L'assemblage parfait

Publié le 13/02/2010 à 00:00

L'assemblage parfait

Publié le 13/02/2010 à 00:00

François Le Brasseur, président d'Elixirs, représentant de Fuzion auprès de la Société des alcools du Québec (SAQ), compare le succès phénoménal du vin argentin à celui... de Céline Dion et du Cirque du Soleil. " C'est parti du Québec et c'est en train de conquérir le reste du monde. Le Fuzion est numéro un au Canada, et même les Américains s'y intéressent. "

Le président d'Elixirs a été un peu le René Angelil de Fuzion. Tout comme la célèbre chanteuse, le vin avait du potentiel, mais sa réussite, la plus importante de l'histoire de la SAQ, est attribuable à un travail exemplaire de mise en marché, au flair, à la persévérance... et à un peu de chance. Le bon produit, au bon moment. Et une histoire qui ressemble, comme celle de la célèbre interprète de Charlemagne, à un conte de fée.

" Voulez-vous goûter à mes vins ? "

En juin 2001, après 10 ans passés à la maison Corby, François Le Brasseur décide de lancer sa propre entreprise de vin et de spiritueux. Il s'installe au sous-sol de sa résidence de Notre-Dame-de-Grâce et devient un des quelque 200 " agents promotionnels " québécois, comme on appelle ces intermédiaires entre les producteurs de vin et les tablettes de la SAQ. Il n'a rien à son inventaire, mais a beaucoup d'ambition.

Quelques jours plus tard, c'est la guigne : la SAQ annonce un moratoire de trois ans sur tous les nouveaux listings, ce qui signifie qu'aucun nouveau vin courant n'atterrira sur les tablettes, seulement les vins de spécialité, dont les ventes sont parfois modestes.

" Je pleurais dans mon salon ", raconte l'homme de 46 ans, dans ses bureaux du Vieux-Montréal, situés dans un édifice de pierres grises qui abritait jadis une prison pour femmes.

Il vivote avec un vin italien, transfuge de Corby, déjà listé à la SAQ. L'entrepreneur court les salons à la recherche d'occasions, ce qui l'amène cette année-là au plus important d'entre eux, Vinexpro, à Bordeaux. François Le Brasseur se promène parmi les 5 000 exposants du monde entier lorsqu'il est interpelé par un homme dans la cinquantaine, fébrile et intense : José Alberto Zuccardi. Originaire de la région de Mendoza, en Argentine, il raconte qu'il vient d'être abandonné par son agent québécois. Il a un vin inscrit sur la liste de la SAQ, un Merlot nommé Santa Julia, qui n'atteint pas les quotas de vente, et qui est menacé de disparaître des tablettes.

" Voulez-vous être mon agent ? Voulez-vous goûter à mes vins ? "

François Le Brasseur l'accompagne à son kiosque, attiré d'abord par sa présence sur la liste de la SAQ. Il goûte trois gammes de vin élaboré par Zuccardi.

- Do you like ? demande-t-il.

- Oui, répond François Le Brasseur.

Cette rencontre sera le début d'une fructueuse collaboration entre Elixirs et la famille Zuccardi.

Une préparation minutieuse

Au cours des trois années qui ont suivi, M. Le Brasseur et les Zuccardi préparent les appels d'offres de 2004. Il faut recommencer avec un tout nouveau produit. Ce qui restait des bouteilles de Zuccardi sur les tablettes, le Santa Julia, est bouchonné, et le listing, perdu.

Pendant ce temps, Elixirs vit de trois listings, un Italien, transfuge de Corby, ainsi qu'un Malbec et Les Jamelles, qui ont tous deux remporté une médaille d'or mondiale. Cette distinction leur donne accès aux tablettes de la SAQ, malgré le moratoire.

Le producteur et son agent décident de miser sur un vin d'entrée de gamme. Un soir, chez lui à N.-D.G., François Le Brasseur, sa femme et ses beaux-parents dégustent trois échantillons envoyés par l'Argentin. Ce sont des assemblages de deux cépages qui comprennent tous un Malbec, cépage authentique d'Argentine, mélangé soit à du Cabernet, soit à du Shiraz, soit à du Merlot. Des trois, la tablée est unanime pour désigner l'assemblage Malbec-Shiraz comme grand gagnant.

François Le Brasseur élabore un plan de mise en marché pour l'appel d'offres de janvier 2004. Les critères, qui vont de la notoriété d'un produit à sa qualité, en passant par l'évaluation gustative, sont rigoureux, exigeants, pointus. " J'étais prêt. Et nous avons été très bons. "

Sur la vingtaine de propositions qu'ils déposent lors de ces appels d'offres, six seront retenues, dont le Fuzion. Les dégustateurs de la SAQ sont conquis. " Mon contact à la SAQ m'a dit : ton produit a coté très fort sur tous les aspects. "

Dean Di Maulo, aujourd'hui directeur de la mise en marché des produits de spécialités de la SAQ, travaillait alors à la division des produits courants à l'époque de l'arrivée de Fuzion. " Après analyse, ce produit semblait vraiment intéressant et plutôt prometteur ", dit-il.

L'objectif la première année était de vendre 20 000 caisses de 12 bouteilles. La SAQ en vend 14 000 en trois mois et 140 000 en un an.

" Qui aurait pu imaginer un succès comme Fuzion ? " demande le chroniqueur et spécialiste du vin, Michel Phaneuf, pour qui d'autres produits similaires sur le marché auraient pu tout aussi bien connaître la même fortune. " Un succès comme cela, c'est une loterie. Et M. Lebrasseur a gagné l'équivalent de la 6/49 ", dit M. Phaneuf.

