Des modèles inspirants

Publié le 03/02/2012 à 00:00, mis à jour le 02/02/2012 à 15:09

Des modèles inspirants

Publié le 03/02/2012 à 00:00, mis à jour le 02/02/2012 à 15:09

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D’abord conçus pour optimiser le travail à la chaîne, les principes du système de production Lean peuvent également s’appliquer à l’industrie du savoir. Vous en doutez ? Vous ne devriez pas. Voici pourquoi.

Auteurs : Bradley R. Staats et David M. Upton, Havard Business Review

EN MATIÈRE D’ORGANISATION DU TRAVAIL, le système Toyota est sans doute l’invention la plus importante depuis la chaîne de montage automobile conçue par Henry Ford pour son modèle T. Il a fait école, et les nombreuses approches qui en ont découlé sont toutes fondées sur les mêmes principes : une attention constante apportée aux détails, une expérimentation empirique et une autonomisation de la main-d’œuvre qui a pour objectif l’efficacité continue et l’élimination du gaspillage. L’expression « production lean » est souvent utilisée pour désigner l’ensemble de ces concepts.###

Cependant, les tentatives d’application de ces idées au domaine du savoir se sont heurtées à de nombreuses difficultés. Dans le monde des affaires, on ne croit pas que ces principes puissent s’appliquer aux activités intellectuelles, car, contrairement au travail à la chaîne, elles ne sont pas répétitives et ne peuvent être définies clairement. Par exemple, le travail du banquier qui se demande s’il doit accorder un prêt, celui de l’ingénieur qui met au point un nouveau produit, ou celui du travailleur social qui doit déterminer si l’environnement d’un enfant est sûr : dans chaque cas, ce travail exige une expertise et un discernement qui résultent de connaissances tacites, que le travailleur en question est le seul à posséder.

Toutefois, nos recherches dans les domaines des technologies de l’information, des finances, de l’ingénierie et des services juridiques révèlent que le travail intellectuel peut en fait bénéficier de l’application des principes du système de production Toyota. En effet, une grande partie du savoir des experts, que l’on croit tacite, peut être divulguée et consignée par écrit, si toutefois l’entreprise fait un effort en ce sens. En outre, tout travail intellectuel comprend des aspects qui n’ont rien à voir avec le jugement et qui peuvent être optimisés, si l’on forme les employés à débusquer et à éliminer tout gaspillage dans leurs activités. Même quand le savoir est réellement tacite, la mise en œuvre de systèmes et de règles ayant pour but de codifier les interactions entre les membres du personnel peut se traduire par des collaborations plus fructueuses.

Nous en sommes venus à la conclusion que les principes de production Lean peuvent s’appliquer, du moins en partie, à des travaux intellectuels de toutes sortes et donner des résultats significatifs : une amélioration du temps de réponse, de la qualité et de la créativité, une réduction des coûts, des corvées et du sentiment de frustration, et une plus grande satisfaction au travail.

L’aventure Lean de Wipro

L’étude la plus poussée que nous avons réalisée sur la mise en œuvre des principes Lean porte entre autres sur une initiative ambitieuse de Wipro Technologies, une des entreprises de produits et services de TI les plus importantes du monde, dont le siège social est situé à Bangalore, en Inde. Cette société compte plus de 100 000 employés, dans 72 centres répartis dans 55 pays.

Au sein de l’entreprise, nous nous sommes intéressés à la conception de logiciels complexes produits sur mesure, une activité qui n’a strictement rien à voir avec le travail à la chaîne. Les projets sont confiés à des équipes dont les membres sont choisis en fonction des compétences requises pour réaliser les tâches qui varient de la création d’un logiciel pour commander un boîtier décodeur à la conception de nouvelles plateformes de commerce électronique. De la même façon qu’une équipe d’avocats qui se consacrent à une affaire juridique d’envergure réunit des experts au savoir-faire varié, chez Wipro, une équipe de production de logiciels rassemble des individus aux expériences très diverses. Certains sont chevronnés, d’autres sont des novices. Certains sont des spécialistes, d’autres, des généralistes. Certains supervisent et assurent du soutien, d’autres réalisent le travail. À force d’échanges et d’essais, ils trouvent des solutions.

