Pourquoi l'essaimage peut vous enrichir

Publié le 28/05/2011 à 00:00

Pourquoi l'essaimage peut vous enrichir

Publié le 28/05/2011 à 00:00

Par Dominique Beauchamp

Communément appelé spin-off en anglais, l'essaimage de filiale ou de division revient à la mode. Après avoir comprimé leurs coûts et profité du rebond économique, certaines entreprises se tournent vers cette stratégie pour se mettre en valeur et procurer du rendement à leurs actionnaires. Pour l'investisseur, il peut être rentable de traquer les scissions potentielles. Voici pourquoi l'essaimage est une pratique qui rapporte.

La stratégie d'entreprise qui consiste à distribuer à ses actionnaires des actions d'une division ou d'une filiale donne généralement de bons résultats en Bourse. Plusieurs études menées à différentes périodes indiquent en effet que l'action de l'entreprise qui se scinde ainsi que celle de la société essaimée procurent un rendement supérieur à celui du marché, la plupart du temps.

Le potentiel des scissions a même donné naissance au fonds négocié en Bourse Guggenheim Spin-off (NY, CSD, 24,25 $ US), qui investit depuis 2006 dans les titres de sociétés qui ont été essaimées au cours des 30 derniers mois.

L'idéal est d'investir dans une entreprise avant même l'annonce d'une scission pour profiter d'abord de la hausse initiale du titre de la société mère et ensuite de celle de la société essaimée, a expliqué à Les Affaires William Mitchell, éditeur de la lettre mensuelle Spinoff & Reorg Profiles, de Californie.

"Je crois que les investisseurs apprécient quand une entreprise cherche à se recentrer et à simplifier ses activités", dit Valérie Cecchini, vice-présidente, gestion de portefeuille, d'Investissements Standard Life.

Cependant, l'effet positif sur l'action de la société mère diminue parfois au bout de quelques mois, selon une étude de Credit Suisse réalisée en 2008. En revanche, le titre de la société scindée performe mieux en Bourse que celui de sa société mère jusqu'à trois ans après la transaction, conclut une étude de The Journal of Financial Economics, menée en 1993.

Plus de potentiel pour l'entreprise essaimée

La valeur de l'entreprise nouvellement indépendante émerge graduellement, puisque des analystes se penchent sur ses états financiers et ses perspectives. La société attire aussi de nouveaux investisseurs, dit M. Mitchell.

Surtout, les dirigeants de l'entreprise essaimée obtiennent des incitatifs, sous forme d'options d'achat d'actions, qui les motivent financièrement à revigorer leur stratégie de croissance. "Un second souffle anime les cadres et les employés, car ils ont les moyens de se démarquer, tandis qu'avant leurs efforts étaient dispersés dans une grande organisation", explique Mme Cecchini.

"Les dirigeants ont désormais des comptes à rendre à leurs nouveaux actionnaires, alors qu'auparavant ils se rapportaient au conseil de leur société mère et devaient entrer en concurrence avec d'autres divisions pour leur capital de développement", signale Mark Minichiello, chef des investissements chez le courtier Quincy Cass Associates, à Los Angeles.

De plus, une fois autonomes, les filiales ou divisions d'entreprises ont cinq fois plus de chances d'être acquises plus tard par un acteur de leur industrie qu'une entreprise ordinaire, ajoute M. Minichiello.

Il arrive aussi parfois que l'action de la société essaimée recule lors de son inscription en Bourse, car les actionnaires de la société mère qui l'ont reçue la vendent. Raisons souvent évoquées : ces investisseurs ne s'intéressent pas à son secteur ou la société scindée ne fait pas partie du S&P 500. "Cela fournit parfois l'occasion de cueillir un titre sous-évalué", précise M. Mitchell.

Faire ses devoirs

Traquer des scissions peut être rentable, mais ce n'est pas une recette infaillible, avertit cependant M. Minichiello. Il faut étudier chaque situation cas par cas. Les investisseurs devraient éviter les cas d'ingénierie financière dans lesquels une société se sépare d'une division mal en point ou lui repasse des dettes importantes en l'essaimant.

M. Minichiello n'aime pas non plus qu'une entreprise essaime une filiale par pur opportunisme. Il donne en exemple la scission par le détaillant américain Nordstrom (NY, JWN, 45,78 $ US) de sa division internet Nordstrom.com, en 1999, pendant la bulle techno.

"Mieux vaut investir lorsqu'une entreprise libère une filiale qui ne cadre pas avec sa mission première que lorsqu'elle veut se débarrasser d'un canard boiteux", résume M. Mitchell.

