part, quand je suis à un « match » du Canadien et que j’entends le DJ mettre du Aya Nakamura, quand je vois des femmes blanches danser sur de l’afrobeat, ça m’enthousiasme. Ça devient une normalité, ce n’est plus réservé à un groupe. On le voit dans la musique, maintenant je veux le voir dans toutes les sphères.

Fonction: PDG
Entreprise: Audace au féminin
Siège social: Montréal
Année de fondation: 2018


LE TÊTE-À-TÊTE. Dorothy Rhau, qui a fondé Audace au féminin avec l’objectif d’élever le statut socioéconomique des femmes noires est sans équivoque: elle n’est plus en mode revendication, elle est en mode solution. Après une 6e édition du Salon international de la femme noire « plus que réussie », qui a eu lieu les 12 et 13 août, l’entrepreneuse est prête à passer à la prochaine étape, soit de transformer les petites entreprises dirigées par des personnes noires en fournisseurs. Entrevue avec une femme qui a du bagou, tout comme les femmes québécoises qui l’inspirent au quotidien.

 

Quelle figure a inspiré votre leadership?

Les valeurs québécoises qui sont en moi m’ont permis de m’émanciper. Si j’étais restée avec des valeurs plus haïtiennes, je serais une femme beaucoup plus réservée. Ainsi, j’aimerais dire que la femme québécoise m’inspire. Elle m’inspire parce que je trouve qu’elle a du bagou, elle dit ce qu’elle a à dire, elle prend sa place. Le côté féminité, je le retrouve plus chez la femme noire. Mais la femme québécoise, elle regarde les hommes dans les yeux. Ça, je l’amène avec moi. Même quand j’étais humoriste au Sénégal, les femmes là-bas l’ont vu. J’abordais des sujets qui étaient réservés aux hommes. Ça, c’est mon côté québécois. Je suis extrêmement consciente que si j’étais née ailleurs, je ne serais pas la femme que je suis aujourd’hui.

 

Avez-vous l’impression que votre voix porte davantage comme entrepreneuse plutôt qu’humoriste?

En fait, ma voix d’humoriste a permis de mettre en lumière les femmes noires. Puisque j’avais déjà une certaine couverture médiatique, la seule chose que j’ai faite [depuis que je suis devenue entrepreneuse], c’est de changer mon discours. Comment peut-on sensibiliser [la population] à la cause des femmes noires ? Comment peut-on les promouvoir ? Comment peut-on parler de leurs exploits ? Comment peut-on aussi avoir des conversations d’une autre manière que toujours en mode revendication ? C’est épuisant, revendiquer. Nous, nous souhaitons trouver des solutions et nous occupons des espaces. Organiser le Salon, créer des événements avec Isabelle Hudon, tout ça pour moi, c’est une forme de revendication, mais douce et accessible à tout le monde. Comme le dit le dicton, quand la mer est agitée, on ne voit pas les beautés qui se cachent au fond de la mer. On les voit plutôt quand c’est calme. 

 

Quels obstacles les femmes noires entrepreneuses ou professionnelles vivent-elles? 

Historiquement, elles subissent du racisme systémique. Cela se manifeste entre autres dans le rapport entre les entrepreneuses et les institutions financières : on accorde moins facilement de financement à des personnes issues des communautés noires, on croit moins en leurs produits ou on ne voit pas leur potentiel. 

Ensuite, la plupart de ces femmes ont investi leurs économies personnelles [pour démarrer leur entreprise], donc c’est sûr que leur crédit a été affecté. Ce sont aussi des femmes qui vont s’occuper de leur famille, alors que le plus haut taux de monoparentalité est chez les femmes noires. 

La recherche d’un espace commercial représente également un défi, comme pour le logement. On va retrouver des entreprises qui vont avoir des espaces commerciaux dans des quartiers où on retrouve déjà une population afrodescendante. Cependant, l’idée, ce n’est pas simplement de vendre ces produits aux communautés noires, c’est que le produit soit accessible à un large public. Mais pour être dans le Mile-End, par exemple, il faut que tu aies les reins solides financièrement. Même si on pense que la couleur n’est plus problème, on se heurte encore à cette barrière économique.

Il y a aussi l’accès à des réseaux d’affaires [qui est limité]. C’est pour ça que le réseautage est très important, mais tout le monde n’aura pas les contacts qui vont lui permettre d’accéder à ces milieux. [Pour changer cette situation], nous commençons toutes nos classes de maître avec une période de maillage et nous les terminons avec une soirée réseautage. Elles sont organisées en collaboration avec la Fédération des chambres de commerce du Québec, avec EntreChefs PME, avec la BDC, etc. parce que nous ne voulons pas rester uniquement dans des réseaux fermés entre Noirs. Sinon, nous stagnons, même si je comprends le confort qu’on y retrouve. 

 

Vous désirez que de plus en plus d’entreprises dirigées par des personnes noires deviennent des fournisseurs. Pourquoi est-ce important?

C’est un levier d’affaires pour ces entreprises qui, normalement, sont dans le B2C (« business to consumer »), avec les clients et les consommateurs. Nous, nous voulons les amener à un autre échelon. Devenir fournisseurs, ça leur permettrait d’avoir des revenus plus stables et les aiderait à prévoir leur production. En sachant que chaque année, tel restaurant a besoin de telle quantité de jus, par exemple, on garantit une production fixe, ce qui n’est vraiment pas le cas à l’heure actuelle [pour ces entreprises]. Certaines d’entre elles se retrouvent parfois avec un surplus ou un manque de stock. Il faut les préparer à ça, sinon elles restent des microentreprises. Elles ne peuvent pas se contenter uniquement d’une clientèle. Quand tu as un restaurant, c’est autre chose, mais quand tu as une entreprise qui est dans l’agroalimentaire ou bien qui conçoit des jeux éducatifs, ton objectif, c’est que tes jouets soient vendus dans les magasins à grande surface. Nous misons beaucoup sur ça pour la prochaine année. Mon souhait pour la 7e édition du Salon, c’est d’attirer des distributeurs sur place afin qu’ils puissent aller à la rencontre des entreprises. Ça ferait une méchante différence. C’est également payant pour les distributeurs, parce qu’ils ont souvent des objectifs de diversité et c’est une façon facile de cocher cette case-là.

 

Lorsque vous vous projetez dans cinq ou dix ans, quel rêve aimeriez-vous avoir réalisé? 

J’ai hâte que ça devienne une normalité, qu’on ne dise plus « la première femme noire » ou « la seule femme noire ». J’ai hâte de me déplacer un peu partout et de voir des produits qui vont me ressembler, que la diversité soit présente sur toutes nos tablettes. Qu’on n’ait plus à chercher une petite poupée noire, par exemple. Que j’aille dans les magasins à grande surface et que ce ne soit pas seulement une tendance [que d’avoir des produits conçus par une personne noire]. 

D’ailleurs, je ne fais pas juste attendre que ça arrive, je force la machine. C’est tout ça qui est excitant, on est dans les pionnières, on défriche la terre et on sème les graines. J’ai hâte qu’on puisse récolter les fruits. On voit tranquillement le changement. L’exemple le plus flagrant, c’est dans l’industrie musicale. Quand j’entends de l’afrobeat quelque part, quand je suis à un « match » du Canadien et que j’entends le DJ mettre du Aya Nakamura, quand je vois des femmes blanches danser sur de l’afrobeat, ça m’enthousiasme. Ça devient une normalité, ce n’est plus réservé à un groupe. On le voit dans la musique, maintenant je veux le voir dans toutes les sphères.

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