En 2004, les dirigeants de Wipro ont commencé à s’intéresser aux diverses applications de l’approche Lean dans le processus de fabrication. Ils ont passé en revue tous les écrits à leur disposition, visité des usines Lean et consulté un ancien gourou de Toyota. Ils ont ensuite discuté de la façon de mettre en pratique ce qu’ils avaient appris. Chaque dirigeant a choisi un projet existant dans l’entreprise sur lequel tester ses idées. Progressivement, ils ont pu déterminer les pratiques qui produisaient de bons résultats.

Nous avons étudié leurs démarches depuis le début et analysé les résultats de quelque 1 883 projets qui comportaient tous l’ingénierie de produits complexes ou la recherche de solutions technologiques. Une approche Lean a été utilisée dans 772 projets, alors qu’elle ne l’était pas dans 1 111 projets. Nous avons aussi observé plusieurs projets Lean en cours de réalisation.

Les projets Lean n’ont pas mieux performé sur le plan de la qualité (défauts ou erreurs) des produits, sans doute parce que les normes de l’entreprise étaient déjà strictes. Mais les effets sur le temps de production et sur les coûts ont été spectaculaires. En moyenne, les projets Lean ont été réalisés en moins de temps que le temps prévu (5 %). En général, les autres projets ont respecté les délais d’exécution prévus. De plus, les projets Lean ont coûté 9 % de moins que le budget prévu, alors que les autres projets ont coûté 2 % de moins seulement.

Grâce à la recherche menée chez Wipro, nous avons pu définir six principes qui permettent d’optimiser les activités intellectuelles. Les dirigeants pourront s’en inspirer pour mettre au point l’approche sur mesure qui conviendra le mieux à leur entreprise.

Éliminer le gaspillage

Selon Taiichi Ohno, le principal architecte du système Toyota, il existe sept sources de gaspillage qu’il faut s’efforcer d’éliminer de tout processus de fabrication : la surproduction, le transport inutile, les inventaires et les déplacements des travailleurs, les défauts de fabrication, la transformation excessive et le temps d’attente. Ces sources de gaspillage sont présentes en grand nombre dans tous les endroits où opèrent les travailleurs du savoir. En effet, les activités intellectuelles comprennent de nombreuses tâches routinières — imprimer des documents, demander les renseignements nécessaires à une prise de décision, organiser des réunions, pour ne nommer que celles-là — qui ne nécessitent ni discernement ni savoir-faire et qui sont chronophages.

Nous avons constaté que les travailleurs du savoir sous-estiment de beaucoup la quantité de choses inefficaces qui pourraient être éliminées de leur travail. D’où l’importance de mobiliser tous les membres d’une entreprise pour faire la chasse au gaspillage et trouver des solutions.

Les « cinq pourquoi ». Le gaspillage est évident une fois que l’on en a pris conscience, mais le débusquer, surtout quand il fait partie intégrante du travail depuis longtemps, n’est pas toujours chose facile. Pour y parvenir, le mieux est encore de présumer que l’approche utilisée jusqu’à présent n’est pas la bonne. C’est ainsi que les dirigeants de Toyota ont conçu la méthode de résolution des « cinq pourquoi », qui permet de remonter à la source d’un problème en se posant une série de questions. Par exemple, « Quelle est la raison de ma participation à cette réunion ? », « Pourquoi dois-je rédiger ce rapport ? » ou « Pourquoi suis-je en train de perdre du temps près de l’imprimante ? ».

Faire la guerre aux gaspillages, petits et gros. En général, les sources importantes et évidentes de gaspillage ont été éliminées des entreprises en bonne santé économique. Mais souvent, dans les services qui emploient les travailleurs du savoir, des sommes non négligeables sont jetées par les fenêtres en raison de petits gaspillages auxquels personne ne fait attention. Pensez à votre environnement de travail. Combien de courriels surchargent inutilement votre boîte de réception parce que quelqu’un a cru bon de mettre votre nom en copie conforme ? Combien de réunions planifiées commencent systématiquement en retard parce que les participants se font attendre ? Combien de rapports sont produits alors que personne ne les lira jamais ?

Une des équipes observées chez Wipro pendant l’expérience Lean savait qu’elle devait débusquer les petites sources de gaspillage, mais ne savait pas vraiment comment s’y prendre. Pour enclencher le processus, elle a décidé de dresser une carte de la chaîne de valeur, un outil qui permet non seulement de détailler toutes les étapes d’un projet, mais aussi de déterminer la valeur ajoutée et les sources de gaspillage. Pour y parvenir, chaque membre de l’équipe doit avoir une bonne idée de toutes les étapes d’un processus et s’interroger sur leur raison d’être. Ainsi, on peut établir une liste des éléments qui doivent être éliminés en priorité.

L’équipe concevait des pilotes d’imprimante, des logiciels qui permettent de contrôler les imprimantes. Au fur et à mesure que les employés écrivaient de nouveaux codes, ils devaient les tester sur une imprimante. Cartographier la chaîne de valeur a permis de mettre en lumière plusieurs sources de gaspillage. Par exemple, quatre personnes qui utilisaient la même imprimante attendaient souvent près de la machine, pendant que les documents des autres sortaient de l’imprimante. Par ailleurs, les différents usagers qui l’utilisaient à tour de rôle passaient beaucoup de temps à la régler pour leurs besoins respectifs. Enfin, l’imprimante étant installée à un autre étage, ils passaient leur temps à monter et à descendre les escaliers, des allers-retours de cinq à dix minutes.

Après avoir mis ces pertes de temps en évidence, l’équipe a décidé d’installer une imprimante au même étage et d’accorder des tranches horaires à chaque usager, un petit changement qui, associé à beaucoup d’autres, a permis à chacun de consacrer plus de temps à son travail en tant que tel.

Repenser régulièrement les tâches et la structure de chaque emploi. La plupart des tâches que doivent accomplir les travailleurs du savoir sont vastes et peu structurées. Elles ont tendance à se multiplier, ce qui entraîne du surmenage et une augmentation du temps dévolu aux activités de peu de valeur.

Les dirigeants devraient réévaluer les tâches de chaque employé régulièrement, y compris le temps consacré à chaque tâche. Une entreprise de développement de produits a effectué une telle évaluation : la multiplication des tâches, leur non-priorisation et l’estimation erronée de ce qui constituait une charge de travail acceptable étaient devenues évidentes. Les ingénieurs de l’entreprise avaient deux fois plus de travail qu’ils ne pouvaient en réaliser. Tout cela se traduisait par des goulots d’étranglement, des changements de tâches, des retards et de l’épuisement professionnel. L’entreprise a donc réduit la charge de travail des ingénieurs afin que personne ne travaille à plus de 100 % de ses capacités. Tout le travail planifié ne pourrait être réalisé, et les dirigeants ont dû faire des choix difficiles. Cependant, la productivité des employés et leur degré de satisfaction se sont améliorés.

Définir les tâches

Rédiger dans le détail la manière précise d’accomplir une tâche, en en définissant la nature, l’ordre de sa réalisation, le temps que l’on y consacre et le résultat escompté, a donné de nombreux résultats sur le plan de la rentabilité dans les entreprises de fabrication. Cela permet de comparer la description à la réalité. Si la description et l’exécution ne correspondent pas, l’entreprise saura déceler un problème dans la mise en œuvre du processus ou dans le processus lui-même et pourra y remédier.

À première vue, cette pratique ne semble pas s’appliquer au travail intellectuel. Mais une quantité surprenante de savoir peut en fait être spécifiée. Une fois le travail clairement défini, il peut être sans cesse amélioré.

