La magie du prisme

Publié le 07/05/2010 à 13:53

La magie du prisme

Publié le 07/05/2010 à 13:53

Par Premium

On parle beaucoup de leadership et trop peu de gestion au quotidien. Pourtant, il suffit d’une seule équipe mal gérée pour qu’une stratégie globale audacieuse échoue lamentablement. D’où l’importance de regarder le management d’un œil neuf.

Depuis une bonne trentaine d’années, les théories sur le leadership se multiplient et se contredisent, et elles le font finalement au détriment d’un autre domaine : celui de la gestion au quotidien. Il est plus que temps de rétablir l’équilibre. Certes, un leader doit avoir certaines qualités et adopter certains comportements pour faire figure de modèle, mais c’est aux gestionnaires de s’assurer que le travail est bel et bien exécuté et de s’acquitter pour ce faire de quatre tâches essentielles : établir des objectifs, inciter les gens à l’effort, coordonner les activités et prendre des décisions.

###

Pour bien visualiser ces quatre tâches, imaginons un « prisme décisionnel », dont la première surface serait le modèle de gestion traditionnel, et la seconde, le modèle novateur. Comme un rayon qui passe à travers les deux surfaces et qui est dévié chaque fois, chaque tâche est d’abord soumise à l’effet du modèle traditionnel, puis à celui du modèle novateur. Voici un exemple : la prise de décision. Selon le modèle traditionnel, elle est effectuée par la haute direction et dépend donc de la « hiérarchie ». Par contre, le modèle novateur laisse libre cours à la « sagesse collective ». Visuellement, cela est représenté par un rayon lumineux qui, en traversant le prisme, finit par créer l’image d’un magnifique arc-en-ciel (voir figure ci-contre).

Différentes utilisations peuvent être faites de ce prisme. Des cadres peuvent se contenter des premières réfractions pour diriger leur équipe ou gérer leur entreprise ; c’est d’ailleurs ce que font toujours des sociétés très prospères, comme Exxon Mobil et Walmart. D’autres utilisent partiellement les déviations des deux surfaces, par exemple en vue de mener à bien une politique de changement ou une opération visant à accroître la motivation de leur personnel. Par contre, rares sont les gestionnaires qui ne jurent que par la seconde déviation.

Établir des objectifs

Une des façons courantes d’établir des objectifs est d’opter pour une approche directe ; le gestionnaire définit un ensemble de cibles que doit atteindre son équipe et élabore un échéancier pour y arriver. Ainsi, sur le site Web d’Exxon Mobil, on peut lire : « Nous devons constamment obtenir des résultats supérieurs sur le plan de l’exploitation et celui des finances, tout en respectant les normes éthiques les plus sévères. »

Une autre solution consiste à établir des objectifs de manière oblique, c’est-à-dire donner à son équipe un objectif A pour s’assurer qu’elle atteigne la cible B, plus facile à atteindre. Par exemple, le fabricant de meubles Ikea vise à « améliorer le quotidien du plus grand nombre » ; c’est là un objectif oblique, car en continuant à poursuivre cet objectif, les concepteurs et les employés ont fait d’Ikea une entreprise dont la rentabilité est phénoménale.

L’économiste John Kay a mis au jour le principe de l’oblique après avoir observé que les entreprises les plus rentables semblaient viser un but plus lointain que la simple rentabilité. Dans son livre Built to Last, il montrait que les sociétés reconnues comme visionnaires ou engagées dans la poursuite d’objectifs particulièrement ambitieux engrangeaient davantage de profits que celles dont les buts étaient plus terre à terre.

Dans un environnement d’affaires complexe et incertain, le principe des objectifs obliques se révèle pertinent. Voici d’ailleurs comment Eric Schmidt, PDG de Google, a décrit les buts que poursuit son entreprise au cours d’une récente entrevue : « J’ai classé les objectifs de Google par ordre d’importance. D’abord, il s’agit de combler les attentes de l’internaute qui consulte notre moteur de recherche. Ensuite, c’est de le satisfaire avec les offres des annonceurs, puis de bâtir le réseau de partenaires qui nous permettra d’atteindre ces deux premiers objectifs. Enfin, c’est de quadriller tout le marché. J’ai alors compris que je n’atteindrais jamais mes propres objectifs en tant que PDG, qui sont d’accroître les profits et la valeur de l’action de l’entreprise en Bourse, à moins que les quatre objectifs globaux de l’entreprise ne soient réalisés. »