La différence se révèle parfois dans le rendement du capital des deux entités individuellement. Par exemple, le géant de la défense Northrop Grumman (NY, NOC, 64,53 $ US) dégage un meilleur rendement de son capital que le fabricant de porte-avions Huntingson Ingalls Industries (NY, HII, 38,64 $ US) qu'il a essaimé le 31 mars dernier, dit-il.

Toromont se séparera d'Enerflex en juin

Le distributeur d'équipements lourds de marque Caterpillar Toromont (Tor., TIH, 30,38 $) distribuera à ses actionnaires au début de juin des actions d'Enerflex, sa filiale spécialisée dans les équipements de compression et de transformation pour l'industrie mondiale du gaz naturel.

Toromont a acquis Enerflex en janvier 2010 et l'a ajoutée à sa division de compression de gaz, ce qui a doublé sa taille.

"Les deux entreprises seront des chefs de file de leurs secteurs. Chacune pourra mieux saisir des occasions de croissance et créer de la valeur pour ses actionnaires", déclarait Robert Ogilvie, chef de la direction de Toromont.

Les deux entreprises continueront de verser le dividende annuel de 0,64 $, à raison de 0,40 $ pour Toromont et de 0,24 $ pour Enerflex.

Certains analystes s'attendent à ce que le titre d'Enerflex recule en Bourse une fois scindé, parce que les actionnaires de longue date de Toromont préfèrent les perspectives plus solides du distributeur de produits Caterpillar.

"En tant qu'investisseurs à long terme, cela ne nous gêne pas du tout de conserver les deux titres. Toutefois, si le titre d'Enerflex devait fléchir à son entrée en Bourse, ce serait une occasion d'achat pour ceux qui croient en l'avenir du gaz naturel, à un moment où le prix de celui-ci est déprimé", dit Stephen Boland, analyste chez Odlum Brown.

À court terme, les financiers sont prudents, établissant leur cours cible combiné de 35 $ par action pour les deux sociétés, soit 16 % de plus que le cours actuel de l'action de Toromont.

Pfizer pourrait scinder sa filiale de nutrition

Le géant pharmaceutique Pfizer (NY, PFE, 20,80 $ US) n'a pas encore précisé ses intentions, mais les probabilités sont élevées que l'entreprise cède aux pressions du milieu financier qui veut que la société se revalorise en scindant sa filiale de nutrition ou de santé animale. Le géant pourrait se séparer de Pfizer Animal Health, le plus important du monde dans son domaine, avec des revenus de 3,6 milliards de dollars américains (G$ US)

"L'entreprise n'a rien à perdre et tout à gagner à mettre ses filiales en valeur", dit Mark Minichiello, chef des investissements chez le courtier Quincy Cass Associates.

"Nous examinons encore toutes les options concernant nos divisions moins stratégiques afin de raviver la mise au point de nouveaux produits qui contribuent à 85 % de nos revenus", a dit Ian Read, nouveau président de Pfizer depuis novembre, lors de l'appel-conférence du 3 mai.

L'essaimage potentiel de la division d'aliments pour bébé de Pfizer fait saliver les analystes, étant donné le succès qu'a connu le divorce de Bristol Myers Squibb (NY, BMY, 28,31 $ US) et de Mead Johnson Nutrition (NY, MJN, 67,54 $ US), en février 2009. L'action de Mead Johnson a plus que doublé depuis et vaut 23 fois les bénéfices prévus, soit un multiple deux fois supérieur à l'action de son ex-société mère et à celui de Pfizer.

Le cours de l'action de Bristol-Myers a aussi surpassé celui de ses rivaux pharmaceutiques de 20 % depuis l'annonce de la scission, en avril 2008.

La spéculation entourant les projets de scission a déjà poussé l'action de Pfizer à la hausse de 17 % depuis le début de l'année.

Expedia essaimera TripAdvisor cet été

Le voyagiste en ligne Expedia (Nasdaq, EXPE, 27,51 $ US) complétera la scission de ses sites de recommandations touristiques TripAdvisor d'ici septembre.

La transaction pourrait attribuer une valeur de 4 G$ US à TripAdvisor, estiment certains financiers. Le site, qui permet aux internautes de donner leur avis sur un hôtel, un restaurant, une chambre d'hôte ou une excursion, génère environ 15 % du chiffre d'affaires d'Expedia et plus d'un tiers de son bénéfice d'exploitation.

En 2010, les revenus de TripAdvisor ont progressé de 36 % à 485 millions de dollars américains (M$ US) par rapport à un taux de croissance de 8 % pour Expedia, estime Justin Post, analyste chez Bank of America Merrill Lynch.