Déceler et codifier les tâches répétitives. Presque tous les domaines dans lesquels les tra¬vailleurs du savoir exercent leurs activités ont des aspects communs. Chez Wipro, les équipes avaient de la difficulté à décrire le processus d’écriture des codes : chaque situation était différente et réclamait des solutions nouvelles et uniques. Lorsqu’elles se sont posé la question de savoir quelles étapes du processus elles répétaient régulièrement, elles ont constaté que les tâches répétitives à l’intérieur d’un même projet et dans d’autres projets (l’évaluation par les pairs, l’intégration quotidienne de tous les codes dans le programme, les tests et l’évaluation de la clientèle) étaient multiples, et qu’elles pouvaient donc être uniformisées.

Inutile de tout spécifier. Certaines tâches sont si rares qu’elles ne valent pas la peine qu’on les décrive. Certains problèmes sont si épineux qu’il faut l’intervention d’experts pour les résoudre. Pourtant, dans les deux cas, certains des éléments peuvent être spécifiés.

Prenons le cas de cette banque japonaise qui voulait accroître ses activités de prêts hypothécaires résidentiels. Elle avait découvert que l’emploi d’analystes du crédit chevronnés était trop ardu et trop coûteux. Ses dirigeants décidèrent alors d’étudier soigneusement les décisions prises jusque-là dans l’octroi des prêts afin d’en tirer des règles qu’ils pourraient intégrer à leur système informatique. L’intégration des règles au système n’a pas eu pour effet d’éliminer totalement l’emploi de spécialistes, qui devaient intervenir dans les cas complexes ou inusités, mais la plupart des demandes pouvaient dès lors être traitées automatiquement, ce qui a permis un accroissement rapide et peu risqué des activités hypothécaires de la banque.

Convaincre avec des données. L’un des grands avantages de la codification des tâches répétitives est le temps récupéré pour effectuer des parties du travail créatrices de valeur. Pourtant, un très grand nombre de spécialistes persistent à croire que leurs tâches ne peuvent être explicitées. Par exemple, même si la codification du savoir peut avoir des effets bénéfiques en médecine, nombreux sont les docteurs qui s’y opposent vigoureusement, alléguant que leur jugement et leur expertise ne peuvent être réduits à une simple série de règles.

La réussite du processus de spécification dépend pour beaucoup de l’engagement des travailleurs, c’est pourquoi il est crucial de venir à bout d’une telle résistance. Mais pour y parvenir, il faut faire la preuve de l’efficacité de son processus. Chez Wipro, on a bien compris cela, et les effets de la spécification des tâches sur la performance ont donc été suivis de près. Très vite, on s’est rendu compte que la codification des tâches était bénéfique pour les projets qui avaient pris du retard. En se servant des données démontrant les améliorations, les dirigeants ont pu convaincre d’autres collaborateurs de l’efficacité de la démarche.

Analyser sans relâche, même ce qui est tacite. Ce qui ne peut être décrit aujourd’hui pourra peut-être l’être demain. Ce qui est inusité peut devenir monnaie courante. Avec le temps, il est possible d’avoir une meilleure compréhension de problèmes complexes.

Communiquer de manière structurée

Communiquer de manière efficace est un impératif quand un grand nombre de personnes sont engagées dans un processus. Surtout lorsque les membres d’une même équipe sont disséminés un peu partout dans le monde. Un système Lean peut favoriser une bonne communication s’il détermine clairement les moyens d’y parvenir. Voici comment :

Qui, quoi et quand. Les travailleurs du savoir doivent comprendre à qui leur travail profite. Quand le fournisseur de travail est en contact direct avec le « client » (généralement quelqu’un de la même équipe), la collaboration est possible et les deux peuvent s’assurer que les résultats répondent aux attentes. Une communication régulière, qui génère un flot régulier d’informations, peut permettre de repérer les problèmes éventuels de manière précoce et de les régler. Quand la communication est claire, quand tout le monde reçoit l’information dont il a besoin, personne ne perd de temps à essayer de comprendre ce que les autres veulent dire.

