Le jargon de la finance

Publié le 01/04/2010 à 00:00

Le jargon de la finance

Publié le 01/04/2010 à 00:00

Vous ne comprenez pas la documentation des produits financiers que vous achetez ? C'est normal. Même les experts peinent à y voir clair.

La lettre datée du 29 juillet dernier est envoyée par Placements Clarington. Elle m'avise des changements qui toucheront la gestion de plusieurs fonds d'investissement de la firme, dont un qui figure dans mes placements. On y écrit que le gestionnaire du fonds veut utiliser des instruments dérivés pour " protéger son portefeuille contre certains risques comme le risque de change et le risque de taux d'intérêt ".

Ciel ! Des instruments dérivés ! N'est-ce pas ce qui a causé le récent cataclysme sur les marchés financiers ? Et que sont les risques de change et de taux d'intérêt ? Pourquoi préciser que les fonds ne prendront pas de " position nette vendeur " et ne serviront pas de " levier financier " ? D'ailleurs, qu'est-ce qu'un instrument dérivé ? Même le journaliste spécialisé en finances que je suis n'y comprend pas grand-chose !

" La documentation des institutions financières est tout sauf claire ", constate Jasmin Bergeron, professeur à l'École des sciences de la gestion (ESG) de l'UQAM et spécialiste du marketing des services financiers.

Pas besoin d'être bombardé de termes ésotériques pour s'y perdre. Une étude récente du chercheur relève que seulement 16 % des clients des services financiers savent ce qu'est la diversification. La tolérance au risque ? 17 % des gens seulement peuvent l'expliquer. Et à peine 4 % savent ce qu'est un avenant dans une police d'assurance. " C'est donc souvent jusqu'à 90 % des gens qui ne comprennent pas les documents financiers courants ", dit Jasmin Bergeron.

Dans un rapport publié en 2008, la Conférence canadienne sur l'éducation financière relevait que deux tiers des Canadiens sont des analphabètes fonctionnels en matière d'investissement. Alors, pourquoi nous servir du jargon comme si nous étions des docteurs en finances ?

Pour un peu, on pourrait croire que " le marketing des services financiers a pour but de susciter la confusion ", dit Jasmin Bergeron. Pour nous vendre ses produits, l'industrie préfère miser sur des concepts racoleurs comme la retraite au bord de la mer, la sécurité ou la stabilité du placement. " Cependant, les risques ou les contraintes particulières du produit sont enfouis ailleurs, dans un jargon difficile à comprendre ", soutient Jacques Nantel, spécialiste du commerce de détail et professeur à HEC Montréal.

UNE CONFUSION QUI PEUT VOUS COÛTER CHER

Cette incompréhension peut mener à de mauvaises décisions d'investissement. Prenez seulement les fonds de placement avec date d'échéance, des produits offerts par les assureurs et présentés comme des placements sûrs. La documentation qui les accompagne est indéchiffrable.

Fabien Major, de Major Gestion d'actifs, a eu toutes les difficultés du monde à déterminer si le capital d'un investisseur dans un tel produit était garanti ou non. " Après 15 minutes de recherche, j'ai finalement trouvé que le capital investi est garanti à 75 % à l'échéance du contrat. " Encore fallait-il la trouver, la date d'échéance. La réponse : " Les contrats de polices stipulés de rentes variables seront habituellement à maturité au 100e anniversaire du titulaire ".

" Pourquoi ne pas expliquer qu'à 100 ans, si vous vivez toujours, on vous redonnera 75 % de votre argent ! Pourquoi, en effet, parlerait-on d'un Felis silvestris catus lorsqu'il s'agit d'un vulgaire chat domestique ? " demande Fabien Major.

" Les gens ont souvent l'impression qu'ils achètent quelque chose dont le capital est garanti, alors que ce n'est pas le cas ", remarque Patrick Ouellet, avocat spécialisé dans les litiges en valeurs mobilières au cabinet montréalais Woods. Il déplore que la plupart du temps, " la formulation - et l'utilisation - du concept de date d'échéance laisse penser que le client récupèrera son capital à la fin du placement, ce qui est faux. "

Ce n'est pas expliqué dans le matériel publicitaire, ajoute Me Ouellet, qui pilote présentement plusieurs litiges concernant ce type de contrats devant les tribunaux.

L'information

Au Canada, " on estime que la moitié des gens ne lisent pas la documentation financière parce qu'ils trouvent cela trop compliqué ", déplore le président de l'Association de protection des petits investisseurs, Stan Buell. Et ceux qui lisent les documents n'y comprennent rien : plusieurs admettent avoir effectué de mauvaises transactions parce qu'ils n'ont pas bien saisi les informations sur le produit.

Une situation préoccupante, juge Walter Merricks, ombudsman des services financiers en Angleterre, qui vient de prendre sa retraite après avoir occupé ce poste pendant dix ans. Alors que l'industrie financière fait tout pour se présenter comme digne de confiance, elle n'hésite pas à rejeter la responsabilité sur le consommateur qui se plaindrait de n'avoir pas compris tous les tenants et les aboutissants d'un produit ou d'un service.

Au Canada, tant à l'Agence de la consommation en matière financière du Canada que dans les associations de consommateurs ou à l'Autorité des marchés financiers, les plaintes ne sont pas légion. " C'est difficile d'admettre qu'on ne comprend rien ", dit Jasmin Bergeron, de l'UQAM, pour expliquer la contradiction entre les carences de connaissances financières et le peu de plaintes déposées par les clients.

Jacques Nantel rappelle qu'il faut trois conditions pour que les consommateurs soient à l'aise dans leur démarche d'investissement. " Il faut que l'information soit relativement simple, que le consommateur se sente habilité à la comprendre et qu'il ait le temps de réfléchir à son achat. " Trois conditions inexistantes, constate le spécialiste.

Ce n'est pas cohérent avec l'image que l'industrie présente. " L'investisseur a le droit de se comporter comme un idiot, mais il a aussi le droit qu'on ne le prenne pas pour un idiot ", ajoute Walter Merricks, qui juge que le fossé entre les connaissances de ceux qui offrent les produits et celles des acheteurs est trop grand.

Éduquer les investisseurs

Le gouvernement fédéral entend s'attaquer au problème de manque de connaissances des investisseurs et des épargnants. En juin 2009, le ministre fédéral des Finances, Jim Flaherty, lançait le Groupe de travail sur la littératie financière, visant à promouvoir l'éducation financière. Le groupe prévoit publier un premier rapport ce printemps.

Fonds de placement avec date d'échéance

Plus connus sous le vocable de " fonds distincts ", les fonds à échéance sont généralement utilisés par les investisseurs à l'aube de la retraite. Offerts par les compagnies d'assurance, ils proposent une garantie de valeur à l'échéance dont les modalités d'application sont parfois difficiles à comprendre.

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