Start-ups: le capital de risque redescend sur terre


Édition du 24 Mai 2023

Start-ups: le capital de risque redescend sur terre


Édition du 24 Mai 2023

Par Emmanuel Martinez

Dans le contexte actuel de la rarification du capital de risque, l’argent se fait surtout rare pour les jeunes pousses en phase de préamorçage. (Photo: 123RF)

Après des années records, les investissements en capital de risque sont en chute libre au Canada.

Selon le plus récent rapport de KPMG, le premier trimestre de 2023 a été le plus faible depuis 2018 au pays. Environ 907 millions de dollars américains ont été injectés dans le cadre de 123 transactions de capital de risque durant les trois premiers mois de l’année, contre 4,6 milliards de dollars américains dans 375 transactions au cours de la même période en 2022.

«On a eu deux années fabuleuses, mais depuis un an, que ce soit en volume ou en évaluation, il y a une forte baisse, explique Ralph Masella, associé aux servicesconseils transactionnels chez KPMG Canada. Toutefois, le Québec s’en tire mieux qu’ailleurs au Canada et aux États-Unis, car on a plus de gros joueurs dans l’écosystème, comme Desjardins, la Caisse ou le Fonds de solidarité FTQ.»

«Il y a beaucoup de transactions de 1 M$à 5 M$ au Québec, poursuit-il. Ce sont les grandes qui ont le plus chuté dans les derniers trimestres.»

Olivier Quenneville, PDG de Réseau Capital, l’association qui regroupe les intervenants de la chaîne d’investissement présents au Québec, souligne aussi l’apport de l’État. «Au Québec, on a de la chance d’avoir un gouvernement assez actif qui vient contrebalancer le fait que c’est plus difficile de lever des fonds», affirme-t-il. La hausse des taux d’intérêt et les incerti-tudes économiques, notamment liées aux questions géopolitiques (Ukraine, Chine) et au recul des marchés boursiers, sont parmi les facteurs qui ont été relevés pour expliquer cette dégringolade.

«L’appréhension est plus grande, donc les investisseurs se réfugient vers des valeurs sûres», remarque Jean-David Bégin, coach principal à l’incubateur montréalais District 3. «Quand tu mises dans le capital de risque, faut que tu penses à la sortie, ajoute de son côté Ralph Masella. Les introductions en Bourse sont au point mort et le marché des fusions et acquisitions est en forte baisse, donc cela fait en sorte que le secteur du capital de risque est moins attrayant.» Valeur en baisse L’augmentation du coût en capital diminue la valeur des jeunes pousses. «Il y a un an, tu pouvais emprunter à 4%, et maintenant, c’est 10%, mentionne-t-il. Cela a un effet direct sur les évaluations. Si l’évaluation est à la baisse, l’entrepreneur se fait diluer encore plus, ce qui rend le financement moins intéressant.»

Il souligne que certains secteurs s’en tirent mieux, comme l’intelligence artificielle et le logiciel-service (Software as a Service), tandis que ce qui touche le commerce électronique et la fintech en arrache.

L’argent se fait surtout rare pour les jeunes pousses en phase de préamorçage. «Pour celles avec beaucoup de potentiel, mais qui n’ont pas atteint la commercialisation, c’est plus difficile, note le directeur général du Centech, Richard Chénier. Les échos qu’on entend nous inquiètent.»

 

Retour à la normale

Avec moins d’argent dans le système, les gestionnaires de capital de risque constatent que les évaluations et les délais sont plus raisonnables.

«On est content de voir un marché plus ordonné et discipliné, explique Jean-François Pariseau, associé et cofondateur d’Amplitude Ventures, un fonds spécialisé en santé. Le gros changement qu’on a remarqué, c’est le temps qu’on a pour faire des vérifications. On a de trois à six mois pour réaliser une ronde de financement, contrairement à moins de deux mois durant la COVID. C’était des années folles. L’industrie a surchauffé.»

Pour les entrepreneurs, un robinet moins généreux leur complique cependant la vie. «Avec des levées plus faibles et longues, la croissance des start-ups est négativement affectée, estime Jean-David Bégin, de District 3. Amasser du capital se fait aux dépens du développement de l’entreprise, car c’est presque devenu un job à temps plein. Nos entrepreneurs devront apprendre à être résilient et à faire plus avec moins.»

Il argue toutefois qu’il y a des limites à concurrencer des vis-à-vis américains qui ont des moyens significativement plus élevés. Même s’il se réjouit de l’influx d’argent de l’État québécois pour les start-ups, celui qui oeuvre dans le capital de risque depuis 30 ans souligne que ces sommes sont difficilement accessibles, puisqu’une contrepartie de 50 % est généralement exigée.

 

La lumière au bout du tunnel

Les intervenants interrogés sont unanimes pour dire que le taux de survie des entreprises innovantes diminuera. Ralph Masella, de KPMG, prédit que le reste de l’année 2023 sera morose, mais que les investissements en capital de risque reprendront de la vigueur en 2024.

Tout n’est cependant pas noir. Les licenciements massifs chez de gros joueurs du secteur des technologies font en sorte que de bons employés sont disponibles pour les start-ups. À moyen terme, Olivier Quenneville, de Réseau Capital, croit que celles qui ont reçu du financement sauront réussir. «Dans dix ans, on dira peut-être que c’est un excellent millésime, mentionne-t-il. C’est dans des périodes difficiles qu’on voit les meilleures start-ups se démarquer. Notre industrie en capital de risque est jeune, mais on prend de la maturité.»

«On a eu deux années fabuleuses, mais depuis un an, que ce soit en volume ou en évalua-tion, il y a une forte baisse. Toutefois, le Québec s’en tire mieux qu’ailleurs au Canada et aux États-Unis, car on a plus de gros joueurs dans l’écosys-tème, comme Desjardins, la Caisse ou le Fonds de soli-darité FTQ.»

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