Devrons-nous nous soumettre à des standards technologiques chinois?


Édition du 09 Septembre 2020

Devrons-nous nous soumettre à des standards technologiques chinois?


Édition du 09 Septembre 2020

(Photo: 123RF)

CHRONIQUE. Dans les prochaines années, les entreprises canadiennes pourraient devoir se soumettre de plus en plus à des standards technologiques internationaux déterminés par la Chine communiste, du moins si sa nouvelle stratégie, China Standards 2035, qui s'appuie sur les grandes sociétés technologiques chinoises, livre la marchandise.

Cette stratégie est la suite logique de Made in China 2025, une autre stratégie chinoise adoptée en 2015, qui vise à développer en Chine des technologies, comme les voitures électriques, les nouveaux matériaux ainsi que les machines automatisées et la robotique.

Made in China 2025 est critiquée aux États-Unis et en Allemagne, car elle s'appuie sur l'acquisition de technologies occidentales. Selon des experts, elle est à l'origine de la guerre commerciale entre Pékin et Washington, de même que de l'adoption, en Allemagne, en 2019, d'une politique visant à protéger les fleurons nationaux.

China Standards 2035 est le fruit d'un projet de recherche de deux ans qui a débuté en 2018, dans lequel l'Académie chinoise d'ingénierie joue un rôle central. Les grands axes sont connus, même si Pékin n'a pas encore donné tous les détails.

Des normes mondiales

Dans l'analyse China Briefing, une publication de la firme hongkongaise Dezan Shira & Associates, explique que China Standards 2035 cherche à établir des normes mondiales pour des technologies stratégiques telles que la 5G dans les télécommunications, l'Internet des objets et l'intelligence artificielle.

Selon cette publication spécialisée en intelligence d'affaires, les multinationales doivent s'y préparer en raison de ses implications économiques.

«Bien que la politique complète n'ait pas encore été rendue publique, il est évident qu'elle propose des plans ambitieux pour que la Chine remodèle l'industrie technologique mondiale. En raison de son importance pour les principaux dirigeants chinois, les investisseurs étrangers devraient se familiariser avec les normes chinoises 2035, qu'ils opèrent ou non directement dans le secteur de la technologie.»

Les standards internationaux sont vitaux au fonctionnement de l'économie mondiale.

L'industrie de la technologie et d'autres industries utilisent des processus et des spécifications normalisés pour s'assurer que leurs produits fonctionnent presque partout dans le monde.

Les ampoules électriques et les normes standardisées pour l'utilisation presque universelle de la technologie Wi-Fi pour les réseaux sans fil en sont est deux exemples concrets.

Si chaque pays ou entreprise établissait ses propres normes, ses produits ne seraient pas compatibles avec ceux conçus par d'autres sociétés ou ne fonctionneraient pas sur les marchés étrangers, ou difficilement.

Depuis les débuts de la mondialisation des marchés, ce sont les principales puissances économiques (États-Unis, Europe, Japon, et, récemment, la Corée du Sud) et leurs fleurons industriels et technologiques qui déterminent ces standards internationaux.

Or, avec la renaissance économique de la Chine, cette domination des puissances économiques et technologiques établies est de plus en plus contestée par les Chinois qui veulent «siniser» les standards mondiaux.

Une refonte d'Internet?

Ce printemps, la Chine et son géant des télécommunications Huawei ont d'ailleurs proposé une «refonte» d'Internet à l'Union internationale des télécommunications, l'organisme international fondé en 1885 qui supervise les communications mondiales, selon le Financial Times de Londres.

Les Chinois font valoir que cette refonte permettrait de mieux intégrer les nouvelles technologies de la 5G.

Toutefois, selon des ingénieurs de système, cette proposition transformerait l'actuelle architecture libre et ouverte d'Internet en une architecture plus susceptible d'être contrôlée par les gouvernements, rapporte le quotidien nippon Japan Times.

Bien entendu, les puissances qui ont déterminé les normes actuelles, à commencer par les États-Unis, n'ont pas l'intention de se laisser détrôner si facilement.

Aux yeux de plusieurs analystes, les tensions entre Pékin et Washington à propos de la 5G sont d'ailleurs l'un des premiers fronts de cette bataille internationale pour déterminer des standards mondiaux dans les technologies de pointe.

Pour autant, nous sommes peut-être loin du jour où la Chine pourra imposer ses standards technologiques à la planète (si elle peut du reste y arriver), souligne le magazine Foreign Affairs.

D'une part, parce qu'à l'instar de la stratégie Made in China 2025, il y a beaucoup de propagande et de bombage de torse pour mobiliser la société et les entreprises chinoises dans cette nouvelle stratégie. D'autre part, parce que c'est avant tout l'innovation des entreprises privées qui déterminent les standards mondiaux.

Aussi, tant que les entreprises américaines, européennes, japonaises et sud-coréennes continueront d'innover, leur masse critique fait en sorte qu'elles continueront d'influer sur les normes mondiales que les entreprises utiliseront dans le monde.

Certes, la Chine pourra avoir une influence, car ses entreprises innovent de plus en plus, avec des produits à la fine pointe technologique.

En revanche, on voit mal comment Pékin pourrait imposer ses normes au reste de la planète.

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand