En ce mois de la prévention de la fraude, comment expliquez-vous que les criminels à cravate parviennent aussi facilement à leurs fins ?

Souvent, ce sont des employés clés qui fraudent l'entreprise ou le particulier. Leurs collègues ou leurs proches leur font confiance et ont une réaction de déni. Les spécialistes de la fraude ont un talent pour trouver des explications qui ont du sens. Ils exploitent justement ce réflexe des gestionnaires. Dans les dossiers de fraude, on entend souvent : " Il manque de l'argent. Je ne pense pas qu'il s'agisse de fraude : cet employé est honnête, c'est un chef comptable respecté de tous... " Ce déni nous fait perdre du temps, mais dans un sens, il s'explique, parce qu'on n'accuse pas si facilement quelqu'un qui est là depuis 20 ans.

Les entreprises et les investisseurs tardent donc à réagir ?

Souvent, oui. Dans le cas de Bernard Madoff, il y a eu des signes avant-coureurs de fraude dès 1992, mais c'est seulement en 2008 qu'il a avoué son crime. Généralement, le doute existe depuis plusieurs semaines avant que les gestionnaires ne se décident à agir, et on perd un temps précieux. Il ne faut pas se contenter d'explications invraisemblables. Plus le temps passe, plus l'argent sort du pays. Le fraudeur vole de plus en plus d'argent et il a tout le temps nécessaire pour le cacher. Résultat : les montants récupérés sont inversement proportionnels à l'ampleur du délit. Plus la fraude est importante, moins on récupère d'argent.

Que doivent faire les entreprises et les investisseurs dès qu'ils ont des soupçons ?

Il faut agir rapidement et discrètement. D'abord, il faut créer un comité d'intervention au sein de l'entreprise, dès qu'on éprouve les premiers doutes. Ce comité comprendra un nombre restreint de personnes : la pire chose qui puisse arriver, c'est que le fraudeur apprenne qu'on l'a repéré et qu'il dilapide le bien volé. Ensuite, il faut s'assurer de pouvoir constituer la preuve. Parfois, des entreprises font faire des copies miroirs des serveurs au cas où des fichiers compromettants seraient effacés. Ensuite, on engage des juricomptables qui pourront travailler de nuit, pour éviter d'éveiller les soupçons. Enfin, il faut rapidement demander l'aide des tribunaux pour saisir les biens du fraudeur ou geler ses actifs.