Le bitcoin, mort et ressuscité


Édition de Mars 2021

Le bitcoin, mort et ressuscité


Édition de Mars 2021

Par Alain McKenna
bitcoins

(Photo: Dmitry Demidko pour Unsplash)

Après l’éclatement de la bulle des cryptomonnaies, en 2018, le bitcoin était donné pour mort. Ça ne l’a pas empêché de faire un retour en force et d’atteindre de nouveaux sommets en 2021. Si l’actif numérique demeure risqué, certains experts croient que cette fois, la populaire monnaie numérique s’imposera pour de bon. 

Philippe Bergeron-Bélanger est convaincu que le bitcoin a trouvé sa niche comme valeur refuge de l’économie de demain. L’investisseur indépendant est demeuré méfiant quand le bitcoin a connu sa première hausse de valeur, en juillet 2017. Il y a quatre ans, on présentait le bitcoin comme une cryptomonnaie parmi tant d’autres. C’était la plus connue, certes, mais elle incarnait un virage technologique si vaste que le commun des mortels peinait à l’imaginer.

Comment comprendre la chaîne de blocs, le registre de transactions décentralisé ou le financement par émission de jetons ? Imaginez : la première promettait d’éliminer la contrefaçon en remplaçant un système bancaire désuet, le second comptait éradiquer la fraude dans le système financier mondial et le troisième promettait de financer de nouvelles entreprises en créant soi-même sa propre monnaie numérique. La révolution !

Médusés par ces mirages, les investisseurs se sont rués sur le bitcoin. Résultat : sa valeur s’est multipliée par 10 en six mois, pour atteindre un sommet de 19 650 $  US à la mi-décembre 2017. La dégringolade qui a suivi a duré un an. Après un sursaut en 2019, le bitcoin n’a recommencé à prendre du galon qu’au milieu de 2020, mais là encore, les investisseurs se sont emballés : sa valeur a atteint de nouveaux sommets avant la fin de l’année, mais cette fois, ça continue encore. On ne sait pas quand ça s’arrêtera.

« C’est probablement le principal changement entre 2018 et 2021 : à l’époque, c’était présenté comme un paquet de technologies exotiques, difficiles à comprendre. Ce coup-ci, le bitcoin s’est trouvé un rôle plus facile à saisir : il cherche à devenir l’outil de référence pour échanger des devises internationales, dans une économie numérique et dématérialisée où des valeurs refuges comme l’or ont moins de pertinence », croit Philippe Bergeron-Bélanger.

 

Une nouvelle crédibilité

En 2021, « acheter des bitcoins » et « investir dans le bitcoin » sont les deux faces d’une même pièce. Si les experts ne voient pas cette plateforme numérique remplacer l’argent pour payer ses emplettes à l’épicerie, certains jugent qu’il se qualifie comme un actif numérique possédant une certaine valeur qui fluctue, et qui fluctue même beaucoup, dans le temps.

Pour plusieurs, c’est ce qui rend le jeu intéressant. Certains vont recourir à une application de courtage direct, comme Coinbase, PayPal ou Robinhood (cette dernière, exclusive au marché américain, demeure la plus populaire du lot) pour acquérir quelques fractions de bitcoins. D’autres vont rechercher des fonds boursiers reproduisant l’évolution de la monnaie numérique.

À Gatineau, la firme Rivemont a créé le premier fonds de cryptomonnaies au Canada à la fin 2017. Approuvé par l’Autorité des marchés financiers (AMF), ce fonds qui vaut actuellement 10 millions de dollars (M$) est composé principalement de bitcoins et de certaines autres monnaies numériques secondaires, comme l’Ethereum et le Litecoin, et il est géré activement, comme s’il était constitué d’actions boursières.

Pour ce fonds, Rivemont achète et vend ses actifs sur une plateforme fiable et reconnue, appelée Gemini. Fondée par les frères Winklevoss, qui ont participé à la création de Facebook, Gemini se spécialise dans les échanges de cryptomonnaies et se conforme aux règles du secteur financier. Il n’y a pas de risques que ses créateurs disparaissent sans crier gare et empochent les sommes négociées par ses utilisateurs, selon Martin Lalonde, le président de Rivemont. Une crainte fondée, puisque cela s’est produit au Canada dans le cas de la plateforme d’échange spécialisée en cryptomonnaies Quadriga. Basée à Vancouver, l’entreprise s’est révélée être un cas typique de fraude pyramidale organisée par son défunt fondateur, Gerald Cotten, selon une enquête de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario. Pas moins de 76 000 petits investisseurs ont perdu pour 170 M$ dans cette affaire.

Les plateformes populaires en 2021 sont plus sûres, mais le risque n’est pas moins grand pour autant. « Le bitcoin vient avec sa part de risques : la volatilité, la spéculation, etc. Les plateformes comme Gemini, au moins, éliminent la plupart des risques de fraude, assure Martin Lalonde. Cela ajoute à la crédibilité des principales cryptomonnaies. »

 

Vers une nouvelle bulle ?

Autre élément en faveur de cette crédibilité : au début février, Tesla a acheté pour 1,5 milliard de dollars américains (G$ US) de bitcoins afin, selon son PDG Elon Musk, d’éventuellement accepter les paiements dans cette devise pour ses véhicules électriques. Moins bruyante, une autre annonce a été faite quelques jours plus tôt par Visa, qui lançait un nouvel outil permettant aux particuliers de certaines banques aux États-Unis d’acheter des bitcoins directement à partir de leur compte bancaire en ligne.

