«Dans certains pays, le tourisme pèse plus que le secteur financier» - Hubert Joly, président et chef de la direction de Carlson

Publié le 31/03/2012 à 00:00

«Dans certains pays, le tourisme pèse plus que le secteur financier» - Hubert Joly, président et chef de la direction de Carlson

Publié le 31/03/2012 à 00:00

Hubert Joly ne sait plus s'il est européen ou américain. Le président et chef de la direction de Carlson a tant fait la navette entre les deux continents qu'il en a intégré toutes les influences. Depuis 2008, il dirige Carlson, qui exploite 1 075 hôtels, 920 restaurants TGIF et la division voyage Carlson Wagonlit Travel. Je l'ai rencontré à Montréal, où il était invité par la Chaire de tourisme Transat.

DIANE BÉRARD - Comment un Français s'est-il retrouvé à la tête d'une multinationale américaine établie à Minneapolis ? Êtes-vous marié à une héritière Carlson ?

HUBERT JOLY - (rires) Pas du tout. Je suis entrée au Groupe Carlson par la filière française. En 2004, j'ai pris la direction de Carlson Wagonlit Travel (CWT), la division voyage du groupe. À l'époque, CWT était une coentreprise avec le groupe hôtelier français Accor. Pourquoi a-t-on pensé à moi pour diriger CWT ? Parce que le patron d'Accor fut un de mes clients alors que je travaillais chez McKinsey.

D.B. - Depuis 1985, vous avez déménagé quatre fois entre l'Europe et les États-Unis. Gérez-vous à l'européenne ou à l'américaine ?

H.J. - Il y a longtemps que j'ai cessé de me poser cette question. Je ne saurais vous dire si je suis davantage européen ou américain. De toute façon, lorsque vous dirigez un groupe mondial, ce n'est pas pertinent. Vous devez gérer à la fois de façon globale et locale. Globale, parce qu'au fond, lorsque vous dépassez la race et la nationalité, tous les humains partagent une communauté de valeurs. Par exemple, les valeurs judéo-chrétiennes et les valeurs bouddhistes s'avèrent relativement voisines. Diriger un humain, c'est diriger un humain. Il existe toutefois des particularités locales. Notre filiale hôtelière, Carlson Rezidor, est cotée à la Bourse de Stockholm. Après quelques séjours, j'ai réalisé que la culture scandinave repose sur le consensus. Je me suis adapté.

D.B. - Au-delà des bonnes intentions, le multiculturalisme demeure un défi pour les entreprises. Vous l'avez constaté en prenant la direction de Carlson Wagonlit Travel. Racontez-nous.

H.J. - CWT a des équipes européennes et américaines. En 2004, lorsque j'ai pris la direction, celles-ci ne travaillaient pas du tout ensemble. Elles ne se respectaient pas et se méfiaient l'une de l'autre. J'ai d'abord changé les individus avec lesquels nous ne serions jamais arrivés à rien. Puis, j'ai misé sur la mobilité pour ouvrir les esprits. J'ai envoyé les Français en séjour aux États-Unis et vice versa. Et puis, je me suis assuré que les uns et les autres travaillaient ensemble sur des projets communs.

D.B. - Vous estimez que le courriel nuit à un multiculturalisme harmonieux en entreprise. Pourquoi ?

H.J. - Un courriel traduit mal l'intention et les émotions derrière les mots. Si, en plus, vous ne maîtrisez pas la langue dans laquelle vous rédigez ce courriel, il ne peut en résulter que de la confusion. Un mot, un verbe mal employé, et c'est l'escalade. Imaginez un Français et un Italien qui maîtrisent mal la langue de l'autre et qui tentent de régler un dossier délicat par courriel... Il faut rétablir le face-à-face. Se rencontrer pour apprécier les qualités de l'autre et se comprendre. D'ailleurs, si la crise de 2008 a engendré une baisse des voyages d'affaires, ce n'est pas le cas de celle de l'automne 2011. Trop de situations complexes à gérer. À Athènes, par exemple, les hôtels sont pleins. Pour dénouer l'impasse financière de la Grèce, les représentants du FMI, de la Banque Mondiale et d'autres organisations internationales doivent se rencontrer face à face.

D.B. - En 2010, vous avez lancé le programme Ambition 2015. Le moment semble plutôt curieux...

H.J. - Vous savez, moi, le timing... J'ai pris la direction de Carlson 15 jours avant l'effondrement de Bear Stearns. Et j'ai présenté mon premier plan stratégique - l'embryon d'Ambition 2015 - le week-end de la faillite de Lehman Brothers.