"TripAdvisor est mûr pour voler de ses propres ailes, en tant que média en ligne", a déclaré Dara Khosorwshahi, le président d'Expedia, à l'annonce de la scission.

L'objectif est évidemment de mettre en relief la valeur de TripAdvisor, qui tire son revenu de la publicité, alors qu'Expedia est un agent de voyages virtuel.

Depuis l'annonce de la scission le 8 avril, l'action d'Expedia s'est déjà appréciée de 19 %. L'action du concurrent de TripAdvisor, Travelzoo (Nasdaq, TZOO, 74,45 $ US), a explosé de 80 % depuis le début de 2011 et se négocie à 48 fois ses bénéfices anticipés par rapport à un multiple de 15 fois pour Expedia, précise Frederick Moran, analyste de Benchmark Capital.

La valeur combinée des deux entreprises est d'environ 30 $ US, soit 9 % de plus que le cours actuel d'Expedia, évalue Mark Minichiello, chef des investissements du courtier Quincy Cass Associates.

ITT Corp. se divise en trois entités

Le conglomérat industriel ITT Corp. (NY, ITT, 57,07 $ US) entreprend une nouvelle cure d'amaigrissement et se divisera en trois entités distinctes d'ici la fin de l'année.

L'entreprise essaime son fabricant d'équipements militaires et de systèmes de gestion du contrôle aérien, ainsi que sa filiale d'équipements, de systèmes de transport et de traitement de l'eau Water Technology.

ITT survivra et conservera les activités de fabrication d'instruments de contrôle de mouvement pour les industries automobile et aérospatiale ainsi que celle de pompes et de valves pour les industries pétrolière et minière.

Ces activités fluctuent en fonction de la conjoncture, mais génèrent de bons flux monétaires, estime un investisseur qui contribue au site d'analyse de titres Seeking Alpha.

Mark Minichiello estime la valeur combinée des trois entreprises une fois séparées à au moins 70 $ US par action, soit 23 % de plus que le cours actuel d'ITT.

Les analystes préfèrent les perspectives de croissance de Water Technology. Ses revenus de 3,6 G$ US en font le chef de file de l'industrie du traitement de l'eau.

Certains analystes prévoient que Water Technology pourrait avoir dans sa mire le fabricant de filtres et d'équipements de séparation Pall (NY, PLL, 54,96 $ US), dont le président prendra sa retraite en mars 2012.

La trajectoire de ces trois titres en Bourse dépendra de la dette qui sera répartie entre les trois entreprises et du niveau d'intérêt des investisseurs pour leurs industries respectives, explique William Mitchell, éditeur de la lettre mensuelle Spinoff & Reorg Profiles.

Fortune Brands se recentre sur les spiritueux

Fortune Brands (NY, FO, 64,33 $ US) est une candidate naturelle pour la scission, avec ses trois filiales disparates : le producteur des spiritueux (dont le bourbon Jim Beam); le fabricant des robinets Moen, des fenêtres Simonton et des serrures MasterLock; et, enfin, le fabricant des balles de golf Titleist, de chaussures de golf FootJoy et des bâtons de golf Cobra, Company.

Sous la pression de l'investisseur activiste William Ackman, de Pershing Square Capital Management, Fortune a décidé en décembre 2010 d'essaimer sa division de sécurité, de vendre sa division de golf et de se recentrer sur les spiritueux. Le 20 mai, elle a accepté l'offre de 1,23 G$ US comptant pour sa filiale de golf Acushnet d'un groupe mené par le propriétaire de la marque Fila ainsi qu'une caisse de retraite et une banque coréenne. La transaction devrait être complétée d'ici la fin de l'année.

La valeur combinée des trois entités est d'environ 82 $ US, soit 27 % de plus que son cours actuel, en évaluant chaque filiale séparément en fonction de multiples d'évaluation propres à chacunes de leurs industries, estime Andrew Jones, collaborateur du site Web Seeking Alpha.

M. Jones anticipe aussi que le géant des spiritueux Diageo Plc (NY, DEO, 82,93 $ US) pourrait s'intéresser à l'entreprise rebaptisée Beam, puisque Diageo n'a pas de bourbon dans son portefeuille de marques.

Pour sa part, William Mitchell, éditeur de la lettre mensuelle Spinoff & Reorg Profiles, considère que l'action de Fortune Brands n'est plus une aubaine. Après un gain de 36 % depuis un an, le titre se négocie à un multiple de 22 fois ses bénéfices.

dominique.beauchamp@transcontinental.ca

pour en savoir plus

www.spinoffprofiles.com

www.guggenheimfunds.com /etf/fund/csd

www.corporate-spin-offs.com

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