Le rêve américain de Jérôme Ferrer

Publié le 24/10/2009 à 00:00

Le rêve américain de Jérôme Ferrer

Publié le 24/10/2009 à 00:00

" On va où, les gars ? " Pour Jérôme Ferrer et ses deux copains et associés, Ludovic Delonca et Patrice De Felice, il était devenu clair, au début des années 2000, que leur petit resto de Saint-Cyprien, en France, ne les ferait jamais vivre convenablement. L'avenir dans le Sud de l'Hexagone pour de jeunes et ambitieux restaurateurs était bloqué et l'air, étouffant.

Les trois hommes ont commencé à penser à un ailleurs. L'Espagne ? L'Italie ? Paris ? " Le choix du Québec a fait l'unanimité ", dit Jérôme Ferrer, attablé en habit de chef à l'Europea, les yeux noirs et pétillants.

Ils ont eu le coup de foudre pour la " mégalopole américaine ", comme Ferrer qualifie Montréal, lui qui a grandi dans un village de 80 habitants près de Perpignan.

C'est le début du rêve américain. Les trois copains déménagent avec, en poche, les 40 000 $ provenant de la vente du petit resto de Saint-Cyprien. Du moins le croyaient-ils. Pour d'obscures raisons, un notaire a mis l'argent dans ses coffres et a refusé de leur verser leur dû. " À peine débarqués, on a réalisé qu'on avait tout perdu. On n'avait pas un sou, on était loin de notre pays, de notre famille. On était dans la merde ", résume Jérôme Ferrer.

Et pas seulement les trois amis : la soeur de M. Ferrer, mariée à Delonca, était de l'expédition avec son bambin âgé de six mois.

Difficile d'imaginer, dans le décor luxueux, chaleureux et de bon goût de l'Europea, par où sont passés ses propriétaires pour se faire une place au soleil.

Fierté de fils de cultivateurs oblige, pas question, dit Jérôme Ferrer, de quémander de l'argent à la famille pour un retour - pas du tout triomphal - en France.

Une seconde chance

Ils se mettent à l'ouvrage et cumulent les jobines de jour et de nuit : camelot pour le Journal de Montréal, trieur de courrier ou pour la collecte sélective, dans des usines en bordure de l'autoroute 40, dans le froid et le bruit fracassant. Et le pire : cobayes pour l'industrie pharmaceutique.

Après six mois, le trio avait tout de même accumulé 6 500 $. " On avait alors le choix, dit Jérôme Ferrer : rentrer en France ou tenter notre chance ? On s'est donné deux semaines pour trouver un local. "

La suite relève non pas tant du conte de fées que d'une fable de LaFontaine qui ferait l'apologie de la persévérance et de la résilience.

Les trois jeunes hommes ont sillonné les rues de Montréal pour finalement tomber sur un local modeste, humide et froid, qui ne payait pas de mine, sur un tronçon sinistré de la rue de la Montagne. " Les clochards venaient dormir devant notre porte. " Ils ont appelé leur modeste boui-boui d'un nom ambitieux, aux accents quasi onusiens : Europea.

" Nous sommes Français, mais d'origines diverses ", explique Jérôme Ferrer. Sa famille est d'origine catalane et espagnole, celle de Patrice, italienne, et celle d'Olivier, française. " Mais nous avons un point commun : l'Europe. Et la Méditerranée. "

Gros défi en perspective, grand bonheur tout de même pour le trio, trop heureux de cette chance qui s'offrait. Inventifs et bricoleurs, ils ont tout fait : la peinture, la décoration, les réparations. " J'ai grandi dans une ferme... Quand il y avait quelque chose de brisé, on le réparait nous-mêmes. "

Ils ont réinvesti chaque dollar gagné dans l'aménagement, puis l'agrandissement de leur petit local, annexant au passage, lors de leur fermeture, un salon de coiffure, puis une agence de voyages. La cuisine de l'Europea a fait le reste : l'endroit est devenu un incontournable des gens d'affaires du quartier et des touristes, méritant cette année la distinction Quatre Diamants du CAA et de l'AAA. Puis ont suivi L'Espace Boutique, le Beaver Hall et, le dernier-né, le plus méditerranéen, Andiamo.

L'IMPORTANCE DE VIVRE SES RÊVES

Un parcours aussi particulier que celui de Jérôme Ferrer laisse des traces. Il a façonné l'éthique de travail du chef, qui déplore l'attitude de la nouvelle génération, qui ne comprend pas, selon lui, les vertus de commencer au bas de l'échelle.

" En entrevue, ils te parlent de leurs diplômes et te disent ce qu'ils ne veulent pas faire, notamment travailler les week-ends ", dit-il. Une hérésie dans ce milieu.

Les semaines de travail, pour ses associés et lui, comptent aisément 6 jours, les journées, de 12 à 15 heures. " On fait ce métier parce qu'on est passionné, dit Jérôme. Parce qu'il y en a d'autres, bien plus payants. "

Il aime la table, cet endroit " où tout se passe, les bons comme les mauvais moments ", et la bonne bouffe. Sa grand-mère espagnole, qui l'a initié à la cuisine, lui disait : " Ne fréquente pas les gens qui n'aiment pas manger, ils n'aiment pas la vie. "

Lui, il la vit intensément, dit-il. " C'est ce qu'on fait quand on a tout perdu, qu'on a touché le fond. J'ai connu le meilleur et le pire. Mais la vie m'a beaucoup donné. Elle est éphémère. Alors on a le choix entre vivre ses rêves ou rêver sa vie. "

Il sait que le destin peut encore lui jouer de mauvais tours. Sa femme est gravement malade et l'issue ne risque guère d'être heureuse. Parfois, la gestion de ses quatre restaurants devient lourde. " Je commence à trouver le sommeil moins facilement. "

Il sait aussi que, dans son domaine d'activité, il peut encore tout perdre, d'un coup. Mais il a conscience qu'il peut aussi se réinventer. " Je l'ai déjà fait. " Cela donne une assurance certaine...

( EN SAVOIR PLUS )

En lecture

Je cuisine à la manière de Jérôme Ferrer, Éditions Communiplex, 2005.

Les secrets des sauces révélés par Jérôme Ferrer, Les Éditions La Presse, 2008.

Les secrets des desserts révélés par Jérôme Ferrer, Les Éditions La Presse, 2008.

martine.turenne@transcontinental.ca

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