Pour les promoteurs des monnaies numériques, c’était deux preuves de plus que le bitcoin est désormais un actif « grand public », accepté et avalisé par des entreprises reconnues. Elon Musk ne tarit pas d’éloges à propos des cryptomonnaies en général, d’ailleurs. Un tweet qu’il a publié à propos du Dogecoin, au moment où son entreprise achetait des bitcoins, l’a confirmé : le Dogecoin est une cryptomonnaie qui a été lancée à la blague en 2013 et dont l’utilité est très limitée, sinon nulle. Sa valeur a bondi de 80 % dans les heures suivant ce tweet.

Pour les détracteurs du bitcoin, c’est la pièce de trop, une belle démonstration qu’il s’agit d’une nouvelle bulle qui éclatera bien un jour. C’est du moins ce qu’avance le vendeur à découvert américain Michael Burry, qui voit dans tout cela un écran de fumée pour distraire les investisseurs du fait que Tesla est sous pression en Chine, là où le constructeur joue son avenir. « Les autorités chinoises s’inquiètent de la qualité et de la fiabilité des Tesla… mais Tesla préfère acheter des bitcoins », réagissait Burry.

Détail intéressant : l’évolution boursière de Tesla et les fluctuations de valeur du bitcoin suivent des courbes à peu près identiques. Dans les deux cas, les analystes sont à court de mots pour expliquer l’enthousiasme des investisseurs. Tesla n’est profitable qu’en raison d’une importante aide fédérale, aux États-Unis. Le bitcoin pourrait bien devenir une valeur refuge, mais rien n’est encore gagné.

Bref, si nous assistons à une bulle spéculative et que la bulle éclate, il n’y aura pas que des pièces de monnaie virtuelle qui tomberont du ciel. Au moins un constructeur d’automobiles pourrait en payer le prix également.

 

Le Far West de l’investissement

Elon Musk n’est pas le seul utilisateur des réseaux sociaux à posséder un certain ascendant sur le secteur financier. Au cours de l’hiver, le forum web Reddit s’est également positionné comme un acteur boursier influent. Des internautes qui se réunissent sur ce forum pour s’échanger des conseils d’investissement ont fait bondir en quelques semaines à peine le titre de sociétés qu’on croyait moribondes, comme BlackBerry et GameStop, afin de s’en prendre aux pratiques douteuses de certains vendeurs à découvert.

Ces mêmes internautes sont également partisans des cryptomonnaies en général et du bitcoin en particulier. Il suffit qu’ils en fassent l’éloge pour que des milliers de petits investisseurs se précipitent sur leur téléphone intelligent et y investissent une partie de leur argent. Des applications mobiles facilitent ces mouvements financiers de masse, car ils contournent les institutions et les mécanismes qui ont pour fonction de tempérer les élans brusques et de réduire la volatilité.

Ce qui semble tout à fait normal pour une nouvelle génération de petits investisseurs est déroutant pour les professionnels de la gestion de portefeuille : le virage numérique a chamboulé le monde du commerce, du transport et de l’immobilier. Il fait subir le même sort au secteur financier.

« Le secteur n’a pas le choix de s’adapter. C’est une toute nouvelle réalité. Les clients nous appellent et exigent qu’on investisse une partie de leur portefeuille là-dedans », constate un gestionnaire de portefeuille associé à une grande banque canadienne qui a requis l’anonymat pour pouvoir parler librement. « Alors, on leur explique ce que ça implique d’investir. Qui sait si le marché ne va pas s’effondrer demain matin ? Ça prend une très grande tolérance au risque. Il ne faut surtout pas miser toute son épargne sur un seul actif. Investir de façon pondérée serait une approche raisonnable. »

Le gestionnaire montréalais d’expérience croit que les institutions financières n’auront pas le choix de suivre la parade et d’ajouter le bitcoin à leurs offres de placement. « Après tout, si JP Morgan le fait… »

Les conseillers n’ont pas le choix de respecter le profil d’investisseur de leurs clients. Ils devront diluer le risque d’acheter des bitcoins en offrant d’autres actifs moins volatiles, prédit-il. « Ils vont vouloir temporiser, aussi, pour acheter des cryptos à différents cours, pour réduire l’effet de la volatilité sur leur rendement. Parce qu’à plus de 50 000 $ US, le bitcoin est quand même cher… »

 

À quel prix le bitcoin coûte-t-il «cher»?

C’est un autre problème du bitcoin : personne ne s’entend sur sa valeur réelle. Difficile de faire des projections sur sa valeur dans un an, dans cinq ans ou dans 10 ans.

Les plus optimistes comparent le cours du bitcoin à celui de l’or. « Aujourd’hui, si tout l’or du monde vaut 10 000 milliards de dollars, ce n’est pas parce qu’on l’utilise pour confectionner des bijoux, mais parce que depuis le temps, c’est devenu une référence pour établir la valeur d’autres biens et devises. La seule chose que le bitcoin fait, en ce moment, c’est apporter cette valeur de référence au monde numérique », juge Philippe Bergeron-Bélanger. « On ne sait pas combien vaut réellement un bitcoin ; tout l’écosystème financier qui se bâtit autour de cette monnaie donne confiance en son avenir. »

Martin Lalonde abonde. « Il y a un effet d’entraînement qui gonfle sa valeur en ce moment, mais à long terme, je pense que les précurseurs seront récompensés. Le bitcoin a le potentiel d’être gros. Il y a toujours un risque que ça ne se réalise pas. » En investissement, le risque et le rendement vont de pair, rappelle le gestionnaire de portefeuille. Plus le risque est gros, plus le rendement est prometteur. +

 

*Le journaliste a un petit investissement « de curiosité » dans l’Ethereum.

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