LE QUÉBEC AUX URNES

Publié le 18/08/2012 à 00:00

LE QUÉBEC AUX URNES

Publié le 18/08/2012 à 00:00

Par Marie-Claude Morin

Les enjeux économiques sont les grands absents de la campagne électorale qui bat son plein depuis une dizaine de jours déjà. Pour les ramener au coeur du débat, Les Affaires a demandé à huit observateurs économiques quels sujets les préoccupaient le plus. La dette figure tout en haut de la liste de plusieurs, suivie de près par les ressources naturelles.

Dans les bains de foule, les discours et les débats télévisés, les promesses pleuvent pendant les campagnes électorales. Cette fois-ci, l'enflure constante de la dette devrait amener les candidats à se garder une petite gêne, espèrent les observateurs économiques. En fait, la dette devrait être sous les projecteurs tout au long de la campagne. Et même après.

Lorsqu'ils ont été interrogés sur le sujet économique incontournable, quatre des huit interviewés ont désigné la dette ; les autres en ont tous parlé à un moment ou l'autre de l'entrevue. «La dette représente toutes les promesses qu'on n'a pas encore fini de payer», dit Michel Kelly-Gagnon, pdg de l'Institut économique de Montréal (IEM).

Au 31 mars 2012, la dette du gouvernement et de tous les organismes du périmètre comptable se chiffrait à 184 milliards de dollars (G $). Elle coûtera 10,4 G $ en intérêts durant l'exercice en cours1, soit plus de 10 % du budget total de 91 G $.

Rappelons que l'accroissement de la dette ne se limite pas au déficit. Même en période d'équilibre budgétaire, comme en 1998-1999, elle a augmenté de 3,5 %. C'est qu'aux dépenses courantes excédant les revenus s'ajoutent les investissements nécessaires à la rénovation et la construction d'infrastructures. Par exemple, les 41,8 G $ du programme d'infrastructures pour 2008-2013, dans le tourbillon de la crise financière, ont été directement portés sur la carte de crédit des générations futures.

«Il faut se payer les services dont on a les moyens», réclame Yves-Thomas Dorval, président du Conseil du patronat du Québec. Il compare la situation actuelle à un parent qui s'endetterait en pensant refiler la facture à ses héritiers.

Michel Kelly-Gagnon de l'IEM n'ose même pas rêver d'une diminution des dépenses de 12 G $, montant nécessaire selon lui pour que le Québec cesse de s'endetter. «Ça serait beaucoup trop ambitieux comme objectif, estime le pdg de l'IEM. Si le discours public, les médias et la classe politique se sensibilisaient au problème de la dette, ça serait déjà un bon pas. Actuellement, les gens sont en déni.»

L'argument courant selon lequel les actifs d'Hydro-Québec contrebalancent la dette de la province est exagéré, juge-t-il, parce que la hausse de revenus de la société d'État est plus lente que celle de la dette. M. Kelly-Gagnon se défend toutefois d'être pessimiste : «Si la prise de conscience par rapport au déficit a pu avoir lieu, elle peut aussi se faire concernant la dette.»

Risques à l'horizon

L'endettement pourrait s'aggraver si le prochain parti au pouvoir ne prend pas le taureau par les cornes. «Le Québec n'est pas si loin que ça d'une décote», prévient Claude Montmarquette, pdg du CIRANO. «Il suffirait de quelques mauvaises surprises, ce qui pourrait arriver si le gouvernement ne garde pas le cap sur la réduction du déficit.»

À partir de maintenant, dit M. Montmarquette, chaque nouvelle dépense devrait s'accompagner d'une diminution équivalente dans un autre programme. «On peine énormément à freiner le rythme d'augmentation des dépenses. Ce n'est pas populaire d'annoncer des diminutions de programmes...»

L'État pourra difficilement compter sur ses recettes fiscales pour absorber des dépenses plus volumineuses. Au cours des prochaines années, choc démographique oblige, le nombre de travailleurs actifs diminuera constamment ; jusqu'à maintenant, l'immigration ne suffit pas à colmater la fuite.

Le déficit des régimes de retraite publics, estimé à 28,7 G $ en mars 2012 et inclus dans la dette brute, pourrait peser encore plus lourd au cours des années suivantes. «Les régimes de retraite publics seront le prochain sujet de l'heure après le Plan Nord», prédit Alexandre Borduas, vice-président Affaires publiques au Regroupement des jeunes chambres de commerce du Québec. Déjà déficitaires, ces régimes compteront bientôt plus de bénéficiaires que de contributeurs, ce qui pose un problème d'équité entre les générations, rappelle-t-il.

À la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante, Martine Hébert souhaite voir les partis s'attaquer sérieusement à la taille de l'État et à la rémunération globale des fonctionnaires. «Les régimes de retraite doivent absolument être rééquilibrés.» Les PME, dit la vice-présidente pour le Québec de l'organisme, craignent de subir des hausses de taxes et d'impôts si les dépenses et la dette ne sont pas mieux contrôlées. «Nos membres sont extrêmement préoccupés par les pressions fiscales que pourraient occasionner les finances publiques.»

Par ailleurs, il ne faut pas oublier qu'un gros point d'interrogation s'ajoute aux risques relativement bien connus : les taux d'intérêt futurs. Combien coûteront dans quelques années l'émission d'une nouvelle dette et le renouvellement des obligations existantes, émises à taux fixe ? Bien malin qui pourrait le dire. Chose certaine, les taux ne pourront rester au plancher indéfiniment.

D'ici là, les observateurs espèrent bien que le prochain gouvernement établira une stratégie claire et réaliste pour éliminer le déficit, arrêter l'endettement et, éventuellement, commencer à rembourser la dette existante.

1 Le service de la dette du Fonds consolidé, plus généralement observé, dont le budget atteint 70,9 G$, coûtera quant à lui 8,2 G$.

Soutenir plutôt que nuire

«Si on laisse les entreprises privées investir, si on les valorise plutôt que de leur mettre des bâtons dans les roues et si on s'assure qu'elles ont accès à de la main-d'oeuvre de qualité, elles répondront avec dynamisme.»

- Claude Montmarquette, pdg du CIRANO

Un grand paradoxe

«Le Québec crée moins de richesse que le reste du Canada, alors qu'il est pourtant béni des dieux avec des ressources naturelles, de la main-d'oeuvre scolarisée, une situation géopolitique très avantageuse et une population créative.»

- Yves-Thomas Dorval, président du Conseil du patronat du Québec

Qui le fera ?

«Les thématiques sont reprises par pratiquement tous les partis. La question est de savoir qui aura la volonté et la capacité de transformer ces idées en projets d'envergure, qui modifieront la structure industrielle.»

- Robert Laplante, directeur général de l'Institut de recherche en économie contemporaine

Une question d'équité

«Il faut s'attaquer à l'équité intergénérationnelle dès maintenant afin de limiter l'écart à venir.»

- Alexandre Borduas, vice-président Affaires publiques au Regroupement des jeunes chambres de commerce du Québec

L'économie avant tout

«Deux choses préoccupent énormément nos membres : les finances publiques et la croissance économique.»

- Martine Hébert, vice-présidente Québec de la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante

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