Nos exportations à risque en France malgré l'AECG

Publié le 14/06/2024 à 18:00

Nos exportations à risque en France malgré l'AECG

Publié le 14/06/2024 à 18:00

Le président du Rassemblement national (RN), Jordan Bardella, pourrait devenir le prochain premier ministre de la France après les élections législatives du 30 juin et du 7 juillet. (Photo: Getty Images)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE. Les entreprises québécoises qui commercent avec la France ou qui y ont des activités devraient s’intéresser de près aux prochaines élections législatives. Car, si le Rassemblement national (RN) accède au pouvoir, l’économie ralentirait et pâtirait d’une hausse de l’inflation, si l’on se fie à des études empiriques sur l’incidence négative des droites radicale et populiste lorsqu’elles sont au pouvoir.

Cette élection est donc une question cruciale pour nos entreprises, car la France est le troisième marché d’exportation du Québec après les États-Unis et la Chine, et son sixième marché d’importation, selon l'Institut de la statistique du Québec (ISQ).

Le RN, qui a remporté les élections européennes du 9 juin en France, incitant le président Emmanuel Macron à dissoudre l’Assemblée nationale puis à convoquer des élections le 30 juin (premier tour) et le 7 juillet (second tour), est un parti de la droite radicale.

La droite radicale «accepte» les formes de la démocratie, mais elle s’oppose aux éléments fondamentaux de la démocratie libérale, comme les droits des minorités, la règle de droit et la séparation des pouvoirs, selon des spécialistes des droites comme Cas Mudde (The Far Right Today, 2019) et Jean-Yves Camus (Les droites extrêmes en Europe, 2015).

À ne pas confondre avec l’extrême droite, qui «rejette» et «répudie» l’essence de la démocratie que sont la souveraineté populaire et la règle de la majorité, selon Mudde et Camus. Historiquement associés à l’Allemagne nazie ou à l’Italie mussolinienne, les partisans de l’extrême droite sont aujourd’hui les néonazis, les néofascistes ou les dirigeants des dictatures de droite.

Le Rassemblement national de Marine Le Pen ne rejette pas l'essence de la démocratie, c'est pourquoi les spécialistes des droites associent le RN à la droite radicale.

En revanche, l'ex-Front national de Jean-Marie Le Pen était d'extrême droite, notamment en raison de la présence d'anciens de la Waffen SS parmi ses membres fondateurs, estime par exemple Jean-Yves Camus.

 

Relire notre analyse Méfiez-vous des mauvais diagnostics géopolitiques

Quant aux populistes de droite, ils sont «hostiles aux élites» et ils sont «fondamentalement antipluralistes», d’après le spécialiste de cette mouvance Jan-Werner Müller (Qu’est-ce que le populisme?, 2018). Aussi, dans leur conception de la politique, eux seuls représentent le «peuple véritable».

 

La démocratie française n’est pas menacée

Par conséquent, une victoire du RN aux élections législatives et l’accession au poste de premier ministre de Jordana Bardella, le jeune président du RN de 28 ans, ne sonneraient pas le glas de la démocratie française.

Brandir le spectre du fascisme ou d’une «vague brune» en France – comme le font certains médias, politiciens et analystes – est non seulement exagéré, voire alarmiste, mais ne résiste pas non plus à une analyse rigoureuse des faits.

Bien entendu, un gouvernement du Rassemblement national, qui miserait sur la loi et l'ordre, entraînerait des répercussions importantes sur l’économie et la société française, notamment en raison de l’hostilité du parti à l’égard de l’immigration.

Par exemple, parmi les huit promesses de Jordan Bardella et de Marine Le Pen figurent notamment celle de «réduire drastiquement l’immigration légale et illégale et d’expulser les délinquants étrangers», rapporte le quotidien français Le Figaro.

Selon plusieurs analystes, un gouvernement Bardella en France pourrait ressembler à celui de Giorgia Meloni, en Italie, dont le parti Frères d’Italie dirige une coalition de la droite radicale depuis septembre 2022.

Giorgia Meloni, souligne le politologue français Thibault Muzergues (Post-Populisme: la nouvelle vague qui va secouer l’Occident, 2024) incarne une droite nationale, conservatrice et hostile à l'immigration de masse, en plus de défendre une conception chrétienne de l’identité européenne et occidentale.

Mais «elle n’adhère pas à la doctrine populiste», écrit Thibault Muzergues. De plus, elle est atlantiste et attachée au projet européen – «Plus d’Italie en Europe, plus d’Europe dans le monde», proposait le programme commun de la droite italienne en 2022.