L’un des outils dont Wipro s’est doté pour faciliter la communication est une matrice de type DSM (Design Structure Matrix). Les différentes tâches d’un projet ont été répertoriées dans les rangées et les colonnes de la matrice, et chaque relation a été analysée par les membres de l’équipe qui indiquaient si elle était liée aux autres par une dépendance directe ou par une boucle de rétroaction. Par un calcul d’algèbre matriciel, on pouvait alors recommander l’ordre dans lequel les tâches devaient être accomplies. Pour éviter un calcul mathématique complexe, Wipro a opté pour un tableur à la portée de tous. D’un simple clic, le programme pouvait classer les tâches, déterminer les interactions entre les membres d’une équipe et le moment auquel elles devaient avoir lieu.

Sur la même longueur d’onde. De plus en plus, les travailleurs du savoir sont amenés à former des équipes qui dépassent les frontières géographiques, culturelles, linguistiques et fonctionnelles. Leur interprétation de ce qui est communiqué peut donc varier. Les mêmes mots peuvent avoir des significations différentes, selon les individus. Prenons l’exemple d’une entreprise américaine et de son fournisseur indien de technologies de l’information. Nous avons été témoins d’un échange entre les deux qui comportait une question simple en apparence : « Pouvez-vous faire ce travail pour telle date ? » Pour les employés de l’entreprise américaine, les choses étaient claires : oui, c’est oui, et non, c’est non. Quand une échéance n’est pas respectée, ils se sentent en droit de taper du poing sur la table. Mais les employés indiens ont une façon si indirecte de dire non que leurs vis-à-vis américains croyaient entendre oui. Lorsqu’ils soulevaient un problème, ils le présentaient en des termes si doux que les travailleurs américains, peu habitués à de telles subtilités, les ignoraient tout bonnement. La communication entre les deux groupes avait beau être structurée — les mises à jour entre certains services spécifiques étaient fréquentes et consacrées à des sujets prédéterminés —, le message ne passait pas. De cette expérience, l’entreprise américaine a appris que toute nouvelle relation avec un fournisseur devait faire l’objet d’une mise au point sur la façon de communiquer du nouveau partenaire.

Des faits, non des opinions. Un des projets Lean de Wipro illustre parfaitement tout le défi que représente l’instauration d’une communication claire entre les membres d’une équipe, et tous ses avantages aussi. L’équipe en question avait mis en place un système d’évaluation selon lequel des membres chevronnés de l’équipe évaluaient régulièrement les codes de logiciels écrits par ses membres les moins expérimentés. L’évaluateur n’était jamais le même. Grâce à ce système, l’équipe souhaitait exceller dans la recherche et la résolution de problèmes, aider les moins expérimentés à s’améliorer et favoriser les échanges entre les membres de l’équipe. Malheureusement, les évaluateurs n’utilisaient pas les mêmes normes et présentaient leurs évaluations de manière fort différente. Ce que l’un considérait comme juste pouvait être vu comme erroné par un autre. Même quand ils s’entendaient sur ce qui constituait une erreur, ils ne nommaient pas celle-ci de la même façon. L’absence de normes et la mauvaise communication jouaient sur le moral des travailleurs évalués.

Un des évaluateurs a compris le problème et a demandé à en discuter avec le reste de l’équipe. Le groupe a compris que l’occasion lui était donnée de normaliser tant la communication que le travail de base. Une liste des erreurs les plus communes a été dressée à l’attention des évaluateurs. L’exercice a permis à l’équipe de s’apercevoir que ce qui était souvent considéré comme des imprécisions (la définition des variables ou des problèmes d’intégration des explications dans le code) posait en fait de véritables problèmes. Toutes les erreurs pouvaient être corrigées une fois qu’elles étaient reconnues.

