Luc Filiatreault, l’équilibriste tenace


Édition du 24 Mai 2023

Luc Filiatreault, l’équilibriste tenace


Édition du 24 Mai 2023

Par Camille Robillard

(Photo: Martin Flamand)

TÊTE-À-TÊTE. Le curriculum vitæ de Luc Filiatreault est impressionnant. Depuis le début de sa carrière, il a notamment dirigé huit entreprises, possédé un fonds de capital de risque, investi à temps plein et agi à titre de coach auprès d’entreprises technologiques. Aujourd’hui, il est revenu aux opérations — ses premiers amours — en tant que président et chef de la direction de mdf commerce. Cette entreprise de commerce et d’approvisionnement électroniques a connu une croissance phénoménale durant la pandémie. Cependant, plus récemment, Luc Filiatreault a dû prendre une décision difficile pour son entreprise, dont les activités ont diminué. Entrevue avec un dirigeant d’expérience qui a toujours su s’adapter aux nombreux défis que présente une vie dans le monde des affaires.


Au cours de votre carrière, vous avez dirigé de jeunes pousses, mais également des entreprises de plus de 100 millions de dollars de chiffre d’affaires. Est-ce qu’il existe des ressemblances dans la gestion de ces deux types d’entreprises?

Le défi reste toujours le même. Le job de leader, c’est de se mettre au milieu de cette espèce de triangle entre tes actionnaires, tes clients et tes employés. Si je favorise un peu trop les actionnaires, je vais commencer à faire mal aux clients et aux employés. Si je favorise les employés, ça ne fonctionne pas pour les clients et les actionnaires. Trouver cet équilibre-là, c’est ça le défi. Dans une petite entreprise, ça ne prend vraiment pas beaucoup pour être en déséquilibre, car en général, tu as peu de clients et d’employés.

Quand on est 650 membres du personnel et qu’il y a seulement quelques employés ou quelques clients qui ont un problème, ça ne vient pas tout déséquilibrer.

 

Quand vous avez été nommé à la tête de mdf commerce, Mediagrif à l’époque, l’objectif était de transformer l’entreprise. Quels changements avez-vous apportés?

Il y a beaucoup de changements, et ce, à plusieurs égards. Quand on m’a présenté Mediagrif, c’était une entreprise un peu vieillotte. Je connaissais l’entreprise et ses dirigeants depuis toujours. J’ai reçu l’appel d’un chasseur de têtes qui m’a expliqué que le conseil cherchait à transformer l’entreprise, à lui redonner un peu de «wow», à faire revenir la croissance ainsi que l’excitation des employés. Ça m’a intéressé parce que c’est ça que j’aime faire. Dans un premier temps, il fallait remotiver toute l’équipe.

Ensuite, les produits qui étaient sur le marché avaient besoin d’un petit coup de balai, d’être mis au goût du jour. En février 2020, on a déposé au conseil d’administration de l’entreprise un premier plan d’affaires, dans lequel on présentait une mission, une vision. Celle de l’entreprise datait de 20 ans. Donc, on a déterminé qu’on voulait être un employeur de choix, avoir de la reconnaissance technologique, atteindre certains chiffres d’affaires et un certain nombre d’employés. Presque instantanément, les gens ont embarqué avec nous. Cependant, le 13 mars 2020, on a eu de grosses surprises. Le plan a dû s’adapter parce qu’il était beaucoup trop gros. Toutefois, pour nous, la pandémie a plutôt été bonne et positive.

 

Vous utilisez l’expression «crise de la croissance»pour décrire ce que la pandémie a eu comme effet sur votre entreprise. Pourquoi?

Quand je suis arrivé, on était environ 500 personnes. Un an et demi plus tard, on était de 300 à 400 de plus. Tout ce monde-là, on les avait recrutés en ligne. Donc, on a dû apprendre à les former à distance et à les faire travailler dans nos systèmes. Le bond de la demande qu’il y a eu pour nos produits était fou. On est dans l’industrie de l’épicerie en ligne, où c’était une affaire de survie [pendant la pandémie], donc la demande était très forte. On ne fournissait plus et on avait de la difficulté à trouver du personnel. Malgré toute la croissance qu’on avait eue, on avait plus de 100 postes vacants. Donc, c’était vraiment une crise de croissance.

