Banques : Joseph E. Stiglitz vante le système canadien

Publié le 29/04/2010 à 14:00

Banques : Joseph E. Stiglitz vante le système canadien

Publié le 29/04/2010 à 14:00

Par François Normand

L'économiste américain Joseph E. Stiglitz ne ménage pas ses mots. Photo : Bloomberg

L'économiste américain Joseph E. Stiglitz ne ménage pas ses mots pour écorcher Wall Street, l'administration de George W. Bush (2000 à 2008), et n'épargne pas non plus le président Barack Obama, qu'il estime trop frileux dans ses réformes du système financier américain.

C'est de cette manière que le professeur de l'Université Columbia décortique les origines de la crise financière qui a secoué le monde en 2008-2009, dans son plus récent livre, Le triomphe de la cupidité.

Nous l'avons joint récemment à New York pour discuter de son essai et d'autres enjeux économiques.

Les Affaires - Quelle évaluation faites-vous de ce qu'a fait et de ce que compte réaliser l'administration du président Barack Obama pour réformer le système financier ?

Joseph Stiglitz - Peu de choses ont été faites, et le plan de relance des banques a été bâclé. Il a même exacerbé les problèmes, en laissant les grandes banques devenir plus importantes encore, plus concentrées. Pendant ce temps, nous avons négligé les banques plus petites, qui sont pourtant au coeur du système bancaire, pour accorder des prêts, notamment aux PME. En 2009, 141 petites banques ont fait faillite, et ce nombre pourrait être encore plus élevé cette année. La fragilité des petites institutions, qui soutiennent les PME, continue d'ailleurs d'hypothéquer la création d'emplois aux États-Unis.

L.A. - Pour réduire les risques de crise financière, seriez-vous en faveur d'une nouvelle séparation des métiers de banque de dépôt et de banque d'investissement, comme l'avait fait le Glass-Steagall Act aux États-Unis en 1933, mais qui a été depuis aboli ?

J.S. - Oui, c'est nécessaire, mais nous ne pouvons pas faire renaître tout simplement le Glass-Steagall Act: le système financier du 21e siècle est fort différent de celui qui existait dans les années 1930. Cela dit, la notion de séparation des métiers de banquier, comme le suggère Paul Volcker, un ancien président de la Réserve fédérale américaine (Fed) et conseiller de Barack Obama, est fondée. Par exemple, il ne faut pas que les institutions de dépôt fassent de la spéculation. C'est pourquoi il est important que les gouvernements fassent quelque chose en ce sens.

L.A. - Vous dites qu'une réelle réforme du système financier est impossible sans une réforme du financement des partis politiques, qui permet à Wall Street d'atténuer l'impact des lois qui encadrent ses activités. Or, aucune réforme politique n'est prévue; la bataille pour réformer la finance est-elle perdue d'avance ?

J.S. - Je suis effectivement un peu pessimiste quant à la portée qu'aura la réforme du système financier que veut accomplir Barack Obama. Malgré tout, il y a de l'espoir. La réaction politique aux excès des grandes banques américaines a été très forte. C'est pourquoi des réformes pour mieux encadrer le système financier sont encore possibles. La pression populaire, que les politiciens doivent considérer, peut contrer le lobbying de Wall Street pour tenter de tuer dans l'oeuf tout projet de réforme.

L.A. - Depuis la crise, le premier ministre du Canada, Stephen Harper, présente le système bancaire canadien comme un modèle à suivre. Êtes-vous d'accord ?

J.S. - C'est clair que le système bancaire canadien a permis de mieux gérer la crise financière que le système américain, car il est encadré par une meilleure réglementation. Mais il y a une nuance à faire. Le Canada n'occupe pas la même position que les États-Unis : il n'est pas au coeur du système financier mondial. Aussi, les défis du système américain sont plus difficiles à surmonter. Cela dit, le Canada et d'autres pays, comme l'Australie et l'Espagne, montrent qu'on peut avoir une bonne réglementation tout en ayant un système bancaire dynamique et efficace. C'est la grande leçon à tirer, une leçon qui se veut une réponse à ceux qui affirment que la réglementation étouffe l'innovation. Une bonne réglementation aide plutôt à innover et à stimuler la croissance économique !

LE VOLTAIRE DE L'ÉCONOMIE

Franc-tireur, frondeur, vulgarisateur, Joseph E. Stiglitz est devenu un des économistes les plus célèbres.

Professeur d'économie à l'Université Columbia, il a publié plusieurs livres d'économie. Certains sont devenus des classiques comme la Grande Désillusion (2002), un brûlot où Stiglitz pourfend les politiques du Fonds monétaire international (FMI) qui aggravent souvent, selon lui, les problèmes des pays en voie de développement.

Économiste de centre-gauche et démocrate dans l'âme, il a remporté le prix Nobel d'économie en 2001, ce qui l'a fait connaître rapidement et lui a permis d'accroître le nombre de ses partisans... et de ses détracteurs, surtout à droite.

Ce qui fait la force de M. Stiglitz, c'est son parcours théorique et ses réalisations. De 1995 à 1997, il a présidé le Council of Economic Advisors (une institution qui conseille le président américain) sous l'administration de Bill Clinton. Il a également été vice-président et économiste en chef de la Banque Mondiale de 1997 à 2000, et ce, en pleine crise asiatique.

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