«Quelle est la meilleure façon de travailler?»

Publié le 08/06/2023 à 07:30

«Quelle est la meilleure façon de travailler?»

Publié le 08/06/2023 à 07:30

Par Olivier Schmouker

Le travail sur site? Le travail à distance? Le mode hybride? (Photo: The 9th Coworking pour Unsplash)

MAUDITE JOB! est une rubrique où Olivier Schmouker répond à vos interrogations les plus croustillantes [et les plus pertinentes] sur le monde de l’entreprise moderne… et, bien sûr, de ses travers. Un rendez-vous à lire les mardis et les jeudisVous avez envie de participer? Envoyez-nous votre question à mauditejob@groupecontex.ca

Q. – «Le conseil d’administration de notre entreprise nous a demandé de faire le point sur le travail sur site, le travail à distance et le mode hybride. L’objectif est d’identifier la meilleure façon de travailler d’un point de vue purement productif (le bien-être étant difficilement chiffrable, il en sera tenu compte ultérieurement dans notre rapport). Existe-t-il d’ores et déjà des études sur le sujet?» – Jérémy

R. – Cher Jérémy, je comprends la logique qu’il y a derrière la demande de votre conseil d’administration: il est normal de vouloir optimiser le travail, car il peut en aller de la pérennité, voire de la simple survie, de l’entreprise. Toutefois il me semble illusoire de vouloir une réponse tranchée à une interrogation aussi complexe. A fortiori en écartant d’emblée une donnée aussi importante que le bien-être des employés: pour votre information, sachez que nombre d’études montrent qu’une bonne partie de la productivité découle justement du bien-être des employés; autrement dit, ne pas en tenir compte dès le départ, c’est vous empêcher de donner une réponse valable à votre question.

Bon. Maintenant que je vous ai dit ça, je sais que votre conseil d’administration ne se contenterait sûrement pas de ce que je viens de vous dire en guise de réponse. Leur dire que leur question est mal posée ne ferait que les braquer, j’imagine. Je vais donc vous donner un élément de réponse qui, de surcroît, soulignera combien il est complexe d’identifier la meilleure façon de travailler lorsqu’on a que la pure productivité en tête.

Natalia Emmanuel est économiste à la Réserve fédérale de New York. Et Emma Harington est professeure d’économie à l’Université de l'Iowa, à Iowa City (États-Unis). Ensemble, elles ont analysé la productivité des employés du centre d’appels d’une grande entreprise figurant dans le Fortune 500, le palmarès des 500 plus grandes entreprises américaines établi par le magazine Fortune. Et ce, en comparant la productivité de ceux qui travaillent sur site par rapport à celle de ceux qui travaillent à distance, avant et après la pandémie de COVID-19, sachant que celle-ci a amené nombre d’entreprises à généraliser le télétravail, ce qui était rarement le cas auparavant.

Résultats? Voici les quatre principaux:

– Avant la pandémie, les télétravailleurs répondaient en général à 12% moins d’appels que les travailleurs sur site, sur une journée.

– Après la pandémie, l’écart de productivité s’est réduit de 4 points de pourcentage. Il n’était donc plus que de 8%, à l’avantage des travailleurs sur site.

– De manière générale, la qualité des réponses données aux appels par les télétravailleurs est «sensiblement inférieure» à celle des réponses effectuées par les travailleurs sur site. Et cela est surtout vrai concernant les travailleurs peu expérimentés.

– De manière générale, les télétravailleurs bénéficient de moins de promotions que les travailleurs sur site.

Au vu de ces résultats bruts, on pourrait vite en conclure que le télétravail est moins productif que le travail sur site. On se dirait: «C’est clair, les chiffres parlent d’eux-mêmes. Tout le monde au bureau, désormais. Point final.»

Mais voilà, les deux économistes ont eu l’intelligence de mettre l’accent sur des points qui pourraient passer pour des détails, mais qui, en vérité, ont une importance primordiale:

– Elles ont regardé pourquoi l’écart de productivité s’était réduit après la pandémie. Elles ont cherché à quoi ça tenait, au juste. Et c’est comme ça qu’elles ont découvert deux choses importantes. D’une part, avant la pandémie, le télétravail était imposé à certains travailleurs, surtout par souci d’économies, et cela, au fond, ne les enchantait guère. Ça n’aide pas à se montrer productif.

D’autre part, la plupart de ceux qui sont passés du travail sur site au travail à distance ont découvert que cette formule était bonne pour eux, ils y ont pris goût et ils se sont montrés au moins autant, si ce n’est plus, productifs qu’auparavant. Ça, en revanche, ça aide à se montrer productif.

Autrement dit, le télétravail par choix permet d’exprimer une productivité similaire, voire supérieure, à celle du travail sur site. Le mot-clé, je me permets de le souligner, est «par choix».

– Elles ont également noté que l’écart global était, malgré tout, de 8% après la pandémie. Ce qui est beaucoup. Elles ont donc plongé dans leurs données, pour finir par y trouver un élément qui, mine de rien, a son importance, même s’il n’explique pas tout. Il se trouve que la «chute» de productivité découlait en grande partie des travailleurs «inexpérimentés», à savoir des nouvelles recrues, dont le nombre était particulièrement important (ce qui est fréquent dans les centres d’appel, connus pour enregistrer des taux de roulement du personnel élevés). C’est qu’il est déjà difficile de se montrer aussi productif que les autres quand on commence une nouvelle job, à plus forte raison si on se trouve d’emblée à distance de l’équipe et du boss.

Autrement dit, le télétravail subi plombe carrément la productivité, parfois même au point de saper la productivité globale des télétravailleurs. Le mot-clé est ici «subi».

Bref, Jérémy, il est périlleux de juger de la productivité d’une catégorie de travailleurs juste en fonction de quelques chiffres. Et ce, même si ceux-ci peuvent laisser croire au premier coup d’œil qu’aucun doute n’est permis concernant la catégorie la plus productive parmi toutes celles considérées.

Pour avoir l’heure juste, ou presque, il faut notamment tenir compte de données non chiffrées comme celle de savoir si le travail est choisi ou subi, ou encore celle de savoir si le nombre de travailleurs inexpérimentés est élevé, ou pas. Car dès lors les chiffres changent d’un seul coup, ils «parlent» et amènent à tirer une conclusion contraire à celle que l’on avait tirée à la seule vue des chiffres bruts, «muets».

Maintenant, êtes-vous plus avancé avec tous ces éléments? Peut-être croyez-vous que non. Mais en vérité, si, vous l’êtes nettement plus: faites lire cette chronique aux membres de votre conseil d’administration, et, sans que vous ayez à la leur dire expressément, je suis prêt à parier qu’ils vont revenir d’eux-mêmes sur la demande qu’ils vous ont faite. À tout le moins, ils vont la formuler autrement, peut-être en vous invitant à tenir compte d’emblée du bien-être ou de tout autre élément non chiffrable qui, pourtant, font toute la différence en matière de productivité.

 

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