Le langage au sein de l’équipe est devenu si précis que même un ordinateur pouvait le comprendre. Avec le programme d’écriture de codes, on a pu évaluer systématiquement l’exactitude du travail et repérer les erreurs

Finalement, on consacra moins de temps à débattre de ce qui constituait une erreur et plus de temps à en prévenir l’apparition. Il en a résulté une baisse considérable du nombre d’erreurs dans le service.

Agir rapidement et directement

L’un des objectifs fondamentaux du système de production Toyota est de faire de tout processus de production un véritable moteur de résolution de problèmes. Une approche scientifique est au centre de ce moteur. On commence par poser une hypothèse explicite et mesurable à propos d’un aspect du travail qui pourrait être amélioré, puis on teste cette hypothèse de façon objective et, si les données corroborent l’hypothèse, on fait de l’approche choisie une norme. Mais ce n’est pas tout.

Lorsqu’un problème se présente, la personne qui l’a causé doit le régler. Au travail, les problèmes surviennent quand le processus est mauvais ou que l’employé fait une erreur. Dans les deux cas, demander à l’employé concerné de participer à la résolution du problème permet généralement de trouver des solutions plus rapidement, car ceux qui sont les plus proches du problème sont généralement ceux qui en savent le plus à son sujet. Quand c’est impossible, l’employé devrait prendre part à la mise en place de la solution. Chez Wipro, par exemple, les membres les plus expérimentés de l’équipe des logiciels vérifiaient les codes de logiciels écrits par les novices. En cas d’erreur, les novices, et non les experts, avaient la responsabilité de corriger la situation, avec l’aide, au besoin, des experts. Ainsi, les novices savaient qu’ils avaient fait une erreur et en comprenaient la cause, ce qui réduisait la probabilité d’erreurs similaires à l’avenir.

Résoudre les problèmes là où ils surgissent. L’emplacement aide toujours à comprendre le contexte. Sans cette information, ceux qui tentent de résoudre un problème ne pourront pas reproduire les événements et ne parviendront pas à le régler.

Certains membres de l’équipe Wipro que nous avons observés étaient chargés de tester un logiciel sur le site d’un client américain. D’autres membres, en Inde, avaient la responsabilité de corriger toute anomalie. Les membres de cette équipe travaillaient non seulement à des emplacements différents, mais aussi dans deux fuseaux horaires. Le premier groupe dormait quand le deuxième était au travail. Parfois, il était impossible pour les ingénieurs indiens de reproduire les erreurs qui avaient été détectées par leurs collègues américains, et donc de les corriger. Finalement, ils ont demandé au groupe américain de produire des vidéos sur Internet pour enregistrer les étapes de leur travail et les configurations du système qui avaient causé l’erreur. Les ingénieurs indiens ont pu déterminer les causes du problème et le régler.

Résoudre les problèmes dès qu’ils surgissent. Plus l’information concernant un problème est récente, moins elle est sujette aux distorsions et plus il est facile d’en trouver la cause. S’attaquer au problème sans tarder, c’est aussi profiter de la situation pour en tirer des enseignements. C’est d’ailleurs pourquoi les travailleurs des chaînes de montage de Toyota tirent l’alarme (littéralement) dès qu’un problème survient.

Planification progressive du changement

Appliquer les principes Lean aux activités du savoir, ce n’est pas simplement copier les outils qui ont fait leurs preuves dans le secteur manufacturier. Pour innover, il faut avoir recours à une multitude d’outils. Vous n’y parviendrez pas toujours la première fois, mais avec le temps, vous pourrez mettre en place un système d’amélioration continue.

Commencer par de petits projets. Pour savoir si les principes du Lean étaient viables, Wipro a lancé dix projets pilotes. Quand huit d’entre eux ont montré des résultats prometteurs, l’entreprise a chargé son service de la productivité de mener un projet à grande échelle. Petit à petit, elle a déterminé les principes qui fonctionnaient, ceux qui demandaient à être peaufinés et ceux qu’elle devait éliminer.

