Budget Québec: réduire le déficit en déprivatisant le système de santé

Publié le 14/03/2024 à 11:05

Budget Québec: réduire le déficit en déprivatisant le système de santé

Publié le 14/03/2024 à 11:05

Par Anne Plourde

«Les entrepreneurs de la santé marchandisent les soins sans livrer la marchandise, avec des effets délétères importants sur la qualité des services et l’équité dans l’accès.» (Photo: 123RF)

COLLABORATION SPÉCIALE. Le déficit prétendument «record» prévu dans le budget présenté cette semaine par le gouvernement du Québec a beaucoup fait réagir.

Malgré le fait que ce déficit est artificiellement gonflé par les versements au Fonds des générations et qu’il n’a rien d’exceptionnel lorsqu’on le rapporte au PIB, plusieurs commentatrices et commentateurs ont appelé le gouvernement à faire preuve d’une plus grande rigueur et à cesser de repousser «les efforts nécessaires» à plus tard. Le gouvernement lui-même s’est engagé à «optimiser l’action de l’État» et à réaliser dès ce printemps un «examen des dépenses gouvernementales», laissant présager un retour de l’austérité budgétaire.

Les constats faits dans mon livre Santé inc. Mythes et faillites du privé en santé, à paraître le 19 mars aux éditions Écosociété, permettent de jeter un éclairage particulier sur cette problématique. Le premier de ces constats est celui d’une crise majeure de l’accès aux services de santé et aux services sociaux. Dans cette perspective, les investissements de 3,7 milliards de dollars sur cinq ans (soit à peine 735 millions de dollars par année en moyenne) annoncés dans le budget pour le système de santé sont non seulement essentiels, mais ils apparaissent même comme insuffisants.

Pour l’ensemble du portefeuille Santé et Services sociaux, la croissance des dépenses atteint 4,2% en 2024-2025. Rappelons qu’en 2017, le gouvernement québécois, dans ses revendications auprès du gouvernement fédéral pour les transferts en santé, a chiffré à 5,2% par année la croissance des dépenses nécessaire pour couvrir l’évolution des coûts du système et des besoins de la population.

Lorsqu’on analyse les dépenses prévues par programme, on constate que pour le programme «services dispensés à la population», qui correspond aux dépenses des établissements publics du réseau, la croissance pour 2024-2025 est d’à peine 2,2%, soit un taux similaire à celui des années d’austérité imposées au réseau sous le gouvernement libéral de Philippe Couillard. Pire encore, le budget de la RAMQ subit pour sa part une «diminution» de 1,2%, qui affectera particulièrement les services optométriques et l’enveloppe destinée aux médicaments.

De plus, malgré la crise à laquelle le système de santé est confrontée, on peut s’attendre à ce qu’il fasse encore une fois les frais des compressions à venir. En fait, avant même la publication du budget, on apprenait que les établissements du réseau devront couper des centaines de millions de dollars afin de retrouver l’équilibre budgétaire.

 

Couper les «ponts d’or»

Or, c’est du côté des dépenses publiques dans les entreprises privées du secteur de la santé, bien plus que du côté des investissements dans le réseau public lui-même, que le gouvernement devrait regarder s’il souhaite véritablement faire preuve de rigueur budgétaire. À rebours du mythe selon lequel le privé en santé permet de réduire les coûts, les faits présentés dans mon livre démontrent que les ponts d’or dressés à la «santé inc.» par les gouvernements successifs ne sont payants que pour les entrepreneurs qui tirent profit de la marchandisation des soins.

Le gouvernement actuel est d’ailleurs lui-même forcé de l’admettre en ce qui concerne les agences privées de placement de personnel, qui sont directement responsables d’une part non négligeable des déficits plombant le bilan financier des établissements publics. En effet, loin de réduire les coûts, la dépendance grandissante du réseau à l’égard de ces entreprises à but lucratif s’est traduite par une explosion des taux horaires qu’elles facturent aux établissements.

Si ces pratiques ont particulièrement choqué l’opinion publique, surtout durant la pandémie, il faut bien comprendre qu’elles ne sont que le résultat normal de la loi de l’offre et de la demande qui régule le marché privé, auquel les gouvernements ont choisi de confier la prestation de services publics essentiels. Augmenter les prix autant que la demande le permet est gravé dans l’ADN des organisations à but lucratif, ce qui signifie également que le coût de la privatisation des services est condamné à augmenter au fur et à mesure que la dépendance du réseau public à l’égard de ces entreprises s’accroît.

Plutôt que de tirer les conclusions qui s’imposent, le gouvernement fait preuve d’une singulière incohérence en admettant d’un côté les problèmes graves causés par le recours aux agences privées, et en ouvrant de l’autre grand la porte à une sous-traitance au privé de centaines de milliers d’interventions médicales (chirurgies, endoscopies, etc.) auparavant pratiquées dans les hôpitaux publics.

Or, un projet-pilote mené pendant plusieurs années par le ministère de la Santé et des Services sociaux et visant à comparer les coûts de certaines procédures au privé et au public montre qu’en moyenne, pour la majorité d’entre elles, les coûts sont plus élevés au privé (et même beaucoup plus élevés dans certains cas). Ces données sont cohérentes avec des observations faites en Colombie-Britannique et en Ontario, qui sont également engagées sur la voie de la sous-traitance des chirurgies.

Ces coûts supplémentaires seraient peut-être justifiés si le privé remplissait ses promesses d’efficacité et d’amélioration de l’accès aux services pour la population. Les nombreuses expériences du privé en santé au Québec et ailleurs exposées dans mon livre démontrent au contraire que les entrepreneurs de la santé marchandisent les soins sans livrer la marchandise, avec des effets délétères importants sur la qualité des services et l’équité dans l’accès. Autrement dit, le privé fait moins avec plus, ce qui est l’exact contraire de l’efficacité.

Dans cette optique, rigueur budgétaire et bonne utilisation des fonds publics devraient donc résolument rimer avec déprivatisation des services de santé.

 

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