 

Le 17 avril dernier, vous avez annoncé le congédiement d’une quarantaine de personnes. Qu’est-ce qui vous a amené, dans le contexte actuel, à prendre une décision aussi difficile?

C’est le bout du travail de leader qui n’est jamais agréable. C’est de dernier recours. Pourquoi on s’est rendu là? La demande a baissé énormément. Nos produits ne sont pas moins bons et nos clients ne sont pas fâchés avec nous, mais la demande a baissé parce qu’en contexte de postpandémie, les gens qui faisaient leur épicerie en ligne sont retournés l’acheter au magasin.

L’épicerie a subi rapidement un ralentissement et nos volumes d’affaires sont proportionnels à ce qui se vend sur les sites qu’on opère. Ce qu’on fait en approvisionnement gouvernemental a subi un peu la même situation, c’est-à-dire que [pendant la pandémie] plusieurs nouvelles entreprises cherchaient à vendre au gouvernement [leurs services]. Toutefois, quand la pandémie a commencé à ralentir, ces mêmes entreprises ont commencé à retrouver leurs marchés réguliers. Ainsi, de manière graduelle, nos volumes sont revenus à la norme. On a quand même plus que ce qu’on avait avant la pandémie, mais on n’était plus capables de justifier qu’on garde autant de personnel, surtout dans un environnement économique un petit peu incertain.

Le commun des mortels, aujourd’hui, a moins d’argent disponible pour acheter toutes sortes de choses, incluant ce qu’il peut trouver en ligne. Il fallait se réajuster au marché, à ce qu’on voit dans l’environnement immédiat. Nos clients, qui sentent aussi que la consommation diminue, investissent moins dans de nouvelles technologies.

C’est là que l’histoire de triangle tient la route. Notre action a fléchi beaucoup et nos investisseurs aimeraient qu’on fasse plus d’argent. Il faut donc que je ramène mon triangle vers mes actionnaires, parce que les employés ont, d’une part, augmenté en nombre, et ensuite, nous avons monté beaucoup nos échelles salariales pendant la COVID-19 parce qu’il y avait énormément de compétition. Je ne peux plus continuer comme ça parce que ce sont mes actionnaires qui sont mécontents.

Je dois ramener le balancier de leur côté, tout en continuant à servir nos clients. Certains pensent que j’aurais pu en laisser partir plus que 40, mais c’est faux. J’ai besoin de cette main-d’oeuvre pour garder mes clients satisfaits.

 

Vous vous êtes également engagé à réduire votre empreinte immobilière.

Oui, on a aussi réduit nos dépenses en immobilier parce que aujourd’hui, on ne s’en sert pas. Ça ne me fait pas mal au coeur de la couper. En technologie, de demander aux gens de revenir au bureau, ça ne marche pas. On a donc réduit nos espaces presque partout, au fur et à mesure que les baux venaient à terme. Dans certains cas, on a plutôt réussi à les sous-louer. Dans l’ensemble, dans toute l’entreprise, les bureaux physiques sont à peu près entre 20% et 30% de ce qu’ils étaient avant.

À Longueuil, on avait de la place pour près de 400 personnes sur quatre étages. En moyenne, en 2022, il y avait 11 personnes par jour dans les bureaux. On a tout essayé:des 5 à 7, des dîners, des conférences, des séances de remue-méninges (brainstorm). Le plus de personnes qu’on a eues, c’était 47.

Donc, on ne peut pas justifier de garder un espace de 40 000 pieds carrés pour si peu de gens. Le télétravail, pour nous, c’est efficace, c’est pourquoi on l’a adopté sur une base plus permanente, tout en faisant des rencontres pour que nos équipes puissent travailler en équipe. Mais le travail d’informaticien est quand même fondamentalement solitaire. Le travail à la maison convient très bien à ce métier.

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