370 000 $

Minimum de ventes annuelles qu'un produit courant doit atteindre pour demeurer sur les tablettes de la SAQ.

( CV )

Nom: François Le Brasseur

Âge: 46 ans

Fonction: président

Entreprise: Élixirs

Après 10 ans à la Maison Corby, François Le Brasseur fonde Élixirs en 2001. L'entreprise de vin et spiritueux emploie aujourd'hui 14 personnes et fait partie des 10 principales agences du Québec, représentant près d'une quarantaine de produits réguliers et environ 200 produits de spécialité.

LES INGRÉDIENTS DE SON SUCCÈS

Un nom porteur

" Fuzion, c'est un nom simple, court, accrocheur, une étiquette moderne et design ", dit Dean Di Maulo, directeur de la mise en marché des produits de spécialités de la SAQ.

François Le Brasseur est conscient de l'importance de ces deux éléments dans la vente d'un produit, même le vin, qui se déclinait, il n'y a pas si longtemps, à coup de château-ceci et de château-cela. " Un message clair, sur une bouteille attrayante, c'est essentiel, dit-il : 60 % des consommateurs achètent d'abord une étiquette. Il y a des artistes qui en créent des fabuleuses. "

C'est dans cet esprit qu'il a demandé à l'agence montréalaise Paprika de concevoir l'étiquette d'un autre de ses grands succès : la gamme C'est la vie!, un vin de pays produit par Albert Bichot. Une étiquette de facture actuelle, mimant un croquis fait sur le coin d'une table. " Grâce à cette gamme, nous sommes sortis des sentiers battus et nous avons pris un risque important ", dit François Le Brasseur. Cela a été payant : 40 000 caisses vendues en 2009. Cette gamme est une des grandes réussites de l'année à la SAQ.

Un nectar au goût du jour

En choisissant l'assemblage Malbec-Shiraz, l'agent a eu la bonne intuition de ce que le consommateur québécois attendait.

" Fuzion est arrivé au bon moment, après les vins chiliens, dit le chroniqueur de vin Jean Aubry. Le mélange Shiraz, un cépage séducteur, et Malbec, plus sévère, a donné un vin agréable, charmeur, sucré, d'une richesse gustative... " Un assemblage savamment étudié qui n'est pas le fruit du hasard, ajoute le chroniqueur.

" Le produit a été bien travaillé par François Le Brasseur, dit Dean Di Maulo, directeur de la mise en marché des produits de spécialité à la SAQ. Par le producteur aussi : les Zuccardi ont étudié notre marché, nos goûts, ils ont voulu comprendre le Québec et ses consommateurs. "

Une gamme diversifiée

Au fil des ans, Elixirs a présenté d'autres produits dans la gamme Fuzion, un blanc, un rosé, un Reserva et un Malbec/Tempranillo organique, de sorte que même si les ventes de son produit d'origine, le Shiraz-Malbec, ont commencé à diminuer à partir de 2008, les ventes de l'ensemble de la gamme n'ont cessé d'augmenter. Elles ont atteint près de 300 000 caisses en 2009, des ventes de 31 millions de dollars. " Grâce à la diversification, nous maintenons notre volume ", dit François Le Brasseur.

Il a un autre vin dans sa mire, le Fuzion Gran Reserva, qu'il offrira à 15,95 $. " C'est le prix le plus élevé qu'on peut demander dans cette gamme ", dit-il.

Une mise en marché efficace

Le meilleur produit, au meilleur prix et à l'étiquette alléchante peut rester sur les tablettes de la SAQ s'il n'est pas appuyé par une campagne de promotion solide. Dès l'arrivée de Fuzion au Québec, Elixirs et la famille Zuccardi ont mis en place une machine promotionnelle, à coup de centaine de milliers de dollars.

Rien n'a été laissé au hasard : François Le Brasseur et ses vendeurs ont sillonné 95 % des 400 succursales de la province, ont fait goûter le vin aux vendeurs, puis aux consommateurs, ont acheté des heures de dégustation. Ils se sont assurés d'une bonne visibilité en achetant des têtes de gondoles et des bouts d'îlots (qui peuvent valoir de 100 à 150 $ pour cinq caisses), et pour le vin blanc, du temps dans les frigos. La famille Zuccardi investit de 5 à 10 % du montant brut des ventes dans la promotion de ses produits.

" Ils jouent bien leurs cartes en réalisant des promos continuelles et en offrant des rabais, dit le chroniqueur de vin Jean Aubry. Élixirs est agressif et très convaincant. "

Un excellent rapport qualité-prix

Lorsque François Le Brasseur sillonnait les succursales de la SAQ pour faire goûter Fuzion aux vendeurs, il leur demandait à quel prix la bouteille se vendait : de 14 $ à 18 $, répondaient-ils, soit 6 à 10 $ de plus que le prix réel. " Lorsqu'il est arrivé sur le marché, à 8,10 $, Fuzion était une vraie aubaine ", dit le chroniqueur Jean Aubry. Il l'est toujours six ans plus tard à 8,25 $. " Pour la SAQ, le rapport qualité-prix est le critère de sélection principal, dit Dean Di Maulo, directeur de la mise en marché des produits de spécialité.

Mendoza

Située au pied des Andes, bien irriguée, Mendoza est une des plus importantes régions viticoles d'Argentine. La production de vin est la principale activité économique de la région.

Fuzion diversifie ses produits et augmente ses ventes

Ventes de caisses de 12 bouteilles de Fuzion Shiraz-Malbec à la SAQ

2006 225 000

2007 250 000

2008 214 000

2009 162 000

2009 293 000*

*pour l'ensemble des produits Fuzion

Source : SAQ

martine.turenne@transcontinental.ca

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