La gratuité, une tornade qui secoue l'entreprise

Publié le 18/07/2009 à 00:00

La gratuité, une tornade qui secoue l'entreprise

Publié le 18/07/2009 à 00:00

Ne faites rien payer. Voilà le nouveau modèle d'entreprise, écrit l'éditeur de Wired, Chris Anderson, dans son dernier livre, Free : The Future of a Radical Price, paru à la fin juin.

Loin d'être une mode passagère, la gratuité est une lame de fond. La perspective vous semble extrême ? Lutter contre cette tendance équivaut à nager à contre-courant, écrit Chris Anderson. À l'ère numérique, l'exigence de gratuité pour tout ce qui a trait à l'information sera telle qu'il est inutile d'y résister.

Vous pouvez bien essayer d'arrêter cet inexorable mouvement à coups de lois et de cryptage, la bataille est perdue, écrit l'auteur de The Long Tail: Why the Future of Business Is Selling Less of More, un succès de librairie publié en 2006.

Chris Anderson reprend à son compte la phrase de l'auteur Stewart Brand : " Information wants to be free. " Dans les cercles de l'intelligentsia américaine, le livre suscite la controverse. Certains, comme l'auteur Malcolm Gladwell, en démolissent la thèse et d'autres, comme Seth Godin, auteur de All Marketers Are Liars, y adhèrent : la culture de la gratuité doit être considérée comme un fait accompli, " que nous le voulions ou non ", écrit-il dans son blogue. Comment ce modèle d'entreprise va-t-il changer le monde ? " On s'en fiche, c'est arrivé. Le monde change autour de nous parce qu'il n'a pas le choix ", dit M. Godin dans ce billet.

Gratuit... mais payant

Pour démontrer la force d'attraction de la gratuité, M. Anderson présente dans son livre plusieurs exemples révélateurs, dont une expérience menée par le MIT, à Boston. On a offert deux tablettes de chocolat à un groupe témoin, une Hershey's vendue 1 cent, et des truffes Lindt, vendues 15 cents; les trois quarts des sujets ont choisi les truffes. Mais lorsqu'on a réduit de 1 cent le prix des deux offres, de sorte que la tablette Hershey's est devenue gratuite, l'ordre de préférence s'est inversé : 69 % des sujets ont choisi le chocolat gratuit.

" Dans la perspective du consommateur, la différence est énorme entre un produit bon marché et un produit gratuit ", écrit Chris Anderson. Facturez ne serait-ce que 1 cent, et vous êtes dans un modèle d'entreprise complètement différent. "Il s'avère que zéro est un marché en soi et que tout autre prix en est un autre ", peu importe le prix de vente.

Cela dit, la gratuité n'exclut pas le profit : Amazon a ainsi augmenté ses ventes lorsqu'elle a rendu gratuite la livraison pour tout achat de 25 $ et plus, sachant que les consommateurs achèteraient ainsi un second livre. La gratuité soutient une stratégie de vente. Pour les musiciens, par exemple, poursuit l'éditeur de Wired, l'ère de la gratuité signifie que les ventes de leur album représenteront désormais un apport marginal à leurs revenus, mais qu'ils empocheront d'importants revenus lors de leurs tournées.

Chris Anderson prévient les médias traditionnels, en particulier les quotidiens, en pleine tourmente, qu'ils doivent se faire à l'idée que leur contenu ne rapportera plus jamais autant d'argent qu'auparavant, et qu'ils doivent réinventer leur modèle d'entreprise. " Après le massacre, écrit-il, viendra un nouveau rôle pour les journalistes professionnels. " Ils seront moins nombreux, moins payés, peut-être travailleront-ils moins, et peut-être feront-ils autre chose pour gagner leur croûte... comme enseigner à d'autres comment écrire à leur place !

Cet exemple a causé l'ire de l'auteur de l'ouvrage à succès Le point de bascule, Malcolm Gladwell, qui s'est exprimé dans un article publié dans The New Yorker.

Si une personne peut en payer une autre pour écrire à sa place, écrit M. Gladwell, alors pourquoi ne peut-elle pas elle-même être payée ? Chris Anderson rétorque sur son site Web que ceux à qui on apprendra à écrire ne seront pas des professionnels, mais des gens de la " communauté " - une expression à la mode -, qui le feront non pas pour l'argent, mais pour aider les autres. Par exemple, un informaticien qui tient un blogue à temps partiel s'adressant à des pères au foyer.

Une idée qui n'a pas de prix

Dans son article, Malcolm Gladwell rappelle que plusieurs produits " gratuits " n'ont aucune rentabilité, à commencer par YouTube, racheté par Google et qui, selon Credit Suisse, perdra près d'un demi-milliard de dollars américains cette année. " YouTube démontre toutes les limites de Free : la façon dont les consommateurs l'utilisent compromet la capacité de YouTube à faire un profit et l'oblige à adopter des stratégies qui vont à l'encontre du concept de Free, par exemple d'exercer une sélection sur la mise en ligne de vidéos. "

Par ailleurs, écrit M. Gladwell, nous entrons sans doute dans une ère où les idées, justement, n'auront pas de prix... Bien sûr, le New York Times donne son contenu sur Internet, mais le Wall Street Journal a plus d'un million d'abonnés qui sont heureux de payer pour avoir accès à son contenu sur le Web.

Seth Godin acquiesce à ce seul argument de Malcolm Gladwell dans un billet intitulé " Malcolm is wrong ", publié dans son blogue, peu après la publication de Free. " Les gens achèteront un contenu qui sera unique, qu'ils ne pourront pas se procurer ailleurs, et dont ils retireront un bénéfice. "

Apple gagnera bientôt plus d'argent en vendant ses applications (des idées) que l'iPhone (du matériel) lui-même. Donnera-t-elle son téléphone pour mousser la vente de ses applications ou, au contraire, offrira-t-elle gratuitement les applications pour mousser la vente de ses téléphones ? On l'ignore. Mais il est prématuré, dit Malcolm Gladwell, d'écrire un livre qui annonce la suprématie d'un modèle.

Chris Anderson a appliqué partiellement ses idées en mettant en ligne Free, gratuitement durant un mois (en librairie, le livre se détaille 34,99 $). L'exercice de lecture sur les services Scribd et Google Books est plutôt ardu. Gratuit, mais pas pratique... Et le côté pratique, c'est aussi un argument de vente indéniable.

martine.turenne@transcontinental.ca

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