Un éventuel gouvernement de Jordan Bardella en France pourrait ressembler à celui de Giorgia Meloni, en Italie, dont le parti Frères d’Italie dirige une coalition de la droite radicale depuis septembre 2022. (Photo: Getty Images)

Une incidence négative sur l’économie 

Pour les entreprises québécoises qui exportent ou qui ont des établissements en France, une possible victoire du RN le 7 juillet représente avant tout un risque au niveau de la diminution de la demande globale, ce qui réduirait leurs ventes sur le marché français.

Trois études documentent bien l’incidence négative des droites radicale et populiste sur l’économie.

En juin 2023, la Fondation Carnegie pour la paix, un groupe de réflexion de Washington, a publié «How Does Business Fare Under Populism?» Selon l’auteur de l’étude, les stratégies populistes «réduisent la croissance et tendent vers le nationalisme économique».

L’étude a analysé le bilan de dirigeants populistes de 1900 à 2020. Ces derniers freinent la croissance d’environ 1 % par année ainsi que l’ouverture de leur pays au commerce international. Ces dirigeants contribuent aussi généralement à faire augmenter l’inflation.

En 2022, trois auteurs chapeautés par Science Po, en France, ont publié une autre étude à ce sujet, qui s’intitule «Populist Leaders and the Economy». Selon l’étude, «le coût du populisme est très élevé», d'après leur analyse du bilan économique à long terme de 51 présidents et premiers ministres.

Ainsi, après avoir été dirigé un gouvernement populiste pendant 15 ans, ces pays présentent un PIB par habitant inférieur de 10 % à un scénario plausible sans gouvernance populiste.

Enfin, en 2022, deux chercheurs de l’Université Rovira et Virgili, en Espagne, ont publié «The macroeconomic impact of radical right populist parties in government». Selon cette étude, une coalition composée d’un parti populiste de la droite radicale et d’un parti conservateur «peut conduire à une hausse de l’inflation et à une baisse de la production».

Par ailleurs, un autre risque est celui d’une accentuation de la pénurie de travailleurs de France, et ce, en raison de la politique du RN en matière d’immigration.

Comme le parti veut «réduire drastiquement l’immigration», des entreprises en France pourraient manquer de bras dans les secteurs intensifs en main-d’œuvre. On parle ici notamment de l’agriculture, du commerce de détail ainsi que de certaines industries et entreprises manufacturières. 

Par conséquent, des fournisseurs d’entreprises canadiennes en France pourraient à terme devoir réduire leur cadence de production parce qu’elles pourraient tout simplement manquer de travailleurs.

Dans ce contexte, une rupture de certains approvisionnements est un scénario probable.

 

Quelles sont les chances du RN de gagner?

Le Rassemblement national était déjà le premier parti politique en France, bien avant le résultat des élections européennes.

En entrevue à Les Affaires, Jean-Guy Prévost, professeur associé à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), spécialiste de l’histoire des idées politiques, souligne que le «succès spectaculaire» du RN lors des Européennes – une élection à un tour – confirme une tendance lourde de la politique française.

«Depuis 2012, le score du RN semble s’améliorer d’une élection à l’autre. Il est également arrivé premier (avec des scores moindres) aux Européennes de 2014 et 2019. Marine Le Pen a obtenu 34% des voix au 2e tour des présidentielles de 2017 et 41% en 2022», souligne-t-il.

En revanche, lors d’élections à deux tours, le parti de Marine Le Pen «performe moins bien», fait remarquer Jean-Guy Prévost:

  •  18,6% au 2e tour des législatives de 2022
  • 19% au 2e tour des régionales de 2021
  • 11% au 2e tour des départementales de 2021
  • Moins de 1% au 2e tour des municipales de 2021 (et 2% au premier tour)
  • Et seulement 3 élus sur 170 aux sénatoriales de 2023.

 

«Ceci nous dit que le type d’élection (à deux tours plutôt que proportionnelle; dans un jeu à plusieurs plutôt qu’à deux) et le degré d’enracinement local sont des variables non négligeables», insiste le spécialiste.

À ses yeux, il est donc possible qu'Emmanuel Macron, en déclenchant des élections, ait misé sur ces faiblesses du RN. Et que le parti du président, Renaissance, garde le pouvoir après les élections législatives.

Malgré tout, l’élection d’un gouvernement du RN demeure un scénario probable, si l'on se fie aux sondages.

Par exemple, d'après un récent sondage Elabe effectué pour La Tribune Dimanche et BFMTV, le RN recueillait 31% des voix devant l'alliance de gauche (28%) et le bloc central d'Emmanuel Macron (18%).

Ainsi, mieux vaut peut-être vous préparer à un gouvernement de la droite radicale en France.

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand

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