La fiesta est bel et bien finie en Espagne

Publié le 04/07/2009 à 00:00

La fiesta est bel et bien finie en Espagne

Publié le 04/07/2009 à 00:00

Dans les rues espagnoles, la semaine dernière, les conversations tournaient autour du recrutement par le club de soccer Real Madrid de deux joueurs pour la somme record de 161 millions d'euros (261 millions de dollars canadiens), dont 152 millions pour Cristiano Ronaldo. " Excessif ", a commenté le premier ministre espagnol, José Luis Rodriguez Zapatero, qui se disait tout de même mal placé pour juger, étant un fan de l'équipe adverse, le Barça...

Ce qui a le plus choqué, en cette période de crise mondiale, est la rapidité déconcertante - une petite semaine - avec laquelle le président du Real, Florentino Perez, a obtenu une facilité de crédit de 150 millions d'euros des institutions bancaires Caja Madrid et Banco Santander pour l'arrivée de ses méga-vedettes. " Pourquoi refuser un crédit à un club de football ? " s'est interrogé le président de Caja Madrid après que la ministre espagnole de l'Économie et des Finances, Elena Salgado, ait exprimé " sa surprise " et que des chefs d'entreprise se soient plaints d'avoir des difficultés à obtenir des prêts bancaires.

Si le Real Madrid semble à l'abri de la récession, ce n'est pas le cas de l'Espagne.

Après 14 années de prospérité sans précédent, qui ont fait faire un grand bond en avant à l'Espagne, le pays se retrouve avec un taux de chômage frisant les 18 % (4 millions de personnes). Neuf nouveaux sans-emploi européens sur 10 sont Espagnols.

L'économie est en dents de scie, explique Joaquim Novella i Izquierdo, professeur de politique économique à l'Université de Barcelone. Sur une feuille, il dessine des montagnes qui ressemblent aux Laurentides, avec des courbes tout en douceur : les crises dans la plupart des économies occidentales. Puis il esquisse des montagnes qui ressemblent à la chaîne himalayenne : l'économie espagnole. Des hauts sommets et des descentes très escarpées. En 2006, l'Espagne créait la moitié des nouveaux emplois de la zone euro et absorbait 5 millions de nouveaux arrivants en une décennie; au cours des 12 derniers mois, elle a perdu 1,3 million d'emplois, soit la moitié des pertes de la zone euro...

Une main-d'oeuvre sous-qualifiée

Certains commentateurs espagnols cyniques disent que leur pays est plus proche de l'Afrique que de l'Europe. Une exagération, bien sûr, mais il reste que le tiers des jeunes n'ont pas de formation adéquate. Des 7,8 millions d'emplois créés entre 1995 et 2007, 4,8 millions nécessitaient des niveaux de qualification moyens ou faibles.

Le pays perd au profit des économies émergentes ses industries nécessitant une main-d'oeuvre peu qualifiée (car devenue trop chère), mais n'arrive pas à accueillir celles à valeur ajoutée. L'Espagne forme des diplômés universitaires, certes, mais peu de techniciens.

Par rapport à son PIB, les dépenses de l'Espagne consacrées à la R-D sont à 60 % de la moyenne des pays de l'UE, tout comme celles consacrées à l'éducation. Le taux de productivité s'en ressent : même s'il se situe en plein dans la moyenne des pays de l'UE, il n'a augmenté que de 0,7 % en moyenne depuis les 15 dernières années, par rapport à 2 % pour l'UE. " On peut faire mieux, c'est clair, dit Joaquim Novella. On doit rivaliser avec la France, l'Allemagne et l'Italie. Si l'Espagne ne veut plus connaître de crise de ce genre, elle n'a pas le choix d'investir dans son système d'éducation et dans la R-D. "

Cela dit, le système bancaire s'est maintenu. Malgré un déficit élevé, l'État a encore des réserves en vue des temps difficiles. Le filet social est solide : les chômeurs reçoivent jusqu'à deux ans de prestations. " Évidemment, si la crise persiste plus de deux ans, avec déjà 4 millions de chômeurs, on aura un gros problème ", dit M. Novella.

La Commission européenne, à Bruxelles, estime que l'Espagne pourrait être le dernier pays européen à émerger de la crise, quelque part en 2011. En attendant, le gouvernement tente d'amorcer ses réformes, notamment celles de son code du travail, qui encourage le travail précaire.

Ainsi, le taux de travailleurs temporaires est de 25,4 % en Espagne, par rapport à 12 % dans l'UE. Plusieurs entreprises ont donc sabré massivement dans cette main-d'oeuvre vulnérable au lieu, par exemple, de réduire les horaires de l'ensemble du personnel (comme l'a fait l'Allemagne, très durement touchée elle aussi), aggravant du coup le chômage. Les taxes et les impôts demeurent aussi très élevés.

D'ailleurs, il s'agit d'un autre sujet de récrimination contre les nouvaux footballeurs millionaires du Real Madrid : en raison d'une clause protégeant les joueurs étrangers, leur taux d'imposition se situe autour de 24 %, par rapport à 43 % pour les particuliers ayant les mêmes revenus. Mais au-delà de cette mini-tempête, le système espagnol devra être revu et corrigé pour devenir plus compétitif, disent les experts. Et ça va bien au-delà des contrats des vedettes du Real Madrid...

9,6 %

Proportion de la dette publique espagnole par rapport au PIB prévu en 2009. Le gouvernement souhaite la ramener à 3 % d'ici 2012.

Source : Gouvernement espagnol

-4,2%

Chute du PIB en Espagne en 2009, selon les prévisions de l'OCDE, parmi les plus pessimistes pour les pays développés. L'organisme prévoit une baisse de 0,9 point pour 2010.

LA FOLIE DE LA CONSTRUCTION

L'économie espagnole s'appuie sur deux secteurs très cycliques : le tourisme et la construction. Si le premier s'est relativement maintenu, la seconde, elle, s'est effondrée. La surchauffe, qui a fait de l'Espagne le paradis des spéculateurs, avec des augmentations du coût des appartements variant entre 200 et 300 %, a cédé la place à la déroute et le pays se retrouve avec plus d'un million de logements vacants...

Alors que, dans plusieurs pays, le secteur du bâtiment représente environ 2 % du PIB, en Espagne, il a grimpé jusqu'à 4 % ces dernières années, rappelle Joaquim Novella, professeur à l'Université de Barcelone. " Il s'est construit 800 000 unités par année, s'exclame-t-il. Plus que la France, l'Italie et l'Allemagne réunies !"

Près de 70 % des nouveaux chômeurs sont du secteur de la construction. " C'est la fin de la fiesta ", dit une journaliste économique du quotidien El País, pour qualifier la morosité qui s'est emparée de son pays, ce qui n'est pas si évident au premier coup d'oeil lorsqu'on regarde les rues grouillantes de monde de Barcelone, les restos bondés et les commerces prospères. Mais les pancartes " Se Vende " sont plus nombreuses.

L'industrie touristique se portait bien, car les Espagnols et les Européens se cherchaient des résidences secondaires dans les régions bénies par le soleil ibérique. Les millions d'immigrants et la spéculation ont fait le reste. Mais cette période est terminée.

L'Espagne devra diversifier son modèle de production, a dit le secrétaire général de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), Angel Gurria, en raison du chômage " structurellement plus élevé " que la moyenne des pays de l'OCDE. Le pays a surtout besoin de " menos ladrillo y más ordenadores ", a dit le premier ministre Zapatero. Moins de briques, et plus d'ordinateurs.

martine.turenne@transcontinental.ca

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