D.B. - En quoi consiste Ambition 2015 ?

H.J. - Il s'agit d'une stratégie de type napoléonien : une application concentrée et rapide de la force en un point faible de l'adversaire. Là où plusieurs réduisent leurs dépensent et se replient, nous investissons. En 2011, nous avons ouvert 63 hôtels et nos revenus ont grimpé de 13 % par rapport à 2010. Deux ans après le début d'Ambition 2015, la moitié de nos 120 hôtels Radisson ont été rénovés. Nous investissons 1,5 milliard de dollars en Amérique du Nord, seulement pour rénover et construire des hôtels.

D.B. - Ambition 2015 s'attaque aussi au problème de positionnement de la marque Radisson. Quel est-il ?

H.J. - Notre marque a évolué dans une direction aux États-Unis et dans une autre en Asie et en Europe. Nos hôtels Radisson américains se situent dans le milieu de gamme. Leurs concurrents se nomment Double Tree et Crown Plaza. En Asie et en Europe, le produit Radisson se mesure plutôt aux Sofitel et aux Westin de ce monde. Une marque, deux positionnements, c'est loin d'être idéal. Nous avons réglé la question avec le lancement de la marque Radisson Blu, à Chicago, en novembre 2011. Il y aura désormais des Radisson classique et des Radisson Blu qui, eux, seront en concurrence avec les Sofitel de ce monde. Il va sans dire que nos hôtels asiatiques et européens seront renommés Radisson Blu. Terminée, la confusion.

D.B. - Parlant de stratégie, les sites qui vendent des chambres au rabais, sont-ils vos alliés ou vos ennemis ?

H.J. - Sachez d'abord qu'on y vend une toute petite portion de nos nuitées, à peine 6 %. Le reste, nous le conservons pour nous, pour le vendre sur radisson.com. Bien que nous ayons des partenariats officiels avec ces sites, ceux-ci ne font pas l'unanimité chez les hôteliers. Nous sommes conscients de la nécessité d'une stratégie de distribution multiple. Mais on ne va tout de même pas brader les chambres de notre magnifique Radisson Blu de Chicago. Notre relation avec ces sites est complexe.

D.B. - Les transporteurs aériens traversent des moments difficiles et cela vous nuit. Quel pouvoir avez-vous pour réagir ?

H.J. - Nous pouvons les aider à remplir leurs avions en concevant des offres attirantes. Une tactique qu'emploie Coca-Cola lorsqu'elle achète un îlot dans un supermarché ou une grande surface comme Walmart. L'îlot Coca-Cola crée de l'achalandage. Nos offres hôtelières, elles, peuvent contribuer à ce que certaines destinations continuent à être desservies.

D.B. - Qu'en est-il de votre présence dans les pays émergents ?

H.J. - En Inde, on a créé un ministère de l'urbanisation, de l'élimination de la pauvreté et du tourisme. C'est dire l'importance du tourisme comme ascenseur social. Mais cela n'est pas sans défi. Il faut former la main-d'oeuvre aux exigences de notre secteur, mais aussi lui enseigner des compétences générales, comme la langue.

D.B. - Quelle tendance vous pose le défi le plus important ?

H.J. - La sous-estimation de la contribution du tourisme par les gouvernements. Saviez-vous que, dans certains pays, le tourisme contribue pour 10 % au PIB ? Une contribution souvent plus importante que celle du secteur de l'automobile ou de la finance. Pourtant, très peu d'États ont créé un ministère du tourisme. Le Québec en a un, et je m'en réjouis !

LE CONTEXTE

Le 20 mars, le gouvernement Charest a déposé un budget qui fait la part belle au secteur du tourisme en y investissant 61,1 M$ sur trois ans. Carlson est un des plus grands groupes touristiques du monde, avec des revenus de 38 milliards de dollars. Depuis deux ans, il déploie une stratégie de développement agressive.

SAVIEZ-VOUS QUE

Hubert Joly siège à un comité du président Obama pour faciliter l'obtention de visas pour les touristes chinois et brésiliens.

«En Inde, on a créé un ministère de l'urbanisation, de l'élimination de la pauvreté et du tourisme. C'est dire l'importance du tourisme comme ascenseur social. Mais il faut former la main-d'oeuvre aux exigences de notre secteur, et lui enseigner des compétences générales, comme la langue.» - Hubert Joly, de Carlson

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