Codifier les enseignements. Il est important qu’une personne de l’organisation ait une vision globale des démarches entreprises, sans quoi les occasions d’apprentissage pourraient être perdues. Chez Wipro, le service de la productivité a joué ce rôle, évaluant chaque initiative, dirigeant l’application des mesures éducatives et aidant à uniformiser les pratiques.

Rechercher les nouvelles méthodes. Chez Wipro, trois ans après l’instauration du programme Lean, les résultats étaient prometteurs en apparence. Les employés étaient pleinement engagés dans la démarche, certains clients exprimaient le désir d’imiter les nouvelles méthodes dans leurs propres services de technologies de l’information et le nombre de projets de gestion Lean ne cessait de croître. Cependant, l’évaluation permanente des démarches semblait montrer que, dans certaines équipes, on n’appliquait les mesures Lean qu’à certaines tâches. Les dirigeants se sont inquiétés de ce que ces équipes n’adoptent en surface que les outils les plus attirants et ne changent pas en profondeur leur façon de travailler. Ils ont décidé de ne plus adopter de nouvelles mesures et de faire une mise au point. Ils ont fait des recommandations détaillées pour chacune des étapes de multiples projets. Finalement, reconnaissant qu’ils n’avaient pas les ressources nécessaires pour appliquer la méthode Lean à l’échelle de l’entreprise, ils ont décidé de concentrer leurs efforts sur les gros projets, dont les gains potentiels étaient les plus importants. Après avoir réalisé ce travail de terrain, qui a duré trois ou quatre mois, ils ont renouvelé leurs efforts et les bénéfices se sont multipliés.

L’approche Lean n’est pas nécessaire partout. Elle ne s’applique pas aux activités novatrices et expérimentales, qui exigent que l’on invente de nouvelles méthodes de travail. Elle doit être appliquée aux tâches répétitives. Cependant, l’innovation pourrait pâtir si le temps nécessaire pour trouver des idées originales et pour les tester était considéré comme du temps perdu, et était supprimé.

Faire participer les équipes dirigeantes

À long terme, les principes Lean doivent se traduire par des améliorations à l’échelle de l’entreprise. Les employés de première ligne devront trouver et mettre en œuvre de nouvelles idées, et les dirigeants, jouer un rôle de soutien. C’est le but recherché. Pour y parvenir, les cadres intermédiaires et supérieurs doivent absolument participer à la mise en place du processus.

Les directeurs de projets et les cadres intermédiaires doivent former et motiver leurs équipes. Au cours de notre recherche, nous avons constaté que les équipes menées par des dirigeants très engagés dans l’application des principes Lean — qui informaient leurs troupes et les persuadaient des retombées positives de ces principes sur la performance — obtenaient de meilleurs résultats que les autres équipes. Chez Wipro, un directeur de projet ou un formateur agréé du Lean se chargeait généralement de la formation initiale, puis il incombait au directeur de projet d’encourager son équipe à mettre les idées nouvelles à profit.

La direction doit penser au long terme. En cédant à la tentation de toujours tester de nouvelles idées, de nombreuses entreprises souffrent du syndrome de l’amélioration à tout prix. Leurs dirigeants perdent alors toute crédibilité aux yeux de leurs employés.

Azim Premji, le PDG de Wipro, l’a bien compris. Il s’est engagé personnellement dans l’initiative dès le début. Il a lui-même supervisé plusieurs projets, fréquemment rencontré les gestionnaires chargés de l’application du Lean Manufacturing et s’est exprimé clairement sur le sujet. Parce que son engagement a été public, les employés de Wipro ont compris tout le sérieux de sa démarche.

Transformer une usine en système de fabrication Lean demande un effort énorme et soutenu. La réussite d’un tel projet est une question de persévérance et non de génie.

Optimiser les savoirs est plus ardu encore quand les activités de production sont moins répétitives et difficilement codifiables. Nous avons constaté que la chose est possible. Cette complexité la rend par ailleurs d’autant plus difficile à imiter pour un concurrent, et c’est ce qui fait sa force.

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