Cela étant, il ne faut pas confondre « objectifs obliques » et « gonflement démesuré de l’ego ». Enron est tristement célèbre pour avoir modifié sa vision d’elle-même, qui est passée de « la meilleure société de pétrole et de gaz naturel du monde » à «la meilleure société du monde». On connaît la suite…

Motiver les employés

Dans les années 1950, Douglas McGregor, professeur de management à la Sloan School of Management du Massachusetts Institute of Technology (MIT), a déterminé qu’il existait deux sources de motivation pour les employés. La théorie X reposait sur l’hypothèse que ceux-ci étaient paresseux de nature et avaient besoin de récompenses extrinsèques, principalement d’ordre financier, pour accomplir leur travail. Par contre, en vertu de la théorie Y, les employés étaient considérés comme des êtres ambitieux, capables de se motiver et sensibles aux récompenses intrinsèques, comme le sens de l’accomplissement. Cette distinction reste vraie de nos jours ; nous avons tous des motivations intrinsèques et extrinsèques au travail, et notre niveau de motivation varie selon notre personnalité et la nature de notre tâche.

Il est aussi reconnu que la plupart des gens fournissent un effort plus grand dans leurs activités bénévoles à l’extérieur du travail que dans celles pour lesquelles ils sont rémunérés. D’où cela vient-il ? Du fait qu’ils sont rémunérés ? De la façon dont ils sont rémunérés ? Du fait que leur travail est moins intéressant qu’une activité bénévole ? Il n’y a pas de réponse évidente à toutes ces questions. Néanmoins, une approche intéressante peut consister à trouver de nouveaux moyens pour augmenter la motivation intrinsèque au travail.

Prenons le cas de HCL, une mégasociété de services de technologies de l’information. Son PDG, Vineet Nayar, a pour devise : « L’employé passe avant le client », et est constamment à l’affût de nouvelles méthodes de management. Ainsi, il a créé un intranet qui permet à chaque employé d’exprimer ses préoccupations à propos de son travail, des dépenses de l’entreprise, de son poste, etc. Seul l’employé peut refermer ces boîtes de commentaires, et il le fera uniquement quand son problème aura été résolu. Vineet Nayar surveille le nombre de boîtes ouvertes, car il croit que cet outil représente un bon moyen d’évaluer la satisfaction au travail de son personnel.

Au fond, l’approche de Vineet Nayar consiste à traiter ses employés comme des clients que l’on veut fidéliser. « Nous gâtons nos employés, dit-il. Nous leur offrons un service cinq étoiles que la concurrence aura du mal à surpasser. En fait, nous créons une expérience unique pour tous les membres de notre personnel. »

Certes, il y aura toujours des postes peu motivants, et beaucoup de personnes préféreront toujours leurs moments de loisirs à ceux passés au travail. Cependant, toute entreprise a une marge de manœuvre pour améliorer la situation de ses employés. Exemple : corriger des bogues dans des lignes de programmation est une tâche ennuyeuse pour un informaticien. Les gestionnaires de Microsoft ont donc eu l’idée d’organiser à l’interne des concours de débogage, capitalisant sur l’esprit de compétition inné à l’être humain pour rendre ce travail un peu plus amusant…

Coordonner les activités

La plupart des grandes entreprises sont bâties à partir du modèle de la bureaucratie, à savoir à l’aide de règles et de structures formelles. Cela leur assure une constance dans leur fonctionnement et leur permet de se fixer des objectifs comme l’efficacité, la qualité et la réduction des pertes. Le hic, c’est quand il s’agit d’atteindre des objectifs difficilement quantifiables, comme l’innovation et le changement. Un autre principe s’impose alors : celui de l’émergence, c’est-à-dire la coordination spontanée d’employés indépendants qui poursuivent un même but.

Pour illustrer la différence entre la bureaucratie et l’émergence au sein d’une entreprise, faisons une analogie avec le milieu de la planification urbaine. De nombreuses municipalités ont récemment revu de fond en comble le plan de circulation de leur centre-ville afin d’harmoniser les déplacements des automobilistes, des cyclistes et des piétons. Pourtant, les circuits sont toujours aussi engorgés… En revanche, d’autres ont adopté des politiques différentes et ont décidé d’établir des plans moins précis. Ainsi, la société Drachten, aux Pays-Bas, s’est inspirée des idées de l’ingénieur allemand Hans Monderman sur le trafic ; elle a éliminé les feux de circulation, les passages piétonniers, les marques sur la chaussée et les pistes cyclables, et a plutôt créé un « espace partagé » pour tous les utilisateurs du réseau routier. Résultat : tout le monde s’est habitué à se montrer plus prudent, à tel point qu’aucun décès sur la route n’a été enregistré depuis sept ans et que la circulation est plus fluide que jamais !

Le parallèle avec le monde des affaires est évident : dans certaines circonstances, l’imposition de règles et de procédures ralentira l’entreprise, et des mesures inspirées du principe de l’émergence s’imposeront. Les exemples de cela sont nombreux. Ainsi, la firme de consultation stratégique Eden McCallum, de Londres, a innové en n’employant… aucun consultant ! Par souci de flexibilité, elle fait appel à une banque de 300 consultants à la pige sélectionnés selon le mandat à remplir. Quand un client approche cette firme, cette dernière établit une liste de consultants potentiels et laisse ensuite le client choisir lesquels il souhaite embaucher. Cela élimine le besoin de mettre en branle de lourdes procédures d’attribution de mandats aux employés et accroît la satisfaction du client, qui devient un intervenant actif plutôt que passif.

Attention, toutefois : le principe de l’émergence ne représente pas la solution miracle. Dans certains cas, la recherche de l’efficacité à court terme nuira à l’efficacité à long terme, ce qui peut s’avérer catastrophique pour une entreprise. Par exemple, imposer un roulement de personnel trop rapide à l’interne peut être contre-productif. D’ailleurs, une entreprise de pétrole et de gaz naturel a instauré une règle qui oblige les employés à occuper le même poste pendant au moins deux ans avant de pouvoir en changer.

Prendre des décisions

Le principe de la hiérarchie rend les gestionnaires responsables des décisions qu’ils prennent tout en leur donnant une autorité légitime sur leurs subordonnés. C’est en raison de leur expérience et de leur sagesse qu’ils sont investis d’un tel pouvoir. Le principe de la sagesse collective, lui, suggère que, dans certaines circonstances, l’expertise cumulée d’un grand nombre de personnes permet de faire de meilleures prévisions et de prendre des décisions plus éclairées. C’est ce qui a inspiré, entre autres, la méthode Delphi du centre d’études et de recherches Rand Institute ; on accumule les opinions d’experts indépendants dans le cadre d’un processus de réflexion dirigé, jusqu’à ce qu’on arrive à un consensus.

Ainsi, en 2003, Sam Palmisano a voulu revoir les valeurs fondamentales de la société qu’il dirigeait : IBM. Au lieu de faire appel à une unité d’élite qui aurait eu pour mandat de réfléchir à tout cela, il a invité l’ensemble du personnel à relever le défi. Durant 72 heures, 10 000 commentaires ont ainsi été mis en ligne sur un intranet. Puis, une petite équipe a dégagé les faits saillants, ce qui a mis au jour les nouvelles valeurs d’IBM : se vouer au succès de chaque client, trouver des innovations qui comptent à la fois pour l’entreprise et pour le monde entier, et encourager la confiance et la responsabilité personnelle dans toutes les relations d’affaires. L’impact sur le personnel a été phénoménal ; un cadre supérieur a même déclaré que « c’était comme observer un changement de culture d’entreprise en temps réel ».

La même chose s’est produite chez Infosys, un holding indien spécialisé dans les technologies de l’information qui a mis en place, dans les années 1990, un programme baptisé « Voix de la jeunesse ». Narayan Murthy, le président du conseil d’administration, avait alors décidé que cinq ou six des gestionnaires les plus talentueux âgés de moins de 30 ans siégeraient à tour de rôle au conseil d’administration et devraient commenter le mode de fonctionnement du groupe. Cela s’est traduit par plusieurs avancées, comme la création de méthodes de recrutement par le Web ou encore l’organisation d’événements spéciaux pour les jeunes familles des employés.

À la une

Filière batterie: le beau (gros) risque

Avec l’arrivée des géants de la batterie, Bécancour est au cœur du plus grand projet économique au Québec.

Pierre Fitzgibbon: «Dans la filière batterie, on est rendu trop loin pour reculer»

00:00 | Les Affaires

Le superministre a rencontré «Les Affaires» en table éditoriale afin de préciser sa vision de la filière batterie.

Table éditoriale avec le PDG de Northvolt: des batteries «made in Québec» avec du contenu d'ailleurs

En table éditoriale avec «Les Affaires», Paolo Cerruti affirme qu